lundi 30 novembre 2009

Les minarets de la démocratie

Ce qui ressemble à une simple querelle de clocher, version XXIe siècle, est devenu un débat national. Les Suisses ont voté, le 29 novembre, pour décider si doit être ajoutée à l’article 72 de la Constitution fédérale, qui garantit la paix religieuse dans le pays, une phrase ainsi libellée : « La construction de minarets est interdite. » L’initiative populaire, lancée le 1er mai 2007, avait récolté les 100 000 signatures requises et franchi toutes les étapes juridiques.


L'ennui, avec les élections, c'est qu'elles peuvent produire des résultats politiquement incorrects.


Ils ont
bon dos les Suisses! Ils usent abondamment du référendum. Bravo! Vive la démocratie! Cela peut faire le jeu du populisme...Horreur! À bas cette démocratie-là! La tentation de canaliser l'expression de la volonté populaire est d'autant plus grande que les dirigeants ne savent que faire de ces décisions incongrues prises par ceux qui les mandatent. La démocratie serait-elle chose trop sérieuse pour pouvoir être confiée aux citoyens!

Une belle occasion de méditer sur les contradictions de nos systèmes politiques nous est ainsi offerte. Une élection sans risques n'est plus une élection libre. La vérité n'est pas cachée au fond des urnes. Il ne suffit pas de poser des questions au peuple. Il importe qu'avant tout scrutin un débat long et complet ait pu éclairer les jugements.

Deux écueils se présentent toujours devant le navire démocratique : l'écueil qui, à marée haute, se cache sous les flots et l'écueil qui, à marée basse, se dresse devant les matelots ensablés! Dans le premier cas on n'a rien vu; dans le second cas on ne peut rien faire. Ou bien on vote sans savoir de quoi il s'agit, ou bien on ne peut voter comme on voudrait. Naviguer entre les écueils serait de garder de l'eau sous la quille mais de voir où se dresse le danger. En clair, la démocratie ne supporte ni d'être noyée sous les discours mensongers, ni d'être privée des repères qui permettent le choix de la bonne direction.

Pas de vote sans éléments du débat. Pas de vote sans débat. Sinon..., on vote avec ses tripes. Je ne veux pas d'intégrisme chez moi, or il y a des intégristes sous les minarets, donc, en supprimant les minarets, j'interdis l'intégrisme. Sophisme! Il y a des intégristes ailleurs que sous les minarets. Il y a des minarets qui ne sont pas approchés par les intégristes. Les intégristes qui sont au pied des minarets n'y sont pas forcément majoritaires. Enfin, minaret ou pas, mosquée ou non, synagogue ou pas, église ou pas, temple ou pas, les intégristes ou terroristes trouvent partout matière à fonder leur fanatisme. Plus encore, les doctrinaires de toute obédience, y compris celle qu'on dira laïque ou sans religion, peuvent fort bien manifester un intégrisme ravageur.

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Le mouton noir qu'on a chassé se serait caché sous une burqa?

Ceux qui ne se parlent pas ne peuvent vivre ensemble. Un minaret est aussi dangereux ou inoffensif qu'un clocher. C'est la garantie de la pluralité qui seule garantit la démocratie.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran




samedi 28 novembre 2009

Laissons Albert Camus dormir sous les oliviers.

Je suis "un homme révolté" !


Révolté que l’on veuille arracher Camus à son repos éternel, sous les oliviers, pour de basses raisons de manipulation de l’opinion publique et pour servir une conception de l’identité nationale qui n'est qu'un simple nationalisme autoritaire.


Révolté que, pour satisfaire une ambition personnelle, on veuille l’enfermer dans un univers de pierre sombre et glacial, loin du chant des cigales, fut-ce le Panthéon.



Dans La peste, Albert Camus fait dire au docteur Rieux : "la vraie patrie est au-delà des murs de cette ville étouffée. Elle est dans les broussailles odorantes des collines, dans la mer, les pays libres et le poids de l’amour. Et c’était vers elle, vers le bonheur, qu’ils voulaient revenir, se détournant du reste avec dégoût".


Quelle faute a-t-il donc commise pour vouloir le punir, lui, Camus, l’homme du soleil, né sur les rives de la Méditerranée, en Algérie, avec laquelle il avait des rapports viscéraux, et qui disait être en exil lorsqu’il s’en éloignait?


Même disparu, Albert Camus est toujours un homme libre, enfant de l’école laïque et républicaine qui mettait le devoir de solidarité avec l’humanité souffrante, comme disait Jaurès, en parlant du capitaine Dreyfus, au-dessus de tout.


Il avait l’exigence de se tenir "du côté de ceux, quels qu’ils soient, qu’on humilie et qu’on abaisse".


De quel droit peut-on vouloir récupérer la mémoire de celui qui, dans son discours de réception du prix Nobel clamait : "l’écrivain ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire. Il est au service de ceux qui la subissent". Affirmant, de surcroit , que "les principes qui doivent gouverner les rapports politiques ont valeur universelle".



Albert Camus, Gérard Philippe : deux hommes libres, irrécupérables...

Le prendrait-on pour un laquais que l’on peut mettre au service d’une politique aux antipodes de ses convictions ?


Que reste-t-il aujourd’hui, dans notre société mercantile et individualiste, des convictions défendues par Albert Camus dans son œuvre ?


Peu de choses, alors allez chercher ailleurs d’autres symboles! Cela ne doit malheureusement pas manquer !


Et laissez Albert Camus dormir tranquille sous les oliviers.



Au Panthéon, lui manqueraient les fleurs vivantes...
Jean-Claude Vitran

jeudi 12 novembre 2009

9 novembre 1989 - 9 novembre 2009

Le 9 novembre 1989, le communisme soviétique s’effondrait, ouvrant pour des millions de personnes prisonnières derrière le rideau de fer, des perspectives de liberté et d'espérance dans les bienfaits que la société occidentale devait leur dispenser.


... Et Berlin comme un œil derrière le Rideau de fer!

De nombreux chefs d’État ont fait le déplacement de Berlin pour fêter l’événement, en laissant penser qu’une ère de bonheur et de prospérité, dans un monde pacifié et sans frontière, s’était ouverte le jour de la chute du mur. Curieusement, Barak Obama n’a pas fait le déplacement.

Le 9 novembre 1989, jour de victoire pour les défenseurs des droits de l’Homme, ne fut pas le point de départ d’une ère nouvelle, hormis pour les tenants du capitalisme, qui a sombré ce même jour, dans la pire dérive de son histoire : le libéralisme effréné et son cortège de drames sociaux et humanitaires,.

Vingt ans plus tard, le constat est affligeant.

La planète est hérissée de murs et de barrières infranchissables, entre le États-Unis et le Mexique, Israël et la Cisjordanie, la Chine et la Corée du Nord, la Corée du Nord et la Corée du Sud, le Botswana et le Zimbabwe, l'Afrique du Sud et le Zimbabwe, l'Arabie saoudite et le Yémen, l'Inde et le Pakistan, le Bangladesh et la Birmanie, l'Ouzbékistan et le Kirghizistan, l'Afrique du Nord dans les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, sur la côte marocaine... Partout, des murs s’élèvent et ferment les frontières. Plus de 18000 kilomètres de par le monde!

L’Union européenne se barricade aussi derrière les murs de son espace Schengen et, avec la complicité de ces voisins corrompus, édifie aux portes de l’Europe, des centres de rétention, des zones d’attente où des milliers de migrants lorgnent vers ce qu’ils imaginent être l’éden. Il y a 250 de ces centres hors les frontières Schengen.

Même à l’intérieur de nos villes, des murs virtuels séparent les pauvres et les indésirables des riches. Maintenant, des nantis s’enferment dans des résidences concentrationnaires, sortes de ghettos hérissés de caméras de surveillance et gardées par des milices.

En 1989, 85 % des demandes d’asile étaient acceptées, aujourd’hui 85 % sont refusées et les demandeurs renvoyés vers leur pays d’origine où, la plupart du temps, ils risquent la mort.

Attention que ces murs, ces forteresses ne deviennent pas nos prisons! À Paris, pour réaliser le fameux Mur des Fermiers Généraux, 50 barrières d'octroi furent construites entre 1785 et 1788. Le 13 juillet 1789, le peuple de Paris les abattait, ce qui est moins connu que la prise de la Bastille!


« Le mur murant Paris, rend Paris murmurant ».
Beaumarchais, qui y voyait l'une des causes de la révolution, rapporta l'alexandrin fameux témoignant du mécontentement des Parisiens s'apercevant qu'on les emprisonnait.

1789-1989. Et nous? De murs en murs, allons-nous comprendre que l'on élève encore, autour de nous, obstacles, de toutes formes et de toutes apparences? Vingt ans après 1989, est apparue une nouvelle forme de colonialisme : les gouvernants et les entreprises occidentaux prélèvent toujours, à vil prix et sans aucune honte, les ressources des pays du Sud. Aucun dirigeant occidental ne se préoccupe, sauf de façon médiatique et compassionnelle, de la misère profonde de la majorité des populations de ces pays, alors que leurs responsables, leurs roitelets plutôt, corrompus par les mêmes, ne redistribuent pas les recettes et s’enrichissent de façon cynique.

Vingt ans plus tard, le capitalisme traverse des crises à répétition : éclatement des bulles internet et immobilière, crise financière et sociale entraînant une paupérisation organisée de la population mondiale. Demain une crise climatique explosera, résultat d’une croissance exponentielle non maîtrisée et d’une boulimie de création d’argent pour l’argent, avec des migrations sans précédent pour conséquence.

L'ethnocentrisme occidental, qui ne voit la barbarie que chez les autres, nous y conduit tout droit! Maintenir des millions de personnes hors de notre monde, en désespérer des millions d’autres, c’est, en effet, générer le ferment de la barbarie pour demain.


"Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie"
Claude Lévy-Strauss (1908-2009)

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux