vendredi 30 juin 2017

Un suffrage pas si universel que ça face à une abstention très politique


Après les présidentielles et les législatives,
tirer des enseignements.

Le point au 29 juin 2017
Note IV
par Jean-Pierre Dacheux


Il n'y a de vote démocratique qu'à la condition qu'il vise à permettre un suffrage de plus en plus universel. L'histoire de l'adoption du suffrage universel, de plus en plus élargie au cours des deux derniers siècles, est indissociable de la progression de la démocratie elle-même. Il semble, cependant, qu'on se soit arrêté en chemin.


1 – Rappel historique: le principe et l'ébauche du suffrage universel.
Le principe du suffrage universel figure dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Toutefois, en 1791, selon la constitution, inspirée par Emmanuel-Joseph Sieyès, ne peuvent voter que les citoyens âgés de plus de 25 ans, inscrits sur les listes de la garde nationale et payant un impôt équivalent à dix jours de travail ! De fait ne votaient que les riches et les instruits

Ce vote « censitaire » a duré jusqu'en 1848. Il est alors remplacé par le suffrage universel masculin, sauf pour les militaires, les Français habitant à l'étranger et le clergé. Il faudra attendre près de 100 ans avant que puissent voter les citoyennes (par décision du 21 avril 1944 et, pour la première fois, lors des municipales du 29 avril 1945). On fut donc longtemps éloigné d'un suffrage universel !

2 – Élargir le corps électoral ne suffit pas à étendre le suffrage universel .
L'âge de la majorité fut abaissé de 21 à 18 ans, en 1974, au début du septennat de Valéry Giscard d'Estaing. La conséquence en fut que, depuis, l'âge du vote tend, en principe, à permettre l'expression de tous les majeurs. Ce fut, certes, un nouvel élargissement du corps électoral mais qui n'a pas été accompagné d'une mobilisation suffisante des pouvoirs publics, notamment auprès des jeunes électeurs, pour qu'ils connaissent leurs droits et leurs possibilités d'agir en citoyens.
Depuis 1997, les Français et les Françaises doivent bénéficier d'une inscription automatique, mais, en 2014, seulement 85 % des jeunes de 18 à 24 ans de nationalité française étaient inscrits sur les listes électorales. Près de neuf sur dix d’entre eux ont bénéficié d’une inscription d’office. Être inscrit est plus fréquent pour les plus diplômés. Les jeunes Français dont au moins un des parents est né à l’étranger sont moins souvent inscrits sur les listes électorales que les autres. En outre, la mobilité des jeunes gens, leur départ du foyer parental, le déplacement des familles entières, obligent à effectuer des réinscriptions, ce dont les intéressés ne sont pas tous conscients.
L'inscription sur les listes électorales est obligatoire mais aucune sanction n'est prévue pour les citoyens qui ne s'inscriraient pas sur ces listes, ce qui rend, en fait, l'inscription facultative. Sans une aide administrative et une facilitation des modalités de l'inscription sur les listes électorales, les non-inscrits ne peuvent tous, par leur seule initiative, satisfaire leur intention de pouvoir voter.

3 – Qu'entend-on, en 2017, par « suffrage universel » ?
Faut-il que, pour qu'il soit universel, le vote soit obligatoire ? C'est le cas en Belgique, mais la règle y est peu contraignante, faute de sanctions rigoureusement appliquées. En outre, quand l'abstention prend une grande ampleur et manifeste une forte expression politique, l'obligation du vote deviendrait « totalitaire » car on ne peux contraindre un citoyen à formuler un choix qui ne lui convient pas ! Seule la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé pourrait réduire l'abstention mais le vote de la loi de 2014 permettant le dénombrement des votes blancs, sans plus, ne le permet pas encore.
Pour que le suffrage soit universel, il faudrait que soit mis en œuvre le principe simple suivant : qui réside en France, est majeur et y paie ses impôts s'il en doit, est un électeur. Cela suppose que la condition de nationalité française ne fasse pas obstacle au droit de vote. Au reste, les ressortissants de l'Union européenne vivant en France peuvent voter aux élections européennes, bien sûr, ainsi qu' aux élections municipales. Que n'élargit-on pas ce droit à tous les étrangers ? La Grande-Bretagne, hier encore dans l'Union, ouvre tous ses scrutins - locaux et nationaux - aux citoyens du Commonwealth (qui compte 54 États membres) et aux Irlandais. Pouvoir, dans l'Union européenne tout entière, harmoniser les modalités électorales, ne constituerait pas un bouleversement dangereux pour les différents États membres et manifesterait, au contraire, l'unité démocratique de l'Europe. Mais ce serait réduire les prérogatives des l'États-nations.Il n'en est pas question.
On se rend compte que les conditions à remplir pour que le suffrage universel progresse encore en France comme chez ses voisins ne sont pas satisfaites.

4- Qui ne vote pas ?
La liste de ceux qui échappent au suffrage universel est impressionnante :
• Les Français volontairement non-inscrits par désintérêt permanent pour la vie publique.
• Les Français non-inscrits oublieux de leurs droits, privés d'une information motivante.
• Les Français mal-inscrits qui déménagent et qui, non relancés, ne se réinscrivent pas.
• Les étrangers communautaires qui n'ont pas le droit de voter à toutes les élections.
• Les étrangers non communautaires, vivant en France mais exclus de tous les votes.
• Les Français abstentionnistes qui rejettent les candidatures ou le mode de scrutin lui même.
• Les Français inscrits mais abstentionnistes occasionnels ne faisant pas du vote une priorité.
• les Français absents pour cause de maladie.
• Les Français privés temporairement ou définitivement de leurs droits civiques.
• Les Français incarcérés sans autorisation de sortie pour voter ou voter en prison.
Les Français « incapables majeurs ».

Bien entendu, il convient de distinguer les impossibilités de voter et les retraits volontaires du processus électoral.

5 - Les questions politiques majeures qui restent sans solution, en France, sont les suivantes :
    • L'aide aux citoyens pour qu'ils soient informés et soutenus dans leurs décisions concernant leur droit de vote devrait constituer une priorité civique à mettre en œuvre commune par commune. Cela relève de l'éducation populaire pour adultes.
    • L'accueil des nouveaux venus dans une ville ou un village doit être accompagné de cette information civique rappelée ci-dessus.
    • Des questions politiques majeures posées par les élections ne peuvent plus être passées sous silence et laissées sans décision motivée :
          • le droit de vote des étrangers non européens vivant durablement en France.
          • Le droit de vote généralisé pour tous les Européens vivant en France.
          • La reconnaissance du bulletin blanc comme suffrage exprimé.
          • L'invalidation de toute élection où les suffrages exprimés sont minoritaires.
          • Le recours à des modes de scrutin compatibles dans toute l'Europe.

6 - L'inscription sur les listes électorales.
Début 2017, avant les consultations des présidentielles et des législatives, on comptait près de 47 millions d'inscrits (45,678 millions d'inscrits en France, soit 88,6% des Français majeurs résidant sur le territoire, et 1,3 million de Français établis hors de France, inscrits sur les listes électorales consulaires). 7,2 millions d'inscrits le sont dans une autre commune que celle où ils résident. Quelques 2 millions d'inscrits le sont dans un mauvais bureau de vote de leur ville !
L'information est rappelée dans l'article publié dans l'Express, le 22/04/2017 : Radiés des listes, mal-inscrits... ces Français qui ne voteront pas malgré eux...

« La France est l'un des rares pays européens où l'inscription sur les listes n'est pas automatique à la déclaration d'une nouvelle adresse de résidence », déplorait déjà, voici 10 ans, Jean-Yves Dormagen, coauteur avec Céline Braconnier de l'ouvrage à relire, cité ci-après.
(Cécile Braconnier et Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention, Paris, Folio Gallimard, 2007).
Mais à lire aussi cette analyse du livre : https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2007-1-page-79.htm

En France, la présence sur les listes électorales n'est pas systématique, passée l'inscription d'office à 18 ans. Après chaque déménagement, il faut donc veiller à se réinscrire. Toutefois, trois millions de Français déménagent chaque année, mais seulement un électeur sur cinq se réinscrit dans sa nouvelle commune. Les autres deviennent des « mal-inscrits ».

La Loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 a rénové les modalités d'inscription sur les listes électorales et comprend trois modifications importantes :
• les Français naturalisés seront inscrits d'office, mesure primordiale pour les quartiers populaires qui affichent les taux de non-inscription les plus élevés.
• Un répertoire électoral sera mis en place, géré par l'Insee afin de faciliter la logistique interne et les justificatifs de domiciles simplifiés.
• On pourra désormais s'inscrire sur les listes jusqu'à trente jours avant l'élection. Ce qui alignera la procédure avec la période d'effervescence de la campagne électorale. La loi entrera en vigueur fin 2019 et sera donc effective pour les élections municipales de 2020. Autrement dit le législateur n'avait rien modifié pour les élections de 2017.
Ce qui est annoncé trop tôt et qui s'exécute trop tard perd de son efficacité et décourage les citoyens.
Il y aurait, du reste, plus et mieux à faire...

Conclusion provisoire :
Nous vivons un temps étrange où nous devons porter ensemble une valeur (le suffrage universel) et une autre ( l'abstention politique) qui semble la contredire ! À y regarder de près non seulement la contradiction n'est qu'apparente. Plus encore, ne pas laisser dévaluer l'acte de voter suppose que cet acte reste libre et que l'on puisse écarter les faux choix. Pour que le suffrage soit universel, celui de tous, celui qui ne s'enferme dans aucun nationalisme, il faut donc que les citoyens élargissent leur expression et ne se laissent pas enfermer dans un dualisme ravageur ! Qu'est-il de mieux Charybde ou Scilla ? La peste ou le choléra ? L'ultra nationalisme ou le néo-libéralisme ?
Nous sommes ailleurs. Pas, par principe, contre le vote mais contre l'obligation d'avoir à choisir entre celui qui étrangle et celui qui poignarde. Pour le moment, c'est la macronisation de la politique qui semble l'emporter. Oui, nous sommes ailleurs, au-delà du concept d'opposition lui même. Nous ne pouvons penser avec les concepts du passé, fut-il récent.
Nous avons traversé, pendant les campagnes, le champ des surprises et des incertitudes, mais seulement une partie de ce champ. Il en est qui estiment que « la messe est dite » et que nous nous retrouverons … dans cinq ans.

Notre conviction est, au contraire, que des événements vont surgir encore et que rien ne s'est terminé le 18 juin à 20 heures.


mardi 27 juin 2017

L'abstention 2017 : un événement électoral majeur et historique


Après les présidentielles et les législatives
tirer des enseignements.

Le point au 26 juin 2017. 
Note III
par Jean-Pierre Dacheux



Des abstentions, il n'est déjà plus question ! Les 57% d'électeurs inscrits qui n'ont pas poussé la porte des bureaux de vote sont devenus quantité négligeable. Le caractère exceptionnel, historique, de ce repli politique n'a pas commencé à faire l'objet d'analyses sérieuses. Il semble, pourtant, qu'on n'a pas fini d'en parler. Nous voulons pas, pour notre part, passer à côté de l'événement.


1 – La démocratie représentative est-elle dans une impasse ?
Le slogan des années 1968 « Élections, piège à cons ! » semble avoir de plus en plus d'écho dans l'opinion publique. Il s'ensuit une crise de légitimité que révèlent trois symptômes : - on vote de moins en moins ; - la constance des électeurs à l'égard d'un seul et même parti s'est évanouie ; - l'appartenance à un parti politique a, du reste, fondu. C'est « le règne de l'électeur flottant ». Les raz-de-marée électoraux se banalisent et les institutions de la cinquième République le facilitent.
David Van Reybrouck, dans son essai Contre les élections, (paru chez Actes-sud, en février 2014), tente une analyse historique rigoureuse de cette évolution, notamment dans son chapitre II (pp. 29-71). On peut en extraire quelques constats, certains impitoyables.
• Le peuple fut déclaré souverain par les Révolutions américaine (1776) et française (1789) bien avant l'apparition des partis politiques, apparus après 1850. Ce peuple, en vérité l'élite bourgeoise, avait peu à voter et était censé défendre, l'intérêt public face au pouvoir royal. On sait ce qu'il en advint, notamment en France, pendant les périodes de restauration et impériales. On commença à parler de vote démocratique seulement avec l'introduction, en 1848, du suffrage universel masculin. Le premier scrutin « démocratique », in fine pervers, conduisit à la candidature d'un quasi-inconnu, élu grâce à son nom, Bonaparte, face à l'illustre poète Lamartine. Ce fut, déjà, le début de la désillusion et de la tromperie électorale.
• Cent ans plus tard, La déclaration universelle des Droits de l'Homme, en son article 21, chapitre 3, affirmait que « La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics » ; et soulignait que « cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu, périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou en suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ». Pourquoi tant de détails ? Qui dit démocratie dirait donc élections ? On peut douter que l'URSS et d'autres États signataires en aient fait, à l'époque, ce bon usage. Cette forme de démocratie à l'occidentale, imposée ensuite, universellement, aux peuples dominés, notamment en Afrique et au Proche-Orient, n'a pas convaincu.
• Nous sommes devenus des « fondamentalistes des élections » et en avons fait non pas une méthode, un moyen, contribuant à la démocratie mais un but en soi, un principe sacré, une condition sine qua non de la démocratie véritable. Que n'avons-nous entendu Rousseau qui, dans le Contrat social, 27 ans avant la Révolution française, avertissait déjà, à propos de la situation anglaise : «  Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement. Sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien.» Serions-nous sur le point de saisir, à notre tour, 265 ans plus tard, que déléguer, c'est perdre le pouvoir et que mieux vaut alors ne pas voter ?

2 - Nous sommes en « post-démocratie ».
On peut considérer que ce terme, créé, dès 2004, par le sociologue britannique, Colin Crouch, désigne un système politique qui, succédant à la démocratie, affiche des principes démocratiques, qu’en réalité il ne respecte pas.
On en distingue souvent deux grandes formes : une forme douce ou policée, à dominante technocratique, marquée par la confiscation du pouvoir citoyen dans le cadre d’une « gouvernance » supranationale (lobbies, organismes internationaux). Pour beaucoup, nous y serions déjà ! Et une forme violente, à dominante autoritariste, qui est celle des régimes totalitaires ou post-totalitaires.
Ainsi, entre la fausse démocratie caricaturale, la démocratie autoritaire, et la dictature totalitaire et sanglante, la post-démocratie peut prendre plusieurs visages, plus ou moins terrifiants.
On peut aussi décrire la post-démocratie comme un régime qui n’accepte plus les règles de base du jeu politique démocratique, dont celle de la séparation des pouvoirs, définie par Montesquieu. Un déséquilibre s’installe avec l’hypertrophie de l’exécutif, qui réclame toujours de nouveaux pouvoirs, et tend à museler le législatif, comme le judiciaire. La philosophe belge, Chantal Mouffe : affirme que « Macron, c'est le stade suprême de la post-politique ». Elle reproche au nouveau président d’être la parfaite incarnation d’une politique qui interdit le débat en reléguant aux extrêmes toute opposition afin d’imposer des idées libérales. Post-démocratie et post-politique se confondent alors et nous sommes entrés dans cette progression-régression !
Le tableau est sombre. Comment donc a-t-on pu basculer dans cet au-delà de la démocratie ? L'hypothèse que nous formulons est que depuis le TINA de Margaret Thatcher (There Is No Alternative ... au capitalisme), les résultats des élections doivent correspondre et non s'opposer à la volonté des décideurs économiques. Aux médias de faire le nécessaire ; ils sont payés pour ça.
Sur la post-démocratie, on peut lire le texte complet de Charles Hadji, en consultant la référence ci-dessous : https://www.contrepoints.org/2017/04/01/285743-post-democratie-fatalite
Sur la post-politique à laquelle il nous revient de résister, on peut lire aussi: Construire un peuple, de Chantal Mouffe, Editions du Cerf. (avril 2017).

Tant que, des urnes, ne jaillira pas l'espérance d'un monde juste, il ne faudra plus compter sur un vote populaire : tel est le sens de l'abstention politique. Nous ne pouvons oublier que le suffrage universel a été tronqué, réduit, manipulé par des volontés cyniques. Un corps électoral incomplet, dont la liberté de vote est limitée, devait un jour, entrer en rébellion. Nous abordons ce temps de la contradiction où plus de politique entraine moins de votants. Il importe de comprendre pourquoi.
Ce sera l'objet d'une nouvelle et prochaine note.


jeudi 22 juin 2017

Une présidence déjà fragile ?


Après les présidentielles et les législatives,
quel gouvernement ?


Le point au 21 juin 2017. 
Note II
par Jean-Pierre Dacheux



Un gouvernement constitué entre les présidentielles et les législatives s'est avèré instable ; quatre ministres, et non des moindres, ont été démissionnaires et /ou mis sur la touche; le MODEM, pourtant largement représenté au Parlement, est désormais peu en vue au gouvernement. Nous sommes entrés, sans transition, d'une présidence « jupitérienne » à une présidence sur la défensive.


1 – Un faiseur de roi devenu inutile !
François Bayrou, Garde des Sceaux, porteur d'une loi majeure pouvant redonner aux Français confiance en leurs élus, est pris, avec tout son parti, dans les mailles d'un filet dont on ne peut sortir sans égratignures. Il va devoir faire face à la justice ! S'il démontre son innocence et celle de ses proches, impliqués dans une affaire de financement illégal au Parlement européen, - comme nombre de parlementaires européens du FN ! - il n'en sortira pas moins brisé politiquement. Il avait apporté un soutien peut-être décisif au candidat Macron. Le voici, malgré un nombre conséquent de députés, devenu inutile, dès lors que La République en Marche a obtenu, à elle seule, la majorité à l'Assemblée Nationale ! Se réjouir de cet échec du faux centrisme n'aurait aucun sens. La page est tournée. Le centre droit ne pourra tempérer les excès de la droite « franche et massive » qui l'absorbe désormais. Il a perdu plus que son influence : sa raison d'être. Le « dégagisme » a encore frappé. Il faut comprendre ce vocable, en fin de compte, comme l'ensemble des processus d'élimination, provoqués ou non mais tous produits par des tensions politiques, accumulées, multiples, et qui sont loin d'avoir cessé, on le constate, le 18 juin 2017 !

2 – Le désenchantement a recommencé.
Emmanuel Macron s'est voulu au-dessus de la mêlée, « jupiterrien ». Du Louvres à Versailles, il a, très vite, adopté un comportement monarchique et il a voulu y ajouter une posture de leader international. Ce positionnement politique ne l'a pas mis à l'abri des contradictions internes. Le voici confronté à une crise inattendue et d'ampleur encore inconnue. Le remaniement ministériel ne compense pas les retraits de personnalités importantes plutôt difficiles à remplacer. La prise de conscience de l'étroitesse de l'assise populaire du gouvernement après l'abstention historique qui a marqué, pour longtemps, les résultats du second tour et des présidentielles et des législatives, affaiblit encore l'autorité des dirigeants actuels, majorité parlementaire écrasante ou pas. Le désenchantement qui avait accompagné les deux précédents quinquennats n'a pas tardé à réapparaître. Emmanuel Macron ne peut que pâtir de ce faux départ et s'il en vient à imposer sa politique antisociale et sécuritaire, il va vite, lui aussi ... déchanter.

3 – Les fragilités survenues ont encore modifié la donne politique.
Aucune des questions majeures que nous avons déjà signalées ne va être masquée par cet épisode gouvernemental fâcheux et surdimensionné. Au contraire, il va bien falloir les re considérer en tenant compte de ces nouvelles fragilités survenues.
• L'abstention aura été une réponse de grande portée donnée au désenchantement provoqué par les politiques qui ont été mises en œuvre. À partir d'un certain taux, majoritaire, l'invalidation du scrutin ne peut qu'être envisagée.
• Le bulletin blanc est une réponse valide donnée à l'impossibilité d'un choix. Il doit devenir un suffrage exprimé dont l'interprétation s'ajoute, de fait, à l'abstention.
• Le bulletin nul résulte de la colère ou de la déception d'un électeur qui ne sait s'exprimer autrement. Sans que ce puisse devenir un suffrage exprimé, il fait nombre aussi avec l'abstention et le vote blanc.
• Tout mode de scrutin qui n'établit aucune proportionnalité entre le nombre des votants et le nombre des élus perd son sens et constitue un déni de démocratie. La répartition des sièges à l'Assemblée vient de nous le faire constater. Notre scrutin actuel, majoritaire, uninominal, à deux tours, unique en Europe, doit donc être abandonné.
• Représenter les citoyens n'est pas se substituer à eux. Le député est un porte-parole et un éducateur politique ; il n'est pas un décideur politique solitaire. La démocratie réelle est plus que participative, elle est consultative, délibérative et co-décisive. Elle n'est pas en suspens, en attente entre deux consultations et il ne suffit plus de l'admettre.
• Interroger le peuple en son entier, par voie référendaire ou autre, doit s'effectuer, non exceptionnellement mais régulièrement, comme savent le faire les Suisses.

On voudrait nous donner à croire que le Président et son gouvernement vont pouvoir, appuyés sur un majorité massive (et qui peut encore s'élargir), diriger le pays sans autres oppositions que celles, réduites, de parlementaires ne disposant que de la force de leur verbe. La réalité est plus mouvante et plus complexe que cela. On enferme les citoyens dans la fausse alternative suivante : entre la loi des urnes et celle de la rue, un démocrate doit choisir. La volonté populaire passe par de multiples voies, et pas seulement dans les bureaux de vote ou dans la rue. Il arrive qu'une idée juste s'impose avec ou sans bulletins de vote, avec ou sans manifestations de rue. Pèsent parfois, de façon décisive, le livre d'un penseur, l'article percutant d'un journaliste qualifié, la conférence d'un chercheur dont les travaux font autorité, l'enseignement d'un universitaire, un tract même quand son contenu bouleverse ses lecteurs, la rencontre ou la réunion de citoyens en quête, ensemble, de réponses aux questions de notre temps, la dynamique d'associations mettant les convictions de leurs membres à l'épreuve de l'expérience ... Bref, la politique nous submerge et déborde des enceintes spécialisées, parlementaires ou autres. Le pire danger est dans la résignation de ceux qui estiment que l'on ne peut que s'incliner devant un vainqueur ! Rien n'est jamais définitif. Nous en ferons, plus vite que par le passé, la constatation tant est grand l'écart entre l'état du monde en profonde transformation et les politiques que l'on nous annonce en France.

Non, le vieux monde n'est pas de retour même si ceux qui s'y sentent à l'aise croient pouvoir nous en imposer les formes surannées.


mercredi 21 juin 2017

Et maintenant ?


Après les présidentielles et les législatives, indissociables hélas, ...

tirer, sans tarder, tous les enseignements

Le point au 20 juin 2017. 
Note I .
par Jean-Pierre Dacheux


Les résultats sont tombés mais les lire, comprendre et interpréter ne peut s'effectuer d'un jour sur l'autre. Il nous faudra encore quelques notes pour les analyser et en tirer des enseignements.

Et maintenant ?


Quelles questions majeures sont posées au lendemain du second tour ? Si l'on cherche à ordonner les résultats définitifs qui ont été communiqués par les médias dès hier soir, il apparaît aussitôt que les priorités s'établissent ainsi :

1 - Le record absolu des abstentions au cours du second tour des législatives, atteignant les 57% et les dépassant en maintes régions, fait considérer l'ensemble de l'épisode électoral de façon nouvelle.
À cet éloignement des urnes, inconnu depuis le début de la Ve République, sont venus s'ajouter, de nouveau, comme au second tour des présidentielles, les votes blancs et nuls d'électeurs ne voulant pas choisir.
Selon les calculs du ministère de l'intérieur 1 990 655 votants ont déposé un bulletin déclaré non valide (!) dans l’urne, dimanche 18 juin, (1 397 496 pour le vote blanc, 593 159 pour le vote nul). C’est quatre fois plus qu’au premier tour. L’ensemble concerne 9,87% des votants. Abstentions (57,36%), plus bulletins blancs (2,95%), plus bulletins nuls (1,25%) pèsent ensemble : 61,56%. Les suffrages exprimés par les votants ne représentent que 38,44% des inscrits ! Cela n'émeut guère les gagnants qui « déplorent » mais se contentent de ce trop peu... Pas nous ! Nous y reviendrons donc pour une bien plus longue réflexion.

2 - La seconde caractéristique de ces élections rapprochées et hors normes est constituée par le remplacement-renouvellement du personnel politique. On aura, à ce propos, évoqué le « dégagisme », mais ce fut, en fait, une élimination.
Pareil bouleversement ne s'improvise pas. Nul besoin d'être « complotiste » pour former l'hypothèse qu'un pareil coup de force a été préparé avec soin et méthode. Les informations manquent au simple citoyen pour comprendre qui était derrière ce véritable coup d'État légal. Bien des élus, souvent très informés, n'ont pas davantage vu venir, pour eux-mêmes, ce qui les attendait. Ce qui s'est conclu le 18 au soir et dont nous avons aussitôt été informés n'a pas tout révélé. Il faut se donner, là encore, un peu de recul pour saisir comment cette opération politique fut possible et pourquoi l'effet de surprise a joué. Nous y consacrerons une note entière, le moment venu.

3 – La rupture au sein du PS, les ralliements à Macron, les trahisons, représentent, d'un quinquennat à l'autre, le passage d'un parti de la gauche à la droite et expliquent sa mort en tant que « socialiste ».
Très vite, les ralliés, ( de Collomb à Le Foll, de Valls à Cambadélis ) vont tenter de récupérer l'outil pour le mettre au service de leur nouveau chef. Cet affrontement nous concerne tous. La bascule de l'anticapitalisme à la Jaurès au néo-libéralisme à la Hollande n'intéresse pas que les membres ou anciens membres de ce parti historique en capilotade. La résistance de Benoît Hamon et autres « frondeurs », de Delphine Batho et autres socialistes déçus... peut peser lourd. Sans les approuver en tout, il importe de ne pas les abandonner. Voilà de quoi encore rédiger une note, dès que ce sera possible, pour examiner ce qui reste de « la gauche de gauche » et pourquoi, et comment, elle peut renaître.

4 – Le mode de scrutin sera réformé, mais à la marge ( avec « une dose de proportionnelle »). Cela n'est pas à la hauteur de la défiance surgie hors des urnes et au sein des urnes.
La lutte politique pour faire reculer le scrutin majoritaire à deux tours ne fait que commencer. La reconnaissance du vote blanc fait partie de la même lutte. Il nous faut nourrir les argumentaires de tous ceux qui veulent une véritable réforme constitutionnelle et un mode de scrutin respectueux de tous les citoyens. Il faudra

5 – Les Insoumis entrent à l'Assemblée nationale et seront assez nombreux pour constituer un groupe parlementaire.
C'est une bonne nouvelle mais c'est une « petite nouvelle ». 19 députés dont quelques brillants orateurs, c'est beaucoup mieux que rien et, surtout passer de zéro députés à une vingtaine de députés, dans le contexte actuel, c'est franchement positif. Cependant il faut examiner aussi l'ampleur de la déception, alors que Jean-Luc Mélenchon avait obtenu plus de 7 millions de voix et que le porte-parole de la France Insoumise pouvait faire monter plus haut encore le niveau de la gauche véritable. On lui a beaucoup reproché ses exigences par rapport au PS et au PCF. Les résultats du second tour des législatives ont bien montré où était l'élan ! Il sera nécessaire de déterminer, sans aigreur, où sont les responsabilités.

Voici donc au moins cinq questions à examiner car il importe de mener nos analyses jusqu'à leur terme.


mardi 20 juin 2017

Les trois maîtres mots : abstention, dégagisme, droitisation


Les législatives, inséparables des présidentielles


Le point au 18 juin 2017. Note 80
par Jean-Pierre Dacheux


Nous continuerons d'analyser l'évolution de la situation politique jusqu'au 18 juin. L'analyse des résultats complets des deux tours des législatives nous retiendra encore quelques jours après. Fin juin 2017, nous regrouperons, en un seul et même document, toutes les notes précédentes.


On y voit un peu plus clair : ce qui aura marqué les élections législatives, c'est la contradiction entre les faits que décrivent les mots abstention (avec sa conséquence probable sur le mode de scrutin ), « dégagisme » (avec le renouvellement jamais encore vu du personnel politique) et droitisation (avec le regroupement de la plupart des sensibilités libérales « et de la droite et de la gauche ») autour du nouveau Président !


1 – L'abstention, fait historique majeur.
Il faudra un peu de temps pour mesurer l'importance de cette abstention pesant, à elle seule, plus que l'ensemble des votants. Pour l'instant on en relativise l'impact. Demain pourtant, ses causes politiques vont se trouver révélées : les jeunes et les modestes qui auront été profondément démotivés, vont en partie revoter là où il y a un enjeu. Au contraire, partout où le choix n'est plus qu'entre La République en marche et Les Républicains (en fait la droite libérale recomposée et la droite traditionnelle à la dérive), de nouveaux électeurs vont s'abstenir ou, de nouveau, comme aux présidentielles, voter blanc. L'abstention politique ne sera plus seulement celle des désabusés, des déçus, des désenchantés, mais aussi celle des refusants, des clairvoyants, des réveillés de l'ex-gauche qui ne peuvent favoriser une droite plutôt qu'une autre.
Plus encore : désormais si le choix est rendu impossible on s'autorisera à ne pas voter ou à voter blanc. Le précédent a été créé. Ce n'est plus être un « mauvais citoyen » que de ne pas voter. Ne pas voter, c'est voter, c'est donner un avis, violent, mais c'est un avis. C'est se donner la liberté de ne pas aller contre sa propre pensée. L'élection ne sera plus un piège. Pour que le choix soit clair, il importe que ce qui est proposé aux électeurs le soit. Ce débat est clos : il a été rendu possible de s'abstenir s'il s'agit d'une conviction politique et il n'est donc plus possible de ne pas en tenir compte. « La vague macroniste a trouvé plus fort qu’elle. D’ores et déjà, l’abstention est et restera la grande gagnante de ces législatives » écrit Jacques Lucchesi dans sa tribune publiée sur Agora vox.
La non victoire des votants ne signifie pas victoire de l'abstention. Mais tout n'est pas dit. Il faut aller plus loin : L'abstention est due à la non reconnaissance du vote blanc. L'impossibilité de ne pas choisir est antidémocratique.
Mais osons avancer d'un pas encore : si l'abstention était prise en compte, le Parlement serait à moitié vide. Près de 300 sièges resteraient vacants. La REM (mieux vaut ce sigle que LREM) n’aurait plus que 12,7% des voix et le PS, encore le gros perdant de ses élections législatives, n’obtiendrait qu’un seul tout petit siège du haut de ses 3,5 %.
Formellement, le processus démocratique a fonctionné et fait apparaître une majorité qui est légale pour prendre des décisions, pour légiférer. Seulement, cette majorité n’est pas légitime parce qu’elle représente une fraction d’opinion extrêmement minoritaire. (Les députés de REM – à l’image du président Macron – seront les plus mal élus de la Vème République, car les candidats de l’alliance En Marche / Modem n’ont recueilli, au premier tour que 15,4% des électeurs inscrits.

2 – Mélenchon l'a voulu, Macron l'a réalisé : le « dégagisme » est ... en marche !
D'ores et déjà, et quelle qu'en soit l'ampleur, le 18 juin au soir, le renouvellement du personnel politique est chose faite. Renouvellement générationnel, féminisation plus importante, effacement du Parti socialiste, fort recul des Républicains, arrivée massive d'élus néophytes. C'est du jamais vu.
Le phénomène n'est pas dû qu'à la volonté du Président et à ce que lui a permis un mode de scrutin binaire et tranchant, il accompagne une défiance à l'égard des partis institués qui ont gravement déçus au cours des deux quinquennats précédents. Le vote sanction a joué à plein. Il donne certes des pouvoirs accrus au nouveau Président, mais il contient un avertissement : si vous décevez, vous disparaitrez, à votre tour, au terme de ce nouveau quinquennat ou ... avant à l'occasion d'un référendum raté, par exemple.
Le dégagisme, cette possibilité de chasser les élus dont on ne veut plus entendre parler, s'est presque banalisé ! Il est à rapprocher de l'abstention : je peux ne pas m'associer à ce qui ne m'est plus supportable.

3 – Une droitisation s'est opérée.
Le recentrage macronien aura permis de donner le pouvoir à une élite néo-libérale qui assume, sans état d'âme, des choix économiques qui sont et seront durs à vivre pour les Français modestes et pour tous ceux, Français ou pas, qui sont dépendants des puissances d'argent. C'est l'une des contradictions de cette élection surprenante. La droite conservatrice et traditionnaliste, que pouvait incarner François Fillon, a été défaite. La tentation de la droite la plus extrême, que représentait Marine Le Pen a été écartée. Et pourtant, c'est une une droite nouvelle qui a émergé et qu'a rejoint une large partie des socialistes infidèles à eux-mêmes. La gauche, elle aussi nouvelle, qui a été présentée au pays par Jean-Luc Mélenchon, n'a pas eu le temps de se substituer au PS défaillant. Rénover une opposition qui doit dépasser la gauche traditionnelle en échec ne s'effectuera pas sans difficultés. Concevoir une politique écologique et sociale crédible, qui soit en lien avec tous les expérimentateurs de modes de vie supportables et créatifs a besoin de temps. Ce temps vient-il de s'ouvrir ou de se refermer ? La droite néo libérale n'est pas moins redoutable que la droite dure et elle voue une haine à peine dissimulée pour la société en mutation qui apparaît. Elle n'est pas en capacité de penser un monde désoccidentalisé et d'une pluralité sans équivalent historique connu. Bref, les esprits les plus ouverts restent conditionnés par le mode d'organisation économique et sociale capitaliste. Et c'est cette droite « acceptable » que nous ne devons en aucun cas accepter.

Il importe de nous préparer à l'après-élections. Attendre 2022 serait inexcusable. Tout n'est pas dit le 18 juin 2017. Si grands soient les changements attendus, la vie politique ne va pas s'arrêter. La démocratie, une fois encore, n'est jamais en suspens ! Lire, écrire, dialoguer, analyser, comprendre, prendre des initiatives sera plus que jamais indispensable et mobilisera toujours plus de citoyens. L'ordre dans lequel nous aurons à travailler les dossiers les plus urgents commence à se déterminer. Il sera mieux fixé une fois connus les rapports de force mesurés par la dernière consultation, mais pas seulement. Les événements qui surgissent pèsent aussi, et souvent immédiatement, sur les débats publics. La catastrophe de Fukushima avait accéléré la décision du gouvernement allemand d'abandonner l'énergie d'origine nucléaire. Être constamment prêt est une exigence qui demande une grande solidarité intellectuelle entre ceux dont les analyses sont proches.

Nul n'échappera à ce travail de renouvellement de nos pensées et pas seulement ... nos parlementaires !

vendredi 16 juin 2017

Encore plus d'abstentions et « corriger le tir » ?


Les législatives, inséparables des présidentielles


Le point au 16 juin 2017. Note 79, à J-2 du second tour.
par Jean-Pierre Dacheux


Nous continuerons d'analyser l'évolution de la situation politique jusqu'au 18 juin. L'analyse des résultats complets des deux tours des législatives nous retiendra encore quelques jours après. Fin juin 2017, nous regrouperons, en un seul et même document, toutes les notes précédentes.


Si près du vote final, il n'y a plus guère que cela à examiner : la victoire des abstentionnistes va-t-elle encore s'élargir et y aura-t-il un mouvement relatif de limitation du succès de la République en marche ?


1 - L'abstention est annoncée comme plus forte que le 11 juin !
L’abstention avait déjà battu des records au premier tour des élections législatives, avec un taux de 51,29%. Ce taux pourrait s'élever encore à 53% pour le second tour si l'on en croit un sondage Odoxa pour Franceinfo, publié ce vendredi, 16 juin. Cela constituerait le record des records pour une élection présidentielle ou législative sous la Vème République.
Ce même sondage indique que 48% des sympathisants de gauche compteraient s’abstenir, comme 35% des sympathisants de droite (hors FN), 61% des sympathisants FN, et 35% des sympathisants de La République en marche. Ce sont les plus jeunes électeurs qui devraient le plus bouder les urnes (61% des 18-24 ans et 63% des 25-34 ans n’iraient pas voter). Parmi les catégories socio-professionnelles, ce sont les ouvriers et les employés qui s'abstiendraient le plus (58%).
Un sondage n'est pas une prévision mais c'est l'indication d'une tendance. Flouée, la majorité des citoyens se rebelle. À 55% d'abstentions, avec ou sans les votes blancs, les résultats des législatives seraient fortement dévalorisés. Et il faudrait bien, d'une manière ou d'une autre, tenir compte de la mauvaise humeur de plus de la moitié du corps électoral ! Déjà, on reparle d'un recours à la proportionnelle telle qu'elle fonctionne, et sans inconvénients, dans plusieurs pays de cette Europe politique à 27 à laquelle le président Macron s'affirme attaché.
Abstention et mode de scrutin inacceptable finissent par se rencontrer dans l'esprit des électeurs qui suivent de près la vie politique.
Un électeur de Paris (XVIIIe) a osé poser, en réunion publique, une question pertinente et audacieuse. Particulièrement inquiet du faible taux de participation, il a interpellé comme suit les candidats présents venus débattre : «  Si vous êtes élus, jusqu'à quel niveau d'abstention acceptez-vous votre mandat ? ». La question a fait réagir la salle... mais tous les candidats l'ont esquivée. Tout était dit...

2 – Les Français ne se retrouvent pas dans le résultat du 1er tour !
Selon un sondage Elabe pour BFMTV, publié jeudi 15 juin, 61% des personnes interrogées souhaiteraient que le second tour "rectifie le premier tour avec une majorité moins importante qu'attendue" favorable au président Emmanuel Macron, contre 37% qui espèrent, au contraire, qu'il confirme le résultat du premier tour. 22 % des sondés seraient même"très mécontents" des résultats du 1er tour
Un peu plus de la moitié (53%) des personnes interrogées se disent, en outre, "inquiètes" de voir la République en Marche et le Modem disposer d'une majorité à l'Assemblée nationale supérieure à 400 députés sur 577, tandis que 20% se disent indifférents. En revanche, cette perspective inspire de la "confiance" à 27% des Français sondés.
Ce sondage a été effectué par internet les 13 et 14 juin auprès d'un échantillon de 1.000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas). La marge d'erreur de 1,4 à 3,1 points.
Quant à « corriger le tir », encore faudrait-il le pouvoir ! Le vote s'effectue circonscription par circonscription et de façon binaire. Quatre députés ont été élus (trois en métropole, - dont 2 LREM et un UDI – et un à Wallis et Futuna - DG). Restent 473 sièges à pourvoir.
Même élue à la proportionnelle intégrale, l'Assemblée nationale conserverait une majorité présidentielle, avec 186 députés sur 577, majorité relative donc, mais suffisante, grâce au jeu des alliances à droite. C'est l'excès de majorité qui fait « tiquer » les Français. Pour y remédier, il leur faudrait voter pour des candidats aux orientations opposées (du FN au LR ou à FI). C'est peu crédible. Dans les 473 circonscriptions où l'on votera, il n'y aura qu'une seule triangulaire et 572 duels. 508 Candidats LREM et MODEM devraient y être engagés. La statistique suffit à indiquer que la partie n'est pas égale et que la majorité absolue ou relative est promise à la République en marche. La campagne officielle, qui s'achève ce soir, n'y peut plus rien changer pour l'essentiel.

Les dégâts sont donc faits. On en jugera l'ampleur dans deux jours. Il est trop tard pour changer le cours des choses et le résultat des consultations. Pourtant, une mise en garde est tombée : ni le président, ni les députés qui se réclament de lui, ne disposent d'une majorité effective. Le jeu de massacre a été rendu possible par une loi électorale scélérate. Les nouveaux dirigeants seront placés sous surveillance. Les « survivants » qui vont entrer à l'Assemblée nationale pourront s'appuyer sur tous ceux à qui a été volée une représentation juste et équitable. Quelques correctifs très significatifs, bien que de faible ampleur, pourraient bien, in extremis éclairer le paysage politique d'une lumière très crue. Nous les examinerons avec attention si, comme nous le pensons, ils se réalisent. Au-delà des élections, la vie politique va s'amplifier, les débats vont se multiplier car rien n'est acquis, ni pour le gouvernement ni pour son opposition.


La fin des élections ?


Les législatives, inséparables des présidentielles


Le point au 15 juin 2017. Note 78, à J-3 du second tour.
par Jean-Pierre Dacheux


Nous continuerons d'analyser l'évolution de la situation politique jusqu'au 18 juin. L'analyse des résultats complets des deux tours des législatives nous retiendra encore quelques jours après. Fin juin 2017, nous regrouperons, en un seul et même document, toutes les notes précédentes.


Du « dégagisme » au « raz de marée », nous sommes passés du « printemps français » à la dictature masquée. Ce n'est pas, avons-nous constaté, par la voie électorale qu'on améliore, sous la Vème République, la vie démocratique, dans notre pays. Dure réalité.


1 - Nous étions prévenus :
Plusieurs livres, que nous avons cités, nous avaient mis en garde. Antoine Peillon, Antoine Bueno, David Reybrouck, reprenant la très ancienne dénonciation d'Octave Mirbeau appelant à La Grève des électeurs, soulignaient, en cette année électorale, l'inanité et la vanité de tout vote qui-ne change rien, même quand cela en prend les apparences. Thomas Legrand éditorialiste à France Inter, avait déjà osé titrer, dans un livre paru, chez Stock, en 2014 : arrêtons d'élire des présidents.
Les résultats déjà connus confirment leurs analyses. L'abstention a pris les dimensions d'un acte politique protestataire jusqu'alors inconnu. Le remplacement, lui aussi inédit, de la plupart des députés, non seulement ne modifie pas la politique présidentielle mais l'aggrave. Le néo-libéralisme s'impose plus encore qu'auparavant. Nous demeurons dans une nuit démocratique.
Car, soyons en conscients, quand peu de voix peuvent s'élever pour proposer aux citoyens une alternative à la domination des riches, la démocratie s'enkyste. Tant que la diversité des opinions politiques ne pourra être représentée, à quoi bon voter !
Bref une conclusion s'est imposée : sans proportionnelle, on fait dire à la démocratie électorale le contraire de ce pourquoi elle existe.

2 – Rien ne changera depuis le Parlement.
La corruption continue, l'état d'urgence se pérennise, le droit du travail sera « réformé » : cela commence très mal.
Réformer, c'est dans le discours du patronat, « envoyer à la réforme » comme on le fait des animaux d'élevage devenus inutiles et conduits à l'abattoir. Tout changement qui ne constitue pas un mieux pour les intéressés ne mérite pas le nom de réforme. Le Parlement autorisera à légiférer, dans le domine social, par ordonnances et cette réforme régressive ne produira aucune amélioration économique. C'est donc ailleurs que dans les Assemblées (car le Sénat suivra) qu'il va falloir chercher des réponses au mal vivre qui n'épargne que les favorisés. Il va falloir, 228 ans après, proclamer, une nouvelle fois, et surtout mettre en œuvre, dès que possible, l'abolition des privilèges.
Sans l'appui et l'exigence du peuple des petits, dans la rue, c'est-à- dire là où il reste possible de se faire entendre, (sinon où ?), nous vivrons un quinquennat de stagnation et, de surcroît, sans considération suffisante pour la mutation écologique radicale de la planète. Élections ou pas, le monde entier bouge et n'en pas tenir prioritairement compte nous condamne.

3 - La France n'est plus une grande puissance. Admettons-le.
L'opposition principale au macronisme se situe là d'abord. Nos 66 millions d'habitants ne représentent même pas 1% de la population planétaire. Nous ne serons jamais plus la principale locomotive économique de l'Europe, ni longtemps encore l'un des gendarmes du monde. La politique de la France doit se penser en en tenant compte. La grandeur de la France n'est ni dans sa taille, ni dans son armée, ni dans son influence internationale. Ses atouts sont dans sa capacité de création, d'innovation, dans sa culture, bref dans sa bonne image toujours vivante en dépit de ses fautes.
Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternative économique a fait reparaître, en mars dernier, son livre paru en 2015 : La France ne sera jamais plus une grande puissance ? Tant mieux ! On y trouve de quoi ne pas désespérer, même si les causes d'inquiétude ne manquent pas.
On y découvre pourquoi la nouvelle majorité (la droite nouvelle attrape-tout, en fait), n'est pas équipée pour élaborer des politiques adaptées au temps qui vient. Ce n'est ni au Louvre, ni à Versailles que la France d'aujourd'hui peut se révéler coopératrice et non dominatrice.
Une opposition qui ne proposerait pas aux citoyens cette autre France efficace et humble, située à sa place et non au-dessus de ses partenaires européens ne servirait à rien. La chasse au bonheur est ouverte et elle n'a pas besoin de fusils ni de bombes atomiques.

4 – Notre France n'est pas celle d'Emmanuel Macron. Là est la source de notre opposition irréductible.
Il y a deux gauches inconciliables affirmait Manuel Valls. Il y a aussi deux France inconciliables.
Emmanuel Macron diagnostiquait Raphaël Glucksmann, le 25 mars 2017, dans l'Obs « est le candidat libéral assumé et cohérent que la France n’avait pas encore connu (le libéralisme supposé de la droite française relevant jusque-là du conservatisme autoritaire) ». La gauche inconciliable de Valls a, depuis, rejoint le parti libéral de Macron.
Dans un article du même Raphaël Glucksmann, intitulé Gauche année zéro, on pouvait lire : « Face au défi inédit du nouveau parti libéral au pouvoir, (il faut) réinventer une gauche sociale et écologique ». Cette gauche sociale et écologique, l'autre gauche, qu'il faut se hâter de rebaptiser, est celle de l'autre France, « européenne, cosmopolite, rabelaisienne, cartésienne, voltairienne » et plus que jamais rousseauiste ... une France à rebâtir après l'effondrement qui s'est produit le 11 juin. Impossible de baisser les bras ! Rappelons-nous :

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, etc..
dans le poème de Rudyard Kipling (1910, traduit parAndré Maurois (1918)

La France en marche, devenue la République en marche et définie, toujours par
Raphaël Glucksmann, comme le parti libéral se voit opposé La France insoumise et s'engage dans un conflit idéologique qui sera tendu, comme il convient dans une démocratie vivante.

***

Peu importe les effectifs des députés. La vérité politique ne dépend pas d'un nombre mais de la force des arguments et de leur réception par les citoyens. Le 18 juin prochain ne marquera pas une fin, mais un commencement. Une France libérale ne peut perdurer indéfiniment surtout dans un contexte international très mouvant qui change de mondialisation. Même le Président des tout puissants États-Unis est à la peine. La première ministre du Royaume-Uni plus encore. Sanders, Corbyn, Mélenchon osent s'en prendre au libéralisme économique et, contrairement aux jugements hâtifs des médias, ils tiennent bon, même défaits, et leur voix porte. Au-delà des personnalités en vue, l'action démultipliée des Français et de bien des peuples étrangers, modifie le monde en profondeur. Nous en voyons déjà les premiers effets. Nous nous inscrivons dans cette dynamique imperméable à toute résignation. La France ne deviendra pas, par le biais d'une élection suivie d'un autre, un pays libéral ! C'est contraire à son être même.