lundi 22 juin 2015

La vérité sur la dette grecque


Ce 22 juin 2015 fera date. Il y va de l'autorité d'un peuple libre : les Grecs. Il y va du rôle de l'Europe politique et de la solidarité de ses 28 Etats-membres. Nous publions ici la Synthèse du rapport de la commission pour la vérité de la dette grecque. Ce document, bien que long, mérite une lecture attentive. Nous en tirons, d'orres et déjà, les enseignements suivants :

• On impute au peuple grec tout entier des erreurs qui ont été celles de ses anciens dirigeants.

• Les armateurs grecs et l'Église orthodoxe grecque doivent payer leur part de l'impôt.

• Les dépenses consacrées à la défense, suite à l'ancien conflit turco-grec, sont très excessives.

• La dette accumulée ne peut être remboursée dans les délais qu'on voudrait imposer à la Grèce.

• Est manifeste la volonté politique de faire échouer le gouvernement dirigé par Aléxis Tsípras et Siryza.

• Vouloir faire rendre gorge à ceux qui sont sans ressources (retraités, chômeurs...) est criminel.

• La solidarité européenne est un concept vide si elle impose des "réformes" qui ruinent le peuple grec.

• Si se soumettre au FMI est le seul choix politique possible, c'est le triomphe a priori du capitalisme.

• L'Union européenne doit respecter ce qu'a voté la Grèce, pays où est né le concept de la démocratie.


Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux


Synthèse du rapport de la Commission 

pour la vérité sur la dette grecque

Traduction : CADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde). Le 18 juin 2015.

Prendre à bras-le-corps un ensemble de problèmes sociaux et économiques est une impérieuse nécessité autant qu’une responsabilité sociale. Prenant acte de cela, le Parlement Hellénique a mis en place en avril 2015 la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque. Il lui a donné mandat pour mener des investigations sur l’origine et l’augmentation de la dette publique, la façon dont cette dette a été contractée et les raisons qui y ont amené, enfin sur l’impact qu’ont eu sur l’économie et la population les conditionnalités attachées à ces contrats. La Commission pour la Vérité a pour mission d’amener à une prise de conscience sur les questions relatives à la dette grecque, tant sur le plan interne qu’au niveau international, de formuler des arguments et de proposer des scénarios relatifs à l’annulation de la dette.
Les recherches présentées par la Commission dans son rapport préliminaire mettent en lumière le fait que le programme d’ajustement auquel la Grèce a été soumise était, et reste dans son intégralité, un programme politiquement orienté. L’analyse technique bâtie sur des variables macroéconomiques et des projections de dette – des données en relation directe avec la vie et de la population et ses moyens de subsistance –, a permis de cantonner les discussions relatives à la dette à un niveau technique. Ces discussions ont principalement été centrées autour de la thèse selon laquelle les politiques imposées à la Grèce allaient lui permettre de rembourser sa dette. Les faits présentés dans ce rapport prouvent tout le contraire.
Les éléments dont nous faisons état dans ce rapport montrent que de toute évidence la Grèce, non seulement n’est pas en capacité de rembourser cette dette, mais qu’elle ne doit pas la rembourser, tout d’abord parce que la dette issue des mesures de la Troïka constitue une violation caractérisée des droits humains fondamentaux des résidents de la Grèce. Ainsi, nous sommes parvenus à la conclusion que la Grèce ne doit pas payer cette dette, du fait de son caractère illégal, illégitime et odieux.
Il est également apparu à la Commission que le caractère insoutenable de la dette publique grecque était évident depuis l’origine pour les créanciers internationaux, les autorités grecques et les grands médias. Pourtant, les autorités grecques et certains gouvernements de l’Union Européenne se sont ligués pour rejeter une restructuration de la dette publique en 2010, dans le seul but de protéger les institutions financières privées. Les grands médias officiels ont dissimulé la vérité au public en soutenant que le plan de sauvetage allait être bénéfique pour la Grèce, tout en passant en boucle le récit selon lequel la population ne faisait que payer pour ses propres turpitudes.
Les fonds versés dans le cadre des programmes de sauvetage de 2010 et 2012 ont été gérés de l’extérieur selon des schémas complexes, empêchant toute initiative propre en matière budgétaire. L’utilisation de ces fonds a été dictée de manière stricte par les créanciers et il est apparu que moins de 10 % de leur montant avaient été consacrés aux dépenses courantes du gouvernement.
Ce rapport préliminaire dresse un premier état des lieux des principaux problèmes et enjeux liés à la dette publique et fait état de violations juridiques majeures en ce qui touche aux contrats d’emprunt ; il pose également les bases juridiques sur lesquelles la suspension unilatérale des paiements de la dette peut être invoquée. Ces conclusions sont déclinées en neuf chapitres présentés comme suit :

Le chapitre 1, La dette avant la Troïka
, analyse l’augmentation de la dette publique grecque depuis les années 1980. Il conclut que l’accroissement de la dette n’est pas le résultat de dépenses publiques excessives, celles-ci étant en réalité restées plus faibles que les dépenses publiques d’autres pays de la zone euro. La dette provient pour l’essentiel du paiement aux créanciers de taux d’intérêts extrêmement élevés, de dépenses militaires excessives et injustifiées, d’un manque à gagner fiscal dû à la fuite illicite de capitaux, du coût de la recapitalisation de banques privées par l’État, et des déséquilibres internationaux issus des lacunes inhérentes au modèle de l’Union Monétaire.
L’adoption de l’euro a généré en Grèce une augmentation drastique de la dette privée à laquelle les grandes banques privées européennes ainsi que les banques grecques ont été exposées. En prenant de l’ampleur, la crise bancaire a débouché sur une crise de la dette souveraine grecque. En 2009, en mettant l’accent sur la dette publique et en gonflant le déficit, le gouvernement de George Papandréou a voulu présenter comme une crise de la dette publique ce qui était en réalité une crise bancaire.

Le chapitre 2, Les évolutions de la dette publique grecque de 2010 à 2015
établit que le premier accord de prêt de 2010 visait en premier lieu à sauver les banques privées grecques et européennes et à permettre aux banques de réduire leur exposition aux titres publics grecs.

Le chapitre 3, La dette publique grecque par créancier en 2015
, met en évidence la nature litigieuse de la dette grecque actuelle au regard des principales caractéristiques des prêts qui seront analysées plus en détail au chapitre 8.

Le chapitre 4, Les mécanismes de l’endettement en Grèce
, dévoile les mécanismes issus des accords entrés en vigueur à partir de mai 2010. Ces accords prévoyaient l’octroi de nouveaux emprunts d’un montant substantiel par des créanciers bilatéraux et le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) qui s’accompagnaient de coûts abusifs, amplifiant d’autant la crise. Ces mécanismes révèlent comment la majorité des fonds empruntés ont été directement transférés aux institutions financières. Au lieu de bénéficier à la Grèce, ils ont accéléré le processus de privatisation à travers l’utilisation d’instruments financiers.


Le chapitre 5, Les conditionnalités contre la soutenabilité
, présente la manière dont les créanciers ont imposé des conditionnalités excessives qui, associées aux accords de prêts, ont eu pour conséquence directe la non-viabilité économique et l’insoutenabilité de la dette. Ces conditionnalités, que les créanciers s’obstinent toujours à exiger, ont fait chuter le PIB tout en augmentant l’endettement public – un ratio dette/PIB plus élevé rendant la dette grecque encore plus insoutenable. Mais elles ont également généré des changements dramatiques dans la société et provoqué une crise humanitaire. La dette publique grecque peut ainsi être considérée comme totalement insoutenable en l’état actuel des choses.

Le chapitre 6, Impact des « programmes de sauvetage » sur les droits humains
, montre que les mesures mises en place dans le cadre des « programmes de sauvetage » ont directement affecté les conditions de vie du peuple et violé les droits humains que la Grèce et ses partenaires sont dans l’obligation d’assurer, de protéger et de promouvoir, conformément au droit national, au droit de l’Union et au droit international en vigueur. Les ajustements drastiques imposés à l’économie et à la société grecque dans son ensemble ont provoqué une détérioration rapide des niveaux de vie incompatible avec la justice sociale, la cohésion sociale, la démocratie et les droits de l’homme.

Le chapitre 7, Questions juridiques relatives aux MoU (Memorandum of understanding ou Protocole d’accord) et aux conventions de prêt
, soutient qu’il y a eu violation des obligations en matière de droits de l’homme de la part de la Grèce elle-même et de ses prêteurs, à savoir les États membres de la zone euro (prêteurs), la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds Monétaire International qui ont imposé ces mesures à la Grèce. Tous ces acteurs ont refusé d’évaluer les violations des droits de l’homme découlant des politiques publiques qu’ils obligeaient la Grèce à appliquer. Ils ont directement violé la constitution grecque en privant le pays de la plupart de ses droits souverains. En effet, les accords contiennent des clauses abusives, qui ont contraint la Grèce à renoncer à des pans importants de sa souveraineté. Cela a été attesté par le choix du droit anglais comme loi applicable à ces contrats, dans le but de faciliter le contournement de la constitution grecque et des obligations internationales en matière de droits humains. La remise en cause des droits humains et des obligations de droit coutumier, la présence de diverses preuves de mauvaise foi des parties contractantes, et leur caractère déraisonnable, remet en cause la validité de ces contrats.

Le Chapitre 8, Évaluation du caractère illégitime, odieux, illégal ou insoutenable de la dette
, examine la dette publique grecque en regard des définitions adoptées par la Commission concernant les dettes illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables. Il aboutit à la conclusion qu’en juin 2015, la dette publique grecque est insoutenable, puisque la Grèce ne peut payer le service de la dette sans nuire gravement à sa capacité de remplir ses obligations les plus élémentaires en matière de droits humains. Par ailleurs, le rapport apporte la preuve de la présence dans cette dette d’éléments illégaux, illégitimes et odieux, et ce pour chaque groupe de créanciers.

La dette envers le FMI
doit être considérée illégale car elle a été consentie en violation des propres statuts du FMI, et que les conditions qui l’accompagnent violent la Constitution grecque, les obligations du droit coutumier international et les traités signés par la Grèce. Elle est illégitime, puisque les conditions imposées comprennent des dispositions qui violent les obligations en matière de droits humains. Enfin, elle est odieuse, puisque le FMI savait pertinemment que les mesures imposées étaient antidémocratiques, inefficaces, et allaient provoquer de graves violations des droits socio-économiques.
La dette envers la BCE doit être considérée illégale car la BCE a outrepassé son mandat en imposant l’application de programmes d’ajustement macroéconomique (par exemple la déréglementation du marché du travail), ceci par l’intermédiaire de sa participation à la Troïka. La dette envers la BCE est également illégitime et odieuse, car l’objectif du Securities Market Programme (SMP) était en fait de servir les intérêts des institutions financières en permettant aux principales banques privées grecques et européennes de se débarrasser de leurs obligations grecques.

Le FESF
a octroyé des prêts hors liquidités qu’il faut considérer comme illégaux parce que l’Article 122(2) du TFUE est violé, et parce que ces prêts portent atteinte par ailleurs à un certain nombre de droits socio-économiques et de libertés civiques. De plus, l’Accord cadre du FESF de 2010 et le Master Financial Assistance Agreement de 2012 contiennent plusieurs clauses abusives témoignant d’une attitude immorale de la part du prêteur. Le FESF va également à l’encontre de principes démocratiques, ce qui rend ces dettes illégitimes et odieuses.

Les prêts bilatéraux
doivent être considérés comme illégaux car ils violent les procédures spécifiées dans la Constitution grecque. Les prêts révèlent une attitude immorale des prêteurs et présentent des conditions qui contreviennent au droit et à l’action gouvernementale. Il y a atteinte tant au droit de l’Union européenne qu’au droit international lorsque les droits humains sont évincés par des programmes macroéconomiques. Les prêts bilatéraux sont par ailleurs illégitimes puisqu’ils n’ont pas été utilisés dans l’intérêt de la population, mais ont seulement servi à sauver les créanciers privés de la Grèce. Enfin, les prêts bilatéraux sont odieux car en 2010 et 2012 les États prêteurs et la Commission européenne, tout en étant conscients de ces violations potentielles, se sont bien gardés d’étudier l’impact sur les droits humains des ajustements macro-économiques et consolidation budgétaire qui étaient la condition des prêts.

La dette envers des créanciers privés doit être considérée illégale parce que les banques privées ont eu une attitude irresponsable avant l’existence de la Troïka, ne respectant pas une diligence raisonnable, et parfois, comme dans le cas de fonds spéculatifs, agissant de mauvaise foi. Une partie des dettes envers les banques privées et les fonds spéculatifs sont illégitimes pour les mêmes raisons qu’elles sont illégales ; de plus, il était illégitime que des banques grecques soient recapitalisées par les contribuables. Les dettes envers les banques privées et les fonds spéculatifs sont odieuses, puisque les principaux créanciers étaient bien conscients que ces dettes n’étaient pas contractées dans l’intérêt de la population mais pour augmenter leurs propres bénéfices.
Le rapport se conclut sur quelques considérations pratiques.

Le Chapitre 9, Fondements juridiques pour la répudiation et la suspension de la dette grecque souveraine, présente différentes options pour l’annulation de la dette et expose tout particulièrement les conditions dans lesquelles un État souverain peut exercer son droit à poser un acte unilatéral de répudiation ou de suspension de paiement de sa dette en droit international.
Il existe plusieurs arguments juridiques permettant à un État de répudier ses dettes illégales, odieuses et illégitimes. Dans le cas grec, un tel acte unilatéral peut se fonder sur les arguments suivants : la mauvaise foi manifeste des créanciers qui ont poussé la Grèce à violer son droit national et ses obligations internationales en matière de droits humains ; la primauté des droits humains sur les autres accords tels que ceux conclus par les gouvernements précédents avec les 
créanciers de la Troïka ; la coercition ; la présence de clauses abusives violant la souveraineté de l’État grec ; et enfin le droit reconnu en droit international pour un État de prendre des contre-mesures quand les créanciers posent des actes illégaux.
 S’agissant des dettes insoutenables, tout État est juridiquement fondé à utiliser l’argument de l’état de nécessité qui permet à un État confronté à situation exceptionnelle de
 sauvegarder un de ses intérêts essentiels menacé par un péril grave et imminent. Dans une telle situation, il peut s’affranchir de l’exécution d’une obligation internationale telle que le
 respect d’un contrat de prêt. Enfin, les États disposent du droit de se déclarer unilatéralement insolvables lorsque le service de leur dette est insoutenable, sachant que dans ce cas ils ne commettent aucun acte illégal et sont affranchis de toute responsabilité.

La dignité du peuple grec vaut plus qu’une dette illégale, illégitime, odieuse et insoutenable. 


A l'issue de ses premières investigations, la Commission considère que la Grèce a été et est toujours la victime d'une tentative de meurtre froidement préméditée par le trio que sont le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne. Cette attaque violente, illégale et immorale a été réalisée avec l'assentiment et la complicité des Etats européens qui, au lieu de servir et défendre l'intérêt général, ont préféré se mettre au service des banques et des intérêts particuliers d'une minorité.

En mettant ce rapport à la disposition des autorités grecques et du peuple grec, la Commission considère avoir rempli la première partie de sa mission telle que définie dans la décision de la Présidente du Parlement du 4 avril 2015. La Commission espère que son rapport constituera un outil utile pour toutes celles et tous ceux qui veulent sortir de la logique mortifère de l’austérité et qui se lèvent pour défendre ce qui ce qui est en danger aujourd’hui : les droits humains, la démocratie, la dignité des peuples et l’avenir des générations à venir.
Aujourd’hui, en réponse à ceux qui leur imposent des mesures iniques, le peuple grec pourrait leur rappeler ce propos de Thucydide lorsqu’il évoquait la constitution de son peuple : « Elle a reçu le nom de démocratie, parce que son but est l’utilité du plus grand nombre et non celle d’une minorité. » (Oraison funèbre de Périclès rapportée par Thucydide dans La guerre du Péloponnèse).


mercredi 17 juin 2015

Changer de mode de vie pour ne pas laisser tout s'effondrer.


Ou bien il faut enfermer, d'urgence, Naomi Klein, ou bien il faut lui réserver, dès à présent, une place au panthéon des personnalités dont la pensée aura changé le monde.

La grande journaliste canadienne a commis un livre de quelques 600 pages, traduit et édité, en France, chez Actes Sud. Son titre est provocateur : Tout peut changer et son sous-titre plus encore : Capitalisme et changement climatique.

Y est sous entendu, en effet, en reprenant ce que suggère ce long titre, que le changement climatique et ses conséquences destructrices pour l'espèce humaine ont, de nos jours, pour cause principale, le capitalisme et son organisation ultra-libérale de l'économie. Il devient, alors, urgent de « tout changer ». Ce n'est pas qu'un vœu, c'est possible. Toutefois, selon les plus hautes compétences que citent Naomi Klein, si rien n'est engagé avant 2017, l'avenir ne peut, ensuite, que gravement s'assombrir.

Le capital de Karl Marx, à côté de cette condamnation sans appel d'un régime économico-politique qui s'est imposé sur notre planète, depuis deux siècles au moins, et qui triomphe sans obstacle depuis 1989, semble une simple bluette et cette dangereuse communiste, dirait-on aux USA, devrait être dénoncée et traduite devant les tribunaux comme une néo-terroriste.

Car si les analyses et les conclusions de Naomi Klein contiennent une large part de vérité, il faut, en effet, rompre avec toutes les politiques et tous les politiciens qui ne tiennent nul compte de ce que « notre modèle économique est en guerre contre la vie sur Terre ». La politique, désormais, se doit d'intégrer la dimension de notre survie.

Cette longue et impitoyable interpellation, très argumentée, adressée à « l'humanité défendant, à corps perdu, un mode de vie qui la mène à sa perte » est bien plus qu'un plaidoyer hyper-écologiste.

C'est,  envoyé avant la COP21, qui doit se tenir en décembre 2015, à Paris, un avertissement véhément : quelles que soient nos préférences politiques, il n'est plus possible de vivre comme nous vivons, car nous risquons non pas de tuer la planète mais d'anéantir notre espèce elle-même.

Naomi Klein n'est ni la première ni la seule à lancer un tel appel d'alerte face aux périls incommensurables que peut générer un changement climatique accéléré dont les activités humaines ont été et restent responsables. Les « climatosceptiques » ont beau violemment contester ces catastrophistes que seraient les scientifiques du GIEC, ils ont perdu la partie. Les faits parlent, les savants écrivent, l'information circule : il faut sortir au plus vite de l'impasse !

Les bouleversements constatés, (incendies, inondations, sécheresses, cyclones dont le nombre et l'intensité ne cessent d'augmenter) confortent les résultats de travaux qui tous convergent : au rythme où fondent les banquises, s'étendent les déserts, se multiplient les flux de migrations, s'écroule la biodiversité, le XXIe siècle peut voir se produire des violences mettant à mal les civilisations.

On peut craindre que les prises de conscience ne modifient pas grand chose. Il ne suffit pas de savoir pour changer. Nos addictions à la société de consommation ne peuvent être effacées par des mots. Notre « formation de formatés » a fait de nous des convaincus qui pensent que rien ne peut changer, dans notre mode de vie, sans régressions insupportables.

Nous n'avons, pourtant, que deux choix : ou bien attendre les événements dévastateurs qui vont nous contraindre de changer, dans la douleur, nos habitudes installées, ou bien commencer, sans tarder, à changer nos pratiques quotidiennes les plus néfastes à notre environnement et donc à nous-mêmes ainsi qu'à nos descendants, plus encore. Nous sommes dans le déni, parce que la révélation est trop violente.

Le livre de Naomi Klein mais aussi celui de Pablo Servigne et Raphaël Stevens (Comment tout peut s'effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, paru aux éditions du Seuil, en 2015 également), nous orientent vers une relecture de l'actualité en nous suggérant qu'il est possible de faire d'un péril imminent une ultime chance. Difficile et indispensable conversion : la crise n'était pas budgétaire mais écologique. Les responsables politiques sont encore plus bloqués que les citoyens pour l'admettre car leurs repères sont en ruine, mais les faits finissent par s'imposer.

Il nous faut compter avec l'instinct de survie qui est tout puissant : nous ne sommes pas condamnés à subir et à périr ! Nous allons vivre une mutation bouleversante mais salvatrice.

N'en soyons pas que les spectateurs !

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

mardi 9 juin 2015

Nous sommes républicains.


Est républicain celui qui est partisan de la République, écrit sobrement notre dictionnaire. À ce titre, nous sommes tous républicains, ou presque.
Au delà de cette appellation, nous sommes attachés aux valeurs dans lesquelles s'incarne la République : Liberté, Égalité, Fraternité et, plus que jamais, Laïcité.
La République ou res-publica, c'est la chose publique. C'est l'absolue priorité accordée à l'intérêt général et pas aux domaines privés. C'est le développement irréversible du service public.
Pourtant, à y regarder de près, au cours de l'histoire récente, particulièrement de la 5ème République, quel parti, après son passage au pouvoir, peut se faire une gloire d'avoir conduit une véritable politique respectant totalement ces valeurs ?
Aucun ! Ni de droite, ni de gauche.


La démarche de Nicolas Sarkozy visant à changer le nom de l'ex-UMP est un indigne détournement d'héritage et, comme l'a titré le journal Marianne, un « hold-up sur la République ».
Quand il était aux affaires, l'ex président de la République en a souvent pris à son aise avec les lois de la République et le voici qui s'autorise, aujourd'hui, à donner des leçons de républicanisme et de démocratie. Quelle prétention vulgaire !
Nous sommes convaincus que la République est notre bien commun et, à quelques exceptions près – hier les dirigeants de Vichy, à présent nombre de responsables du FN et de quelques organisations marginales –, nous sommes tous républicains quelles que soient nos divergences politiques, idéologiques, culturelles ou religieuses.
La République, qui n'est ni de droite, ni de gauche, a été construite par des hommes de différentes origines idéologiques ; elle ne saurait être la propriété d'un parti ou d'un homme.
C'est un bien en partage et nul n'a le droit de l'annexer, pas plus Sarkozy qu'un autre !


L'ex-président, devenu chef d'un vaste clan, veut faire passer le message selon lequel lui et ses soutiens seraient les seuls républicains, rejetant, ainsi, tous les autres Français hors du cercle constitutionnel. C'est une insulte intolérable !
Pour accréditer sa thèse, il prétend que les socialistes ne sont pas préoccupés par l'avenir de la République mais seulement par l'avenir du socialisme.
Quelle stupidité, surtout lorsqu'on constate que seulement une mince différence sépare la pratique politique de l'ex-UMP de celle du PS qui n'est plus, aujourd'hui, vraiment socialiste, mais plutôt social-libérale.
Et, quand bien même les socialistes seraient restés socialistes, rappelons-nous ce qu'affirmait Jean Jaurès : « Sans la République, le socialisme est impuissant ; mais sans le socialisme, la République est vide. »


La manœuvre de Sarkozy n'est que basse tactique pour essayer de faire oublier les affaires qui le poursuivent, dont il ne parvient pas à se débarrasser, tout en tâchant de rendre plus présentable l'idéologie qu'il incarne et qui est de plus en plus compatible avec celle du Front national.
Son parti, nouveau par le nom, mais antédiluvien par ses principes, présente, en effet, une très grande perméabilité avec les idées véhiculées par les Lepen.
Un ancien ministre de droite, Luc Ferry, a très bien résumé la situation créée par décision de renommer l'UMP en « Républicains » : « Les républicains, comme si nul autre ne l'était ! Comble du ridicule - imposture historique et intellectuelle. »
Le malheur de notre époque, c'est que l'héritage des Lumières, malmené et contesté par l'idéologie capitaliste, n'aura guère été défendu par les gouvernements qui se sont succèdés, et notamment pas par celui, actuel, de François Hollande.
C'est pourquoi nous attendons - sans grande conviction, hélas - que les organisations et associations qui défendent la démocratie et les droits fondamentaux, telles que la Ligue des Droits de l'Homme, s'expriment avec plus de force pour s'opposer à la confiscation de la République.


Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

lundi 1 juin 2015

La France sous anesthésie ...

Dans son édition du 15 mars 1968, Le Monde publiait un article devenu célèbre, (« Quand la France s'ennuie... » ), dans lequel le journaliste Pierre Viansson-Ponté constatait que, dans la société française, « on s’ennuyait ». Quelques jours plus tard, commençaient des événements qui allaient totalement bouleverser les mœurs et les institutions du pays.

Sommes-nous à la veille d'une semblable période de l'histoire de la France et de l'Europe tout entière qui transformerait et nos modes de vie et l'organisation même des pouvoirs publics ? Rien ne le donne à penser si l'on s'en tient à l'état léthargique de notre vieux continent. Et pourtant !

La France ne s'ennuie pas ; elle s'endort. Ou, plus exactement, on l'endort et elle s'anesthésie. D'autres États voisins, reçoivent également, du reste, par les médias, les mêmes somnifères et narcotiques stupéfiants !

Dans un article, « Décortiquer la crise démocratique », publié par Médiapart, le 29 mai 20151, Fabien Escalona fait l'analyse détaillée de la situation de blocage dans lequel se trouvent placées la France et l'Europe. Il donne, en effet, à penser que non seulement les citoyens sont endormis mais qu'ils sont paralysés, anesthésiés par de multiples drogues au premier rang desquelles se trouve la démocratie atteinte par la corruption et la dégradation de ses institutions, voire de ses agents !

L'auteur de ce document propose des références multiples d'écrits convergents qui fondent cette formule : « les craquements sous la surface se multiplient, mais le séisme ne se produit pas ». Autrement dit, nous sommes entrés dans une période où va surgir l'inconnu, car la globalisation de l'économie a engendré une situation instable, intenable, dont la rupture est inévitable. Le volcan sur lequel repose le capitalisme occidental, étendu à deux géants orientaux, est endormi mais explosera. C'est la même la conviction, mais autrement argumentée, plus écologique et pragmatique, que Pablo Servigne & Raphaël Stevens expriment dans leur livre2 consacré à la « collapsologie » (un néologisme utilisé pour identifier l'étude de l’effondrement de la société thermo-industrielle).

Les leçons de mai 1968 ont été enregistrées par ceux qui ne veulent plus perdre le contrôle de leurs pouvoirs économiques et politiques. Pour éviter toute « rechute » dans l'imprévisible, les têtes pensantes de la société libérale, ont conçu et installé des pratiques de la démocratie qui se retournent contre la démocratie elle-même. Ali Kebir interroge, dans un livre concis3, la tolérance des citoyens à l'égard de cette démocratie dévoyée. À le lire, on se demande, avec le philosophe Tony Ferri4 : «  d’où vient le fait que les citoyens admettent aujourd’hui la démocratie sinon comme le bien politique suprême, du moins comme un régime quasi incontestable et presque naturel, alors même qu’elle véhicule des technologies de pouvoir et qu’elle est le résultat de relations complexes (sociales, politiques, historiques, culturelles) autour desquelles gravite l’enjeu majeur de la reconduction, de la conservation, de la perpétuation de la domination d’un groupe (les puissants, les décideurs, les possédants) sur d’autres groupes (les sujets ou « assujettis » démocratiques, les dominés) ».

Nous vivons, dès lors, une douloureuse certitude : d'une part, « ça ne peut plus continuer comme ça ! » mais, d'autre part, on ne sait ni quand ni comment va s'enclencher cette néo-révolution, d'un nouveau type, n'ayant rien à voir avec les précédentes, et qui modifiera - mais à quel prix ? - les relations humaines. Les motifs d'inquiétude s'alourdissent sans que l'on sache par quel voie vont s'avancer soit les catastrophes, soit les bouleversements positifs.

Ainsi la COP21, en France, en décembre 2015, va-t-elle mobiliser l'attention des plus conscients des humains et nul ne sait jusqu'où ira ce mouvement d'opinion. Mais, au niveau des dirigeants des États, cette conférence ne peut qu'échouer puisque ceux qui la préparent sont ceux qui sont la cause du désastre climatique. Et il y a pire : dans notre pays, champion du nucléaire, d'aucuns voudraient nous convaincre que, pour limiter le réchauffement de la planète à +2°, « il faut favoriser le financement des énergies bas-carbone, et parmi elles, le nucléaire ». Sombrent aussitôt dans l'oubli les risques immenses de l'élimination des déchets, les impossibilités de démantèlement des centrales, le lien avec la prolifération de l'armement nucléaire, etc... C'est un mauvais rêve !

Mais ce n'est pas tout : comment avons-nous pu oublier que seulement 1% de l'eau sur terre est potable ? Que 2% sont gelés ? Que le reste est de l’eau salée contenue dans les mers et les océans ? Ou que les débits, lors des périodes estivales, pourraient diminuer de 80% en Europe centrale, de l’Est, et du Sud, au cours des 50 prochaines années ? Le manque d'eau potable s'annonce comme le risque global principal dans une large partie du monde pouvant engendrer de nouvelles et monstrueuses guerres. Voici un autre mauvais rêve !

Il n'y a vraiment pas de quoi s'ennuyer et s'endormir, en France, où l'étroitesse de son territoire et la perméabilité de ses frontières, terrestres et maritimes, ruine toute politique à caractère autarcique et nationaliste. L'enfermement dans des idéologies d'État-nations retarde l'inéluctable mais elles n'empêcheront pas que l'Europe soit d'autant plus visitée qu'elle est un îlot de richesse relative dans un monde où toujours plus d'humains manquent de revenus, subissent d'affreuses sécheresses et craignent les violences de ceux qui les transforment en marchandises.

Que la France s'endorme est certes un péril mais, à l'évidence, c'est un regard global, les yeux tout grand ouverts, que l'ensemble des citoyens, devenus peu à peu, à leur insu mais de fait, des citoyens du monde, ont à porter sur cette planète limitée, dont ils ne peuvent encore sortir et où les frontières des États ne sont plus infranchissables.

La maîtrise de eau, de l'atome, du climat et des migrations internationales est au tout premier rang des préoccupations de chacun mais elle ne semble pas celles de nos représentants, dès lors de moins en moins représentatifs. Le temps de la délégation aux experts, aux élites et aux dotés tire à sa fin. Nous sommes tous directement concernés. La montée de la démographie, la facilitation de la circulation des peuples, l'explosion de la communication par internet et par téléphone ont modifié les rapports des vivants entre eux.

Là s'installe la politique, désormais. C'est de notre vie qu'il s'agit.

 Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

 
1   http://www.mediapart.fr/journal/france/290515/decortiquer-la-crise-democratique
2   Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Le Seuil, 19 €.
3  Ali Kebir, Sortir de la démocratie, L'Harmattan, 2015.
4  Tony Ferry, le 10 mars 2015, dans : http://ici-et-ailleurs.org/spip.php?article484