jeudi 29 décembre 2011

Démontons les idées reçues

Nous le savons depuis bien longtemps : écologie et système économico-politique capitaliste sont incompatibles. Une rupture idéologique et culturelle s'effectue qui nous fait entrer en une période subversive, car il s'agit bel et bien de prendre conscience du renversement des valeurs sur lesquelles reposait l'organisation sociale en occident.

"La pensée est, par définition subversive" disait Pierre Bourdieu. "Elle doit commencer par démonter les idées reçues et elle doit ensuite démontrer". En 2012, démonter les idées reçues va à l'encontre de la politique politicienne de droite comme de gauche. Tentons de signaler quelques unes de ces idées reçues à démonter, avant de démontrer que des solutions alternatives existent.

Michel Serres : « Nous sommes condamnés à être intelligents pour inventer un monde nouveau, seul moyen de sortir de la crise. »

La première idée reçue, c'est que plus rien ne peut changer après la fin de l'empire soviétique et "socialiste". Tout au contraire, comme l'a souligné Michel Serre, sur les ondes de France Inter, nous passons, lentement mais inexorablement, d'un ancien à un nouveau monde et aucune puissance militaire ou économique n'y peut plus rien.

La seconde idée reçue, c'est que la dette constitue, aujourd'hui, le premier des problèmes politiques. Le laxisme des peuples trop impécunieux en serait responsable ! Les dettes des États, dans le système comptable qui est le nôtre, ne sont qu'un aspect d'un fonctionnement économique et financier subi autant qu'accepté par les peuples ! Ne les a-t-on pas a convaincus que vivre mieux c'était toujours consommer plus. Les écailles nous tombent des yeux.

La troisième idée reçue c'est que nous vivons en démocratie. La démocratie négative (le refus de la monarchie ou de la dictature) n'est pas la démocratie positive (le gouvernement du peuple par lui-même, comme le veut notre Constitution). La démocratie, dans des pays où les citoyens n'étaient pas suffisamment informés et compétents, a été déléguée aux partis, et elle n'a jamais été autre chose qu'un compromis entre le pouvoir d'État et le pouvoir des entreprises. La démocratie est une utopie, c'est-à-dire un objectif qui est loin devant nous, mais à notre portée.

La quatrième idée reçue, c'est que la croissance détruit le chômage. C'est là l'une des plus funestes erreurs et elle est double. D'abord, parce que l'on peut produire toujours plus avec toujours moins d'emplois grâce à une productivité inégalée dans l'histoire humaine et du fait de l'essor des technologies. Ensuite, parce que le travail ne peut plus rester le seul fournisseur des revenus sauf à condamner de plus en plus d'humains à la misère : la décroissance de toutes les productions inutiles ou nocives (et elles sont d'innombrables) a de quoi occuper l'humanité !

La cinquième idée reçue est que nous sommes trop nombreux sur Terre. La démographie, au XXe siècle, a, certes, fait passer la population humaine, le temps d'une vie, de deux à sept milliards de vivants mais nous pourrions nourrir toute ces foules si nous satisfaisions deux besoins : laisser les hommes produire leur subsistance sans en faire une marchandise et organiser le partage. En outre, les démographes savent que la population mondiale va commencer de décroître dès ce siècle.

La sixième idée reçue est que, pour satisfaire nos besoins énergétiques et moins produire de CO2, il faut développer l'industrie nucléaire. C'est là une affirmation plus particulièrement vivace en France ! Mais qui ne voit que c'est toute l'industrie humaine qui est remise en question ! Sans entrer dans les innombrables raisons de renoncer au nucléaire (dangers évidents, déchets indestructibles, centralisation excessive...), il est une justification suffisante à l'abandon du nucléaire : nous savons faire autre chose, qu'il faut mettre en œuvre avant que ce que nous tirons du sol soit épuisé ou trop cher à extraire (charbon, pétrole et...uranium). En un mot, faire ou ne pas faire le pari énergétique du tout renouvelable (éolien, solaire, biomasse, hydrolien, géothermique...), telle est la question et la décision qui importent.

La septième idée reçue est que notre sécurité est fonction de nos capacités de surveillance et de répression. C'est gravement confondre la fin et les moyens. Cela accompagne la volonté de ne rien changer ! Le pessimisme de nos régimes qui voient en chaque être humain un danger potentiel secrète plus de violence qu'il n'en supprime. La sécurité n'est pas du seul ressort de l'État dont il est temps de se demander si son droit à la violence légitime, comme disait Max Weber, n'engendre pas plus de maux qu'il n'en guérit.

La huitième idée reçue (et nous nous en tiendrons là, pour le moment) est qu'on ne peut s'opposer au progrès. Qu'appelle-t-on progrès ? La découverte et l'exploitation de techniques qui modifient la vie des hommes. Il en est de salutaires ; il en est de funestes ! À ne pas vouloir en faire le tri, on accumule les catastrophes ! Ne pas juger du contenu des possibilités nouvelles que la recherche nous offre présente non seulement le défaut bien connu des anciens ("science sans conscience n'est que ruine de l'âme"), mais, plus encore sans doute, cela interdit de mettre les moyens humains et financiers au service d'autres avancées humaines qui ne contiennent pas de profit connu actuellement. C'est rétrograde ! Le progrès technologique qui ne s'accompagne pas d'un progrès humain n'est pas un progrès.

Ne pas se préoccuper de l'entrée dans cet autre monde qui se fait et se fera avec nous ou sans nous est irresponsable et dangereux. L'engagement n'est plus dans le choix d'une appartenance à une organisation politique ; l'engagement est dans un éveil de la pensée supposant de multi-appartenances non définitives. Les indignés ne se révoltent pas contre des pouvoirs locaux ; ils affirment leur propre pouvoir. Et ce n'est qu'un début. Si les acteurs de la vie publique n'en tiennent pas compte, non seulement ils seront balayés (ce qui n'est pas grave !) mais ils seront, et nous avec eux, incapables d'agir (ce dont nous souffrirons tous).



Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

lundi 26 décembre 2011

Vers le fichage centralisé de tous les citoyens.

Jusqu’au 1870, les déplacements individuels font l'objet d'une étroite surveillance. Le passeport intérieur et le livret ouvrier permettent à la police de suivre les voyageurs et les migrants. La République supprime ce système, et adopte, en 1889, un système de fichage anthropométrique et photographique, inventé par Alphonse Bertillon.

C'est le début du fantasme du fichage des citoyens.

En 1912, l’État français impose aux prétendus "nomades" le port d'un carnet anthropométrique, qui sera supprimé seulement en 1969 et remplacé par un titre de circulation également contraignant et discriminatoire.

En 1917, on impose l'obligation de la carte d'identité à tous les étrangers,

De provisoire et limitée aux étrangers et aux "nomades", en septembre 1921, le préfet de police du département de la Seine, Robert Leullier, institue une « carte d'identité de Français », qui demeure toutefois facultative. Cette carte remplace la contrainte de la présence de deux témoins pour de nombreuses démarches afin de limiter les fraudes et faciliter les contrôles administratifs.

Le 27 octobre 1940, le maréchal Pétain décrète que : « tout Français de l'un ou de l'autre sexe, âgé de plus de seize ans, ne peut [désormais] justifier de son identité […] que par la production d'une carte d'identité, dite « carte d’identité de Français »

À partir de 1942, la mention « Juif » est apposée, le cas échéant, et en 1943, la carte d'identité est généralisée. Le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR)1 est intégré.

Après la guerre, comme de nombreuses lois, elle n'est pas abolie, mais en 1955, elle redevient non obligatoire par un décret qui créé « une carte nationale certifiant l'identité de son titulaire pour une validité de dix ans ».

Elle n'est pas modifiée jusqu'en 1995, année de l'apparition de la carte d'identité sécurisée dite « infalsifiable ».

En 2003, est lancé par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy le projet d'institution de cette nouvelle carte d’identité nationale électronique sécurisée (INES) faisant appel à la biométrie.

A la suite de nombreuses résistances, le projet INES est suspendu.

Il revient cependant, en cette fin d'année, sous la forme d'une proposition de loi relative à la protection de l’identité. Destinée à lutter contre les usurpations d’identité, dont le nombre est estimé à 200 0002 par an, cette loi définira une nouvelle carte d’identité dite électronique.

Celle-ci comprendra deux puces RFID3. L’une, « régalienne », comportera les informations d’état civil et des données biométriques (taille, couleur des yeux, empreintes digitales et photographies de face et de profil numérisées). Une seconde puce « marchande » optionnelle, sera destinée à sécuriser les transactions du commerce électronique.

La proposition de loi prévoit une série de dispositions visant à garantir une fiabilité maximale des passeports et cartes nationales d’identité. En particulier, les informations concernant le titulaire du document seront stockées dans une méga base de données centralisée au ministère de l'intérieur – TES (Titres Électroniques Sécurisés) – qui pourra conserver les données personnelles des 40 à 50 millions de Français âgés de plus de 15 ans.

Le projet de loi qui est en cours d'adoption fait l'objet d'un débat contradictoire entre l'Assemblée Nationale (majorité de droite) et la Sénat (majorité de gauche) car pour l’utilisation de cette base centrale deux possibilités se présentent :

Lien fort : identifier un individu à partir de ses données biométriques – par exemple ses empreintes digitales -, ce qui rendrait alors possible l’utilisation du fichier pour la recherche criminelle ;

Lien faible : lors d’une vérification d’identité, la base ne pourrait qu’indiquer si ces empreintes correspondent ou non à un individu, mais sans le désigner.

Le gouvernement et les députés sont partisans du lien fort et, le 7 juillet dernier, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, un texte allant dans ce sens. Il été rejeté par le Sénat, le 3 novembre, à une écrasante majorité (340 des 344 suffrages exprimés) confirmant le vote du 1er juin en première lecture, les sénateurs n’ont pas voulu « laisser derrière [eux] un fichier qui pourra être transformé en outil dangereux et liberticide ».

Par ailleurs, le 27 octobre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu publique sa position, jugeant la création de la TES trop risquée et proposant de s’en passer.

Bien entendu, la proposition de loi n'impose pas la CNE aux citoyens français, mais la carte d'identité est obligatoire pour se rendre à l'étranger donc, à moyen terme, l’ensemble de la population française verra ses données biographiques et biométriques d’identité (état civil, adresse, taille, couleur des yeux, empreintes digitales, photographie) fichées au ministère de l’Intérieur, comme le voulait l'État Français en 1940.

Cette disposition, unique dans les pays démocratiques, est dangereuse pour les libertés publiques, et ouvre la porte à toutes les dérives. Rien ne justifie un tel choix sinon la continuité de la politique de surveillance généralisée des citoyens menée par les gouvernements de droite successifs qui, en moins de dix ans, ont fait voter pas moins de 42 lois sécuritaires4 et doublé le nombre de fichiers de police5.


Dossier législatif de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/protection_identite.asp

Dossier du Sénat : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl09-682.html

Note d’observation de la CNIL du 25 octobre 2011 : http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/CNI-biometrie/CNIL-PPLidentite-Noteobservations-25-10-2011.pdf

1 C'est notre numéro de sécurité sociale attribué par l'INSEE à la naissance.

2 Ce chiffre est sujet à caution puisqu'il varie de 13 000 à 200 000 selon les sources et que la majorité des usurpations a lieu au moment de la demande de CNI.

3 RFID : Radio Frequency Identification Data – Puce électronique lisible sans contact (passe navigo)

5 http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4113.asp


Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

Vers une nouvelle Perestroïka ?

Après "les printemps arabes" (dont, décidément, nous nous refusons à comprendre le sens profond), les manifestations des "Indignés" (dont nous ne voyons pas suffisamment la contestation qu'elles révèlent), allons-nous, dans un pays au régime politique brutal et expérimenté en matière de manipulation de l'opinion, la Russie de Poutine, assister à un renouveau politique supplémentaire, une autre pérestroïka : la prise de pouvoir du peuple, conscient que lui seul est le souverain ?


Simone Weil (1909-1943)

Il n'y a pas de crise de la démocratie parce que, depuis de très nombreuses décennies, nous vivons dans des simulacres de démocratie. « Nous n'avons jamais rien connu qui ressemble, même de loin, à la démocratie » (1), estimait même Simone Weil ! Elle est toujours « inachevée » (2) écrit Pierre Rosanvallon, ou « ajournée » (3) , selon Jacques Derrida. Longtemps avant eux, Jean-Jacques Rousseau affirmait « qu'il n'y avait point de véritable démocratie » (4) .

Est-ce à dire que la démocratie soit impossible ou totalement inexistante ? Pas plus que n'importe quelle utopie fondatrice ! Ce qui n'est pas réalisé nous est indispensable. Aussi, de loin en loin, le peuple souverain se lève et dit : « cette démocratie dont tout le monde parle, c'est le pouvoir que nous avons de constituer une société où nous puissions avoir la maîtrise de nos vies. Que ceux qui, en dépit de nos longues patiences nous en empêchent, dégagent » ! Ainsi finissent les dictateurs et autres autocrates, fut-ce après des lustres de domination sans partage.



Que Gorbatchev, à plus de 80 ans, se redresse et rappelle que la pérennité des chefs d'État ( « trois mandats, ça suffit ») n'est pas compatible avec la recherche difficile et nécessaire de la démocratie, nous concerne particulièrement ! S'il faut, pour que les successeurs des maîtres de l'Empire soviétique ne retombent pas dans les ornières de l'histoire, que le vieil homme, ex secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique redise que la perestroïka n'est pas achevée et qu'elle est la démocratie elle-même, eh bien, entendons-le.

Vaclav Havel, « le sans-parti engagé » ne disait rien d'autre. Vient un jour où il n'est plus possible de vivre dans le mensonge. Puissent tous les chefs d'État se le rappeler, eux et tous leurs soutiens. Puissions-nous, même, concevoir une pratique politique tendant à la démocratie véritable dont Rousseau doutait de l'avènement.

Mikhaïl Pavlovitch Tomski (1880-1936), qui se suicida plutôt que de mourir dans les geôles de Staline, lançait, quand il croyait encore à la dictature du prolétariat : « un parti au pouvoir et tous les autres en prison ». Peu ou prou, y répond Simone Weil, « sur le continent d'Europe, le totalitarisme est le péché originel des partis ». Il faut, à présent, y échapper.

La politique se dégage, en effet, progressivement, de la domination dictatoriale ou plus subtile des partis. Gorbatchev qui fut le chef du plus puissant parti au monde a évité un conflit mondial, en refusant, peu après Tchernobyl, de lancer l'armée rouge dans la remise en ordre des pays qui échappait au mensonge d'État, en Pologne notamment. L'histoire lui rendra justice.

Comme l'exprime clairement Simone Weil, qu'il faut décidément lire et relire, ce n'est pas la majorité qui fait la vérité, mais c'est pourtant la vérité, qui ne se possède pas, qu'il faut chercher ! Il en est de même de la démocratie. Dès qu'elle est installée elle cesse d'être ; dès qu'on la cherche, elle se manifeste.

C'est le cas, actuellement de Moscou à Madrid, de Tel Aviv à New York. Soyons à l'écoute de ceux qui pensent leur action et agissent leur pensée. Prolongeons l'intuition du philosophe Alain, qui, avec son élève Simone Weil, (toujours elle !) écrivait en 1950 : « tout citoyen doit faire la politique, c'est-à-dire être radical, ce qui d'ailleurs commence à paraître dans les faits ».

Oui, dans les faits.


(1) Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques, réédition, Paris, Climats, 2006, p.33.
(2) Pierre Rosanvallon, La Démocratie inachevée - Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Gallimard - Bibliothèque des histoires 2000 / 4.31 € - 28.24 ffr. / 440 pages.
(3) Jacques Derrida, L'Autre cap, La Démocratie ajournée, Paris, éditions de Minuit, 1991.
(4) Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, éditions 10/18, Paris, 1963, chapitre III, Des élections, p. 156.



Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

samedi 24 décembre 2011

L'humiliation turque

Il n'y a pas à l'affirmer ou à le nier : le génocide arménien fut une réalité. Une loi française le reconnaissait dès 2001. Il faudra bien que les Turcs acceptent ce fait historique d'il y a bientôt cent ans.

Mais quelle mouches ont piqué Nicolas Sarkozy et ses affidés, à vouloir "en rajouter une couche" ?

La manœuvre politicienne est grosse de risques dont nous n'allons pas tarder à constater les effets désastreux, ce qu'Alain Juppé (1) a bien compris (celui-là s'ouvre-t-il une porte au cas où... Sarkozy, sûr de sa défaite, renoncerait, in extremis à être candidat...?).

Manœuvre électorale ? La communauté française arménienne compte quelques centaines de milliers d'électeurs. La seule réponse des "opposants" socialistes (2), du moins la plupart d'entre eux, aura, du reste, été de... voter ce texte supplémentaire qui assortit de prison le négationnisme des génocides dont celui des Arméniens.




Manœuvre "européenne" ? Stigmatiser la Turquie afin de la faire passer pour un État génocidaire n'ayant pas sa place dans l'Union européenne conforterait l'opposition définitive de Nicolas Sarkozy à cet élargissement européen à un partenaire "islamiste" !

Manœuvre historiciste et déterministe enfin ? On pourrait donc prolonger, hors de leur contexte, des événements épouvantables dont un peuple s'est montré coupable sous l'influence de ses dirigeants et de leur idéologie raciste ! À cette aune que dire, aujourd'hui, au peuple allemand qui compte encore des négationnistes des crimes nazis en son sein, et qui n'a pas totalement éradiqué toutes les causes de cette monstruosité des années 1930 et 1940, au sein de familles allemandes humiliées, blessées par ce passé qui ne passe pas ?

Car voici lâché le mot qui fâche et qui révolte : humiliation. Nous avons humilié les Turcs. Au lieu de les aider dans leur tâche historique d'acceptation de la réalité, nous les renvoyons à la culpabilité de leurs ancêtres, et cela à la face du monde entier ! Les efforts pédagogiques faits par les Turcs qui veulent faire admettre qu'il y eut bien crime d'État, en 1915, sont anéantis par cette gifle assénée au visage d'une population aujourd'hui solidaire des Syriens, et fière de son rôle modérateur au milieu d'États où l'Islam est violent.

Nous avons poussé les dirigeants turcs à riposter de façon immodérée (les crimes de guerre de la France en Algérie ne constituent pas stricto sensu un "génocide"). Par contre, vont ressortir des condamnations auxquelles la France pourra moins facilement échapper : qu'il s'agisse de son rôle dans la période coloniale, ou de sa complicité dans des horreurs telles que celles qui se sont produites au Rwanda (pour le coup un véritable génocide !).



Nous n'empêcherons pas la Turquie d'entrer un jour dans une Europe repensée où les Allemands d'origine turque, nombreux, sont des acteurs économiques et politiques influents.

Nous ne disposerons pas des événements historiques à notre guise. "La France n'a ni leçons à donner ni leçons à recevoir" affirme, en substance, Nicolas Sarkozy. Qu'alors il se taise ! Laissons la France tirer elle-même les enseignements historiques de crimes politiques qu'elle n'a pas fini de reconnaître et qui ressortent, l'un après l'autre, au bout de plusieurs dizaines d'années. Laissons la Turquie s'avancer elle-même dans sa douloureuse, odieuse, mais aussi grandiose histoire.

Le Parlement français vient de s'engager dans une polémique inutile qui ne grandit personne. La nécessaire reconnaissance du génocide arménien n'en sera que retardée !

(1) "Initiative inopportune" a-t-il dit.
(2) Comme l'estime François Hollande : http://www.lesechos.fr/economie-politique/infos-generales/politique/afp_00411237-genocide-armenien-hollande-denonce-une-operation-electorale-de-sarkozy-266978.php




Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

dimanche 18 décembre 2011

Le dissident-président Vaclav Havel ne nous quittera pas

Vaclav Havel vient de mourir. Il s'éloigne avant d'avoir vu s'accomplir le complément de l'effondrement du capitalisme d'État : la fin du capitalisme mondialisé, dominé par des marchés ayant fait du profit une idole.

Nous retiendrons de Vaclav Havel que les droits de l'homme peuvent s'affirmer face à une politique de fer. Ce fut un "indigné" avant l'heure.

Nous retiendrons aussi que le pouvoir peut s'exercer sans avoir été recherché et quitté sans drame.

Nous retiendrons que, selon lui, la partition de la Tchécoslovaquie fut une erreur mais qu'il a respecté la volonté populaire exprimée de façon claire et libre.

Nous retiendrons qu'il affirma : "la façon dont sont traités les Tsiganes représente le vrai test, non seulement pour une démocratie mais d'abord pour une société civile».

Nous retiendrons, enfin, que le nom de Vaclav Havel restera, pour tous les Tchèques et pour beaucoup d'Européens, celui d'un philosophe et d'un artiste dont la pensée était assez forte pour ne rien céder (il fut 5 ans emprisonné !) et surtout pour mobiliser des forces capables de changer la société et de la faire évoluer vers une réelle démocratie.

Vaclav Havel reste vivant parmi nous.

Un texte de 2002 (extrait)!

Gorbatchev et Havel, ou la relativité du temps

Jour après jour, pratiquement sous nos yeux, en direct, tel un spectacle, le monde évolue. A une telle vitesse qu'on ne prend plus guère le temps de se retourner sur le passé, même récent. Est-ce un bien, est-ce un mal? Qu'importe... L'essentiel n'est-il pas, bien souvent, de savoir relativiser ?

Car, après tout, qu'y a-t-il d'absolu? Ainsi, un lundi, alors que l'ensemble des quotidiens en faisait abstraction, l'agence de presse tchèque, la CTK, faisait, elle, paraître un communiqué rappelant qu'il y a de cela quinze ans, du 9 au 11 avril 1987, le secrétaire général du Comité central du parti communiste de l'Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, était en visite à Prague. Mais alors que Moscou baignait dans une atmosphère de perestroïka naissante et que la politique de la glasnost se mettait en place, la venue du numéro un soviétique ne répondit aucunement à l'attente sourde mais palpable du peuple tchécoslovaque de voir Gorbatchev s'exprimer sur les événements qui avaient ensanglanté le pays en 1968, puis posés une chape de plomb sur son avenir.

Mais ce sont quand même bien les réformes de Gorbatchev qui, pour partie non négligeable, entraînèrent l'effondrement des régimes communistes en Europe. En 1990, pour avoir mis fin, l'année précédente, avec le président américain George Bush, à la Guerre froide, il reçut le prix Nobel de la paix. En 1999, il revint de nouveau à Prague où, en compagnie d'autres personnalités politiques de la fin des années 80, il se vit remettre par le président Havel la plus haute distinction honorifique qui soit en Tchéquie, l'Ordre du lion blanc.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

samedi 17 décembre 2011

La croissance à n'importe quel prix !


Dans l'histoire, les progrès technologiques ont souvent été combattus par l'opinion au prétexte qu'elles pouvaient être dangereuses pour les hommes, mais la nouvelle révolution industrielle naissante et induite par les nanotechnologies, pose, incontestablement, des problèmes sociétaux et éthiques fondamentaux que le dogme de la croissance entend ignorer.

Ces nouvelles technologies qui concernent tous les secteurs d’activité pourraient générer des marchés considérables et de nombreux pays ont investi massivement dans la recherche et se livrent une intense concurrence.

Pourtant les incertitudes sont à la hauteur des espoirs. Certaines applications, s’appuyant sur l’utilisation de nanomatériaux, engendrent des risques de toxicité majeurs pour la santé et l’environnement et soulèvent des questions éthiques, qui devraient être prises en compte avant tout développement et diffusion.

Fascinant et épouvantable

Malgré ces risques qui pourraient avoir des conséquences considérables (1), jusqu'à remettre en cause l'intégrité des humains, le Centre d'Analyse Stratégique (CAS), service de Matignon au ordre du premier ministre, affirme, dans un rapport qu'il vient de rendre public (2) : « Il est indispensable pour la France de continuer à développer les nanotechnologies, quelles que soient les craintes qu'on peut avoir »

Dans ce rapport, le CAS, ancien Commissariat général du plan, recommande de prévenir les risques sanitaires et environnementaux liés aux nanomatériaux, ajoutant : « on ignore encore largement quels peuvent être les effets sur la santé ou l'environnement de leur diffusion à grande échelle. Les nanoparticules peuvent traverser la peau et même entrer dans différents organes, notamment le cerveau », évoquant aussi des questions éthiques.

Pourtant il conclut : « Quelles que soient les craintes qu'on peut avoir, il est indispensable, pour un grand pays comme la France de continuer à les développer »... car ... « La manipulation de la matière à l'échelle du milliardième de mètre (nanomètre), celle des molécules et des atomes, a des applications potentielles illimitées ».

Déjà, à ce jour, plus de 1 300 produits commerciaux (crèmes solaires, raquettes de tennis, ciment auto-nettoyant) incorporent déjà des nanotechnologies et le marché mondial pourrait atteindre « de l'ordre de 3 100 milliards de dollars » d'ici 2 015, note le CAS.

Il est intéressant de savoir, avant une échéance électorale importante pour l'avenir de notre pays, la valeur que les décideurs placés à la tête de l'Etat et qui recherchent de nouveau leurs suffrages, accordent à leurs concitoyens.

Dans tous les cas, moins que la croissance, le profit et le triple AAA.

Après l'amiante, dont on savait, depuis 70 ans, qu'elle était dangereuse pour la santé ; après le développement d'une énergie nucléaire dont on veut, là aussi, pour des raisons liées à la croissance, ignorer le danger létal et le fait que nous laisserons en héritage à nos descendants, pendant des siècles, des déchets mortels, ne sachant qu'en faire ; après les OGM, dont on ne connait pas non plus, les conséquences humaines et animales à moyen et long terme ; nos dirigeant s'engouffrent dans une nouvelle ruée vers l'or aux implications, bien plus graves que l'amiante, le nucléaire et les OGM réunis.

Car, au-delà des problèmes immédiats aux conséquences dramatiques concernant l'intégrité des personnes, les nanotechnologies posent des questions d'éthiques fondamentales par les possibilités de modifications et de manipulations du vivant qu'elles offrent pouvant ainsi déboucher sur des « transformations » de la race humaine.

Les partis politiques, de toutes couleurs et beaucoup de chercheurs, aveuglés par le spectre du marché, ne sont plus en capacité de raisonner rationnellement sur les menaces que font planer ces nouvelles technologies.

Alors, il est encore temps d'assumer nos responsabilités de citoyens et de réveiller nos consciences, car il est vital pour nos descendants que la société civile, et chacun d'entre nous, exige une réflexion globale sur le sens à donner au futur et appelle à l'abandon du modèle économique diabolique actuel qui conduit l'humanité à sa propre perte.

(1) Les chercheurs sont certains que certaines nanoparticules artificielles, les nanotubes de carbone par exemple, peuvent passer la barrière de l'encéphale et migrer directement dans le cerveau.
(2) Centre d'Analyse Stratégique : http://www.strategie.gouv.fr/

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux