mardi 28 juillet 2015

François Hollande : ses incohérences et ses contradictions écologiques.


Le 21 juillet dernier, François Hollande, s'exprimant en ouverture du « Sommet des Consciences pour le Climat » a prononcé plusieurs phrases (ici en italique) qui sonnent comme une autocritique de sa propre action. L'une plaide vigoureusement pour les énergies renouvelables :

« Un accord sur le climat signifie renoncer à utiliser 80 % des ressources d’énergies fossiles facilement accessibles dont nous disposons encore. Nous pouvons le vivre comme une contrainte – cela en est une – mais aussi comme une opportunité pour bâtir un monde plus sûr et plus équitable et développer grâce aux progrès technologiques les énergies solaires, éoliennes, géothermiques, hydroliennes, c'est-à- dire les énergies renouvelables qui deviendront à terme la norme et non plus, comme aujourd'hui, l’exception. »

Pareille formulation signifie, – ou alors les mots n'ont plus aucun sens –, que la France va enfin s'engager dans une politique de développement des énergies renouvelables laquelle avait été envisagée et même annoncée, mais jamais lancée, dans notre pays. Rien ne le laisse pourtant présager...

Une autre assertion présidentielle dénonce le mode de vie, de production et de consommation dont nous sommes devenus dépendants :

« La cause profonde de la dégradation de l’environnement et du climat, c’est un mode de vie, un mode de production, un mode de consommation qui n’est plus compatible avec le développement humain. »

La formule est, cette fois, très surprenante : c'est une mise en cause non ambiguë du système économique capitaliste ! Et d'en rajouter au cas où nous aurions mal compris :

« Il est donc temps de proposer des voies nouvelles. La question posée à la grande famille humaine est celle de son destin commun. Nous aurons à revenir sur des modes de vie, des habitudes, mais ce qui est en jeu c’est la possibilité d’amener une population qui n’a jamais été aussi nombreuse à un niveau de vie jamais atteint. »

De quelles « voies nouvelles » est-il question ? « Revenir sur des modes de vie, des habitudes », suppose de sortir de la logique de la « croissance indéfinie », du toujours plus, et conduit à modifier notre rapport à la consommation de masse dans une économie qui, en dépit des avertissements clairs des philosophes et sociologues convivialistes1 reste ultra-productiviste. Mais ce n'est pas la voie empruntée par le gouvernement français si sensible aux arguments et aux revendications du MEDEF.

Et il ne suffit pas d'en appeler au Pape pour inverser cette tendance mondialiste et consumériste précisément prônée comme un dogme religieux :

« C’est dans cet état d’esprit aussi que j’ai lu l’Encyclique du Pape François, qui propose à tous les êtres humains d’entrer en dialogue avec tous, en ce qui concerne notre maison commune. »

La pensée du Pape est clairement plus radicale quand il s'écrie, le 9 juillet, à Santa Cruz, en Bolivie : « Disons-le sans peur : nous voulons un changement, un changement réel, un changement de structures. On ne peut plus supporter ce système, les paysans ne le supportent pas, les travailleurs ne le supportent pas, les communautés ne le supportent pas, les peuples ne le supportent pas... Et la Terre non plus ne le supporte pas, la sœur Mère Terre comme disait saint François. »

Sous le discours de François Hollande on reconnaît l'inspiration de Nicolas Hulot, souvent cité, mais il ne suffit plus de diagnostiquer « la crise de civilisation », pour y échapper.

Car François Hollande, une fois encore, et quoi qu’il dise, ne s’engage pas dans la voie qu’il prétend ouvrir : « Lorsque Nicolas HULOT m’a suggéré d’organiser un Sommet des consciences pour le climat, il m’avait dit qu’il s’agissait d’en faire un moment de pause, – nous y sommes – de réflexion, – je l’espère – en amont de la Conférence sur le climat de décembre prochain pour répondre à une crise de civilisation qui ne dit pas son nom.»

On n’échappera pas à la « crise de civilisation » sans changer de société, sans instaurer une solidarité planétaire, bref sans rompre avec un modèle économique qui ne sait qu'enrichir les riches et appauvrir les pauvres !

La loi de transition énergétique, adoptée par l’Assemblée Nationale dès le lendemain, le 22 juillet, a pour objectif de réorienter le mix énergétique français et notamment la production d’électricité. Pour accélérer le développement des énergies renouvelables les mesures envisagées semblent limitées au regard des objectifs fixés.
En matière d'écologie, ces incohérences présidentielles ne sont pas les premières. En effet, il suffit de relire le discours2 du Président du 14 septembre 2012, tenu lors de la première conférence environnementale au Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) pour se convaincre qu'il ne fait pas ce qu'il dit :
« Comment admettre la dégradation continue des ressources et du patrimoine naturel du monde, comment ne pas voir les effets du réchauffement climatique qui n'est pas une opinion ou une hypothèse, mais un fait scientifique ? Comment ne pas comprendre que le creusement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres constitue à l’échelle du monde un risque majeur ? Comment rester impassible face aux atteintes irréversibles à la biodiversité ? Comment laisser croître notre dette écologique envers les autres ? La question se résume finalement ainsi : serons-nous solidaires des générations à venir ou trop cupides, trop avides pour laisser à nos enfants un fardeau encore alourdi du poids de nos égoïsmes ? »
Les questions sont pertinentes mais les réponses sont trop évasives.

On ne changera pas de civilisation sans changer de société, sans instaurer une solidarité planétaire, bref sans rompre avec le modèle économique industriel et commercial responsable des erreurs majeures soulignées devant le CESE.
Il est grand temps de désigner les responsables de ces désordres planétaires :
- qui pille, sans états d'âme, les réserves fossiles, minérales et animales de la planète ?
- qui modifie le climat au point de remettre en question la présence de l'homme sur la Terre ?
- qui pratique des politiques néocoloniales et suscite des conflits armés pour empêcher le développement des pays émergents et afin de conserver le leadership occidental, notamment en Afrique ?
- qui met en place des politiques économiques qui profitent seulement à une fraction infime de la population mondiale ?
- qui a choisi de creuser les inégalités en acceptant d'appauvrir les pauvres, si c'est le moyen d'enrichir les riches et en appauvrissant les pauvres ?

La réponse est toujours la même : le système économico-libéral génère toutes les atteintes écologiques et sociales que déplore François Hollande. 

Les résistances à toute tentative de sortir de cette domination des marchés et des puissances financières sont si considérables que le gouvernement français objectivement solidaire des très grandes entreprises n'ose ni l'envisager sérieusement ni s'y engager. On vient de le voir aussi, en Grèce, impuissante devant ses créanciers.

Celui qui se disait « ennemi de la finance », en 2012, devenu l'ami des financiers en 2015, est en contradiction avec lui-même et manque totalement de crédibilité pour convaincre d’accomplir, à l'occasion de la COP21, ce qu'il a recommandé devant les participants au « Sommet des Consciences pour le Climat ».


Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

1   Voir le Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance, le Bord de l’eau, juin 2013.

jeudi 23 juillet 2015

Pour pouvoir habiter la Terre, il faut aux hommes être des migrants.


Il y a migrants et migrants. Les personnes à qui l'on donne ce nom, actuellement, sont celles, de plus en plus nombreuses, qui fuient leur pays, par sécurité, pour des raisons urgentes d'ordre politique, économique ou climatique. Il est, en effet, différentes formes de migration : pour s'éloigner d'un danger, pour échapper à la grande misère, à cause de la faim ou de la soif, etc...

Ainsi, les familles ou les célibataires, voire les enfants, qui tentent de traverser la Méditerranée, pour rejoindre l'Europe, sont-ils, sans plus chercher, appelés des « migrants » !

Les migrations transcontinentales ont peu à voir avec les mouvements de population qui concernent des zones géographiques restreintes, comme c'est le cas au sein de l'Europe. Elles brassent les humains sur toute la planète. Elles peuvent bien être combattues par les nationalismes de toutes sortes, racistes ou sectaires, elles sont irréversibles, incompressibles et inéluctables.

L'ampleur actuelle des « flux migratoires », et ce n'est qu'un début, amène à poser différemment la question des déplacements à la surface de la planète.

Cette inévitable et nouvelle approche, permet d'évoquer, avec un esprit plus critique, la désignation des Rroms d'Europe comme des « Rroms migrants ».

On confond souvent nomadisme et migration. Mais les Rroms ne sont ni nomades ni migrants.

Était nomade, et l'est encore, celui ou celle qui cherche un pâturage pour son troupeau.

Est nomade aussi, par extension, quiconque cherche de nouveaux espaces où vivre, sans tenir compte des cadres frontaliers existants.

Il est donc un nomadisme physique, celui des groupes humains en quête, depuis de nombreux siècles, de lieux de vie durables. Mais il est un autre nomadisme, plus complexe à saisir, plus culturel, et concernant tous les êtres humains qui se pensent Terriens d'abord et qui, en esprit autant que par leur corps -même s'ils ne « bougent » pas ou peu-, ne s'enferment en aucun territoire. Non seulement ils n'en privilégient aucun, mais aussi, ils n'en renient aucun. Ces nomades-là sont, en quelque sorte, des citoyens du monde qui se pensent comme « êtres au monde » et non comme « parcoureurs du monde ».

Le migrant, au XXIe siècle, n'est pas un nomade parce que, s'il se rend d'une aire de vie à une autre, c'est, le plus souvent, contre son gré, parce qu'il ne peut faire autrement pour sa sécurité physique ou pour s'assurer des revenus lui permettant de survivre.

Depuis l'aube des temps humains, l'espace terrestre a été occupé par des ancêtres, partis d'Afrique, pour se trouver des lieux où vivre.

Le migrant qui est parvenu à s'installer devient un immigré. L'immigré est donc un « implanté », quelqu'un venu d'ailleurs, par lui-même ou avec sa famille, depuis peu de temps ou depuis longtemps, qui s'incarnera, tôt ou tard dans son nouveau pays. La généalogie nous révèle que nous sommes presque tous issus de migrants-immigrés ayant des origines étrangères.

Mieux habiter la Terre est notre pré-occupation d'êtres humains, notre premier souci. Partager le sol où vivre est au cœur de la condition humaine, mais sans hospitalité, c'est impossible. Cela implique, en effet, de se déplacer, puis de stationner, de trouver accueil, de se vêtir, de se nourrir, de se mettre à l'abri (du froid, du vent, du soleil, de la pluie, de la foudre, du feu, et des concurrents agressifs, hommes ou bêtes). Depuis l'aube des temps humains, l'espace terrestre a été occupé par des ancêtres, partis d'Afrique, pour se trouver des lieux où vivre.

Loin de nous sont les nomades qui, dans la plus haute l'antiquité, ont franchi, à pied, des espaces considérables, occupé des territoires nouveaux et ont inventé des modes de vie adaptés à des environnements très précaires.

Très près de nous, au contraire, sont les nomades que nous sommes tous amenés à devenir, sur une planète de plus en plus limitée où les possibilités de transport ont totalement transformé les déplacements. Si la nécessité fait de nous des migrants, le plus souvent pour « se sauver », ce n'est pas par instinct ou par tradition. La sédentarité n'est pas un acquis. Depuis des dizaines de milliers d'années, les hommes voyagent pour découvrir des espaces où trouver accueil, paix et sécurité.

Les humains sont tous des voyageurs. Nous sommes tous, à cet égard, des migrants. 

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

mardi 21 juillet 2015

Buen Vivir, ou la France du Vivre bien



 Le Buen Vivir, véritable philosophie de vie, est un concept alternatif au développement qui se répand dans le monde entier et trouve un écho de plus en plus large au sein des cercles de réflexion. Edgar Morin y voit le chemin pour éviter le chaos.

« Je me suis toujours fait une certaine idée de la France » a dit et écrit Charles De Gaulle. Sa principale erreur aura été de s'identifier à cette idée de la France au point de promouvoir des institutions où le Chef de l'État n'était plus le représentant des Français mais leur incarnation.

Quand l'un des porte-parole du gouvernement français monarco-républicain dit : « la France », il impose aux Français de penser que la politique qu'il exécute est celle qu'acceptent et soutiennent tous les Français. C'est manifestement faux ! On peut se faire d'autre idées de la France !

Cette conception de la France « éternelle », l'État-nation auquel ses habitants sont prêts à sacrifier leur vie – ce qui s'est passé mainte fois aux XIXe et XXe siècle – est un mythe puissant, qui a servi à construire une unité nationale, voire nationaliste, justifiant l'injustifiable, depuis l'Empire napoléonien, nocif pour l'Europe, funeste pour les Français, jusqu'à l'empire colonial et néocolonial, ravageur pour l'Afrique, taillant dans les territoires planétaires des espaces soumis à la puissance française...

Nous sommes loin de « ma France », celle de Jean Ferrat, celle d'une autre approche de l'histoire, celle des travailleurs, autrement dit celle des salariés, des exploités, des petits-et-sans-grade, celle des « sans », ces oubliés qui, pas à pas, sont, pourtant, les acteurs, les transformateurs, les bâtisseurs de la Cité humaine, à dimension planétaire.

Car c'en est fini de la France imposant ses lois et ses mœurs par la force. Elle n'est plus, avec la Grande-Bretagne, l'exemple du modèle occidental. Elle n'est plus même « la France des droits de l'homme ». Elle est une petite partie de la population humaine qui ne peut être pensée, désormais, qu'en milliards de personnes unies dans un destin commun où prime l'urgence de maintenir une habitabilité après des siècles d'exploitation sans retenue de la faune, de la flore, des minéraux et des richesses halieutiques.

L'action de l'espèce humaine sur Gaïa, la Terre, a ruiné et ruine encore tous les équilibres écologiques indispensables à la vie en communauté. Le concept biblique, « allez et dominez la Terre », relayé par la pensée de René Descartes, le grand philosophe dualiste français, qui sépara l'homme et la nature, a servi de fondement idéologique à la prise de possession des richesses planétaires, sans égard pour les destructions irréversibles engendrées. L'exploitation capitaliste n'aura été et n'est encore que la continuation de ces ravages, gaspillages et autres dilapidations des biens terrestres qui avait commencé avec « les Grandes Découvertes » et dont on ne veut pas reconnaître qu'ils sont inconcevables dans un monde limité.

Les bouleversements climatiques sont, à la fois, les conséquences et l'avertissement que nous adresse la Terre-mère, « la pachamama », comme il est dit, en Amérique du sud, dans la cosmogonie andine.

La France est, certes, capable de ce buen vivir qui conduit à la vie sobre. Mais cela conduit aussi à rompre avec des conceptions de la France incompatibles avec une hospitalité partagée, sur la Terre.

Et ces France qui ne sont pas de notre temps, il n'est pas si difficile de les repérer et de les exclure de notre de notre pensée politique : la France prédatrice du plus et du mieux que les autres qui exploite, sans prudence, en son sein et ailleurs, des richesses qui ne sont pas sa propriété, la France de la surconsommation, la France du spectacle devenu un objet de vente, la France du sport professionnel de compétition, vite transformé en sport-entreprises, la France de la bombe atomique, des centrales et des déchets nucléaires, la France de l'élitisme, la France qui poursuit le terrorisme en en ignorant les véritables causes, la France productrice et faisant commerce d'armes monstrueuses, la France du néocolonialisme africain qui veut porter le feu (ou l'a déjà porté : en Lybie, au Mali, en Syrie, en Irak, en République centrafricaine), la France complice sans vergogne de Moubarak ou de Khadafi, la France qui ne veut se voir telle qu'elle est : un État que ni sa démographie, ni son poids économique n'autorisent à dominer directement ou indirectement aucune partie du monde hors de l'hexagone.

La France du Buen Vivir, ou du Vivre bien est la France qui renonce à distinguer son sort de celui de tous les autres pays du monde et qui, au contraire, fait de l'hospitalité, de la solidarité et du partage l'expression même de sa devise républicaine, donnant ainsi, et enfin, un sens concret et politique à la fraternité. 

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran




dimanche 19 juillet 2015

2005-2015 : d'un référendum à l'autre ou 10 ans pour comprendre.


Nous ne l'avons pas voulue. Nous l'avons eue. L'Europe capitaliste, « coulée dans le marbre » de la constitution d'inspiration giscardienne, rejetée en France, après de longs débats, puis en Irlande et aux Pays Bas, a fini par être adoptée par des biais parlementaires reprenant, à peu près, ce que le référendum avait nettement rejeté. La trahison de Sarkozy et de sa majorité, mais aussi - déjà ! - de « socialistes », à peine masquée dans les brumes du « Traité de Lisbonne », a structuré une organisation de l'Union européenne des plus libérales, sous la coupe des États-puissance ou se croyant tels.

Nous payons, aujourd'hui, le prix de cet alignement et de ce refus de la prise en considération de votes émis dans des conditions indiscutablement démocratiques, c'est-à-dire respectueuses de toutes les formes garantissant l'honnêteté et la clarté des résultats.

Voici dix ans, comme à présent, un vote n'était licite, pour les maîtres de l'économie et de la finance, qu'à la condition de suivre les lois des marchés et des banques.

En 2008, nous avons vu ce que veut dire « lois du marché » : les banquiers n'ont jamais tort. Ils ont partie liée avec les dirigeants d'États prêts à tout leur accorder, y compris le renflouement de leurs immenses dettes.

En 2015, aura explosé le scandale et aura été révélé ce que veut dire « Europe à plusieurs vitesses » : il y a les États qui prospèrent et ceux qui paient.

La rébellion grecque et son referendum net et sans ambiguïté n'ont pas été acceptés par les créanciers d'un pays libre. L'Europe des marchés a refusé qu'un gouvernement de gauche exécute la politique pour laquelle il avait été élu.

Nous en sommes là.

De l'Écosse à la Catalogne, le peuple européen gronde mais il est privé des moyens de se faire entendre.

Le 9 juillet 2015, à Santa Cruz, en Bolivie, le Pape François, qui n'est ni notre maître à penser, ni notre inspirateur, mais qui est l'une des personnalités les mieux informées de la planète, a osé affirmer, déclenchant, alors, les protestations des puissants, que, « quand le capital dirige les choix des êtres humains et que l'avidité pour l'argent régit les systèmes socioéconomiques", l'homme et la nature sont condamnés ».

Karl Marx n'aurait pas mieux dit.

L'avertissement est, en effet, à la hauteur de la menace. Cette nouvelle pensée écologique et anticapitaliste ne s'exprime pas qu'au sein de l'Église catholique ! Nombre d'auteurs, - font - enfin - , la même analyse. L'année 2015 aura marqué un tournant dans l'histoire politique de ce siècle. Le lien entre les perturbations climatiques et les activités humaines déployées dans une logique insensée de croissance illimitée est établi. Un changement des structures économiques s'impose. Il y va de l'avenir de l'humanité.

La prise de conscience des citoyens d'Europe s'enfle. On ne fait pas le bonheur des peuples contre eux-mêmes. On ne peut, dès lors, exclure que des colères se manifestent.

La Grêce, où sont nés les concepts d'Europe et de démocratie, a été humiliée - et avec elle tous les démocrates d'Europe. Elle a subi, de la part de ses créanciers, un coup d'État financier dont les retentissements se répercuteront sur tout le micro-continent, et durant longtemps.

Il faut, à présent, choisir : ou laisser l'Europe des riches, actuellement dominante, poursuivre son action prédatrice ou s'appuyer sur cette expérience dont nous avons été les témoins, qui a été aussi instructive que douloureuse pour donner des contenus planétaires à la solidarité.

Avons-nous, du reste, le choix ?


Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

mercredi 15 juillet 2015

Grèce : Discours de Zoé Konstantopoulou présidente du parlement Grec


Dans les circonstances actuelles, où l'oligarchie européenne s'emploie à étrangler le peuple Grec, nous avons décidé de reproduire ci-dessous le discours tenu par la jeune  Présidente du Parlement Grec appelant à rejeter les propositions iniques et scélérates de l'eurogroupe.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

 
" Mesdames et Messieurs, chers collègues,  en de pareils instants, nous devons agir et parler avec sincérité institutionnelle et courage politique.

Nous devons assumer chacune et chacun la responsabilité qui nous revient.

Protéger, comme notre conscience nous y oblige, les causes justes et les droits sacrés, inviolables et non négociables de notre peuple et de notre société.

Sauvegarder l’héritage de ceux qui ont donné leur vie et leur liberté pour que nous vivions aujourd’hui libres.

Préserver l’héritage des nouvelles générations et celles à venir ainsi que la civilisation humaine, de même que ces valeurs inaliénables qui caractérisent et donnent un sens à notre existence individuelle et collective.

La façon dont chacun choisit de décider et d’agir peut varier, mais personne n’a le droit de se moquer, de dégrader, de dénigrer ou d’utiliser à une fin politique les décisions qui sont issues d’un processus et d’une épreuve qui touchent au cœur de notre existence.
Nous toutes et tous sommes et serons jugés au regard de notre attitude et de nos décisions, de nos oui et de nos non, de nos actes et de nos omissions, de notre cohérence, de nos résistances, de notre abnégation et de notre désintéressement.

Depuis cinq mois, le Gouvernement, qui a comme tronc la Gauche et comme noyau les forces anti-mémorandum, livre un combat inégal dans des conditions d’asphyxie et de chantage contre une Europe qui a trahi les objectifs inscrits dans ses statuts, à savoir le bien-être des peuples et des sociétés, une Europe qui utilise la monnaie commune, l’euro, non pas comme moyen d’atteindre le bien-être social, mais comme levier et instrument d’assujettissement et d’humiliation des peuples et des gouvernements rebelles, une Europe qui est en train de se transformer en une prison cauchemardesque pour ses peuples alors qu’elle a été construite pour être leur maison hospitalière commune.

Le peuple grec a confié à ce Gouvernement la grande cause de sa libération des chaînes du mémorandum, de l’étau de la mise sous tutelle et de la mise sous surveillance qui a été imposée à la société sous le prétexte de la dette, une dette illégale, illégitime, odieuse et insoutenable, dont la nature, comme l’ont démontré les conclusions préliminaires de la Commission pour la Vérité de la Dette Publique, était déjà connue par les créanciers depuis 2010.

Une dette qui n’a pas surgi comme un phénomène météorologique, mais qui a été créée par les gouvernements précédents avec des contrats entachés de corruption, avec des commissions, des pots-de-vin, des clauses léonines et des taux d’intérêt astronomiques dont ont tiré bénéfice des banques et des compagnies étrangères.
Une dette que la Troïka, en accord avec les précédents gouvernements, a transformé frauduleusement de dette privée en dette publique, sauvant ainsi les banques françaises et allemandes mais aussi les banques privées grecques, condamnant le peuple grec à vivre dans des conditions de crise humanitaire, et en mobilisant et rétribuant pour ce faire les organes de la corruption médiatique chargés de terroriser et tromper les citoyens.

Cette dette, que ni le peuple ni le gouvernement actuel n’ont ni créé et gonflé, est utilisée depuis cinq ans comme instrument d’asservissement du peuple par des forces qui agissent à l’intérieur de l’Europe dans le cadre d’un totalitarisme économique.

Au mépris de la morale et du droit, l’Allemagne n’a pas acquitté jusqu’à aujourd’hui ses dettes à la petite Grèce résistante dont l’histoire reconnaît l’attitude héroïque. Des dettes qui dépassent la dette publique grecque et représentent un montant de 340 milliards d’euros selon les calculs modérés de la Commission de la Cour des Comptes qui a été créée par le gouvernement précédent, quand la prétendue dette publique grecque a été chiffrée à 325 milliards d’euros. L’Allemagne a bénéficié du plus grand effacement de dette après la Seconde Guerre Mondiale afin qu’elle se remette sur pied, avec le concours généreux de la Grèce. Or, c’est cette même Allemagne qui a accordé sa protection à des responsables d’entreprises coupables d’actes de corruption avec les précédents gouvernements et leurs partis politiques, comme Siemens, et elle les a protégés en les soustrayant à la justice grecque.

Pourtant, l’Allemagne se comporte comme si l’Histoire et le peuple grec avaient des dettes envers elle, comme si elle voulait prendre sa revanche historique pour ses atrocités, en appliquant et en imposant une politique qui constitue un crime non seulement envers le peuple grec, mais aussi un crime contre l’humanité, au sens pénal du terme car il s’agit ici d’une agression systématique et de grande envergure a contre une population avec l’objectif bien prémédité de produire sa destruction partielle ou totale.

Et malheureusement, alors qu’ils devraient se montrer à la hauteur de leurs responsabilités et du moment historique, des gouvernements et des institutions se rendent complices de cette agression.

Mesdames et messieurs, chers collègues,

Soumettre le peuple et le gouvernement à des conditions d’asphyxie et à la menace d’une violente faillite, par la création artificielle et préméditée des conditions d’une catastrophe humanitaire, constitue une violation directe de toutes les conventions internationales qui protègent les droits de l’Homme, de la Charte de l’ONU, des Conventions Européennes, mais aussi des Statuts mêmes de la Cour Pénale Internationale.

Le chantage n’est pas une fatalité. Et la création et la mise en place de conditions dont le but est de supprimer le libre arbitre, ne permet à personne de parler de liberté de « choix ».

Les créanciers font du chantage sur le gouvernement. Ils agissent frauduleusement alors qu’ils savaient depuis 2010 que la dette n’était pas soutenable. Ils agissent consciemment, puisqu’ils reconnaissent dans leurs déclarations la nécessité de l’octroi d’une aide humanitaire à la Grèce. Une aide humanitaire pour quelle raison ? Pour une catastrophe naturelle imprévue et inattendue ? Un séisme imprévu, une inondation, un incendie ?

Non. Une aide humanitaire qui est la conséquence de leur choix conscient et calculé de priver le peuple de ses moyens de subsistance, en fermant le robinet des liquidités, en représailles à la décision démocratique du Gouvernement et du Parlement d’organiser un référendum et donner la parole au peuple pour qu’il décide lui-même de son avenir.

Le peuple grec a honoré le Gouvernement qui lui a fait confiance ainsi que le Parlement qui lui a donné le droit de prendre sa vie et son destin entre ses mains. Il a dit un NON courageux et fier,

NON aux chantages,
NON aux ultimatums,
NON aux memoranda de l’assujettissement,
NON au paiement d’une dette qu’il n’a pas créé et dont il n’est pas responsable,
NON à des nouvelles mesures de misère et de soumission,

Ce NON, les créanciers persistent obstinément à vouloir le transformer en OUI, avec la complicité perfide de ceux qui sont responsables de ces memoranda et qui en ont tiré profit, ceux qui ont créé la dette.

Ce NON du peuple nous dépasse toutes et tous et nous oblige à défendre son droit à lutter pour sa vie, lutter pour ne pas vivre une vie à moitié ou une vie servile, pour être fier de tout ce qu’il va laisser à ses successeurs et à l’humanité.

Le Gouvernement est aujourd’hui objet d’un chantage afin de lui faire accepter tout ce qu’il ne veut pas, qui n’émane pas de lui et qu’il combat. Le Premier Ministre a parlé avec sincérité, courage, franchise et désintéressement. Il est le plus jeune Premier Ministre et il est aussi celui qui a lutté comme aucun de ses prédécesseurs pour les droits démocratiques et sociaux du peuple et des nouvelles générations, qui a représenté et représente notre génération et lui donne espoir. Je l’honore et je continuerai toujours de l’honorer pour son attitude et ses choix. Et en même temps, je considère de ma responsabilité institutionnelle, en tant que Présidente du Parlement, de ne pas fermer les yeux et feindre ne pas comprendre le chantage. Jamais je ne pourrai voter et légitimer le contenu de l’accord et je crois que la même chose vaut et vaudra pour le Premier Ministre, qui est aujourd’hui l’objet d’un chantage utilisant l’arme de la survie de ce peuple. Je crois que la même chose vaut pour le Gouvernement et les groupes parlementaires qui le soutiennent.

Ma responsabilité envers l’histoire dans cette institution, je l’assume en répondant « présente » au débat et au vote d’aujourd’hui. Je considère ainsi que je suis plus utile au peuple, au Gouvernement et au Premier Ministre, aux générations futures et aux sociétés européennes, en exposant au grand jour les véritables conditions dans lesquelles le parlement est appelé à prendre des décisions et en refusant le chantage, au nom de l’alinéa 4 de l’article 120 de la Constitution.

Le peuple grec est le deuxième à subir une telle agression à l’intérieur de la zone euro. Il a été précédé par Chypre en mars 2013.

La tentative d’imposer des mesures que le peuple a rejetées par référendum, en utilisant le chantage de la fermeture des banques et la menace de la faillite, constitue une violation brutale de la Constitution et qui prive le Parlement des pouvoirs que lui attribue cette même Constitution.

Chacun et chacune a le droit et a le devoir de résister. Aucune résistance dans l’histoire n’a été facile. Cependant, nous avons demandé le vote et la confiance du peuple pour affronter les difficultés et c’est face à ces difficultés que nous devons maintenant réussir. Et sans avoir peur. "

Zoe Konstantopoulou – 13 juillet 2015

Traduction : Yorgos Mitralias (source Médiapart)


mardi 7 juillet 2015

La croissance est indispensable : une fausse évidence.


Quel que soit le journal que l'on ouvre, la radio que l'on entend, la télévision que l'on regarde, tout doute est aboli dès qu'on évoque la sacro-sainte "croissance".

On comprend très vite que ce mot tabou recouvre bien plus que la progression de la production. C'est le capitalisme lui-même. Ce qui n'augmente pas est illégitime. C'est vrai des produits matériels et, désormais, plus encore, des produits financiers.

La perversité du "plus" à tout prix n'est même pas envisagée.

L'austérité elle-même est dénoncée par les productivistes solidaires des foyers modestes comme une violence liée à l'absence de croissance.

Produire moins et mieux semble relever pour la majorité de la classe politique d'un discours utopiste plus encore qu'utopique.
Oser le mot sobriété nous enfonce, cette fois, dans un moralisme irresponsable.
Il faut combattre le concept de croissance économique. Il ne suffit pas d'en constater le recul irréversible dans l'économie occidentale. il faut en démontrer la nocivité.
Ce qui étonne c'est que cette nocivité, non seulement, ne soit pas une évidence, mais plus encore puisse être comme une incongruité ! l'évidence est insensée !
Celui qui dénonce cette nocivité est considéré comme un complotiste, un traître, presque comme un dangereux terroriste.
On voit bien croître le nombre des adversaires de la croissance, mais, on est bien loin encore d'avoir atteint le seuil critique, celui à partir duquel les tenants de cette fausse évidence seront bouches-cousues car conscients de leur déraison et de leur irresponsabilité.

Tous les discours obligés sur la croissance font partie du conditionnement de l'opinion publique et il faut leur donner une contestation politique car il ne s'agit pas d'une question économique, mais, d'une question de philosophie politique.

Les hommes peuvent-ils vivre sur une planète dont on nie les limites, dont on gaspille les ressources et dont on ne recherche ni le renouvellement, ni le remplacement ?

Notre conception de la condition humaine est en jeu. Le sort de tous les modestes de la Terre qui ne sont plus pensés comme nos égaux en humanité avec qui tout doit être partagé non pas dans l'égalité absolue mais la justice effective est en cause.

La contestation du capitalisme a changé d'âme. Elle fut d'abord un rejet des injustices, de la domination des pauvres par les riches, du travail par le capital. Les producteurs de richesses n'en étaient pas suffisamment les bénéficiaires. C'était la lutte des classes.

On a vécu dans l'insouciance. Le temps s'est écoulé, sur deux siècles au moins et voici qu'il apparaît que l'injustice prend de l'ampleur. L'espèce humaine a cru : 7 milliards de vivants et plus mais cette croissance là n'a pas été prise en compte parce qu'elle obligeait au partage des biens, des services, des revenus et mettait le système économique en difficulté, voire en contradiction avec lui-même. Alors, On a "planétarisé" l'exploitation de la Terre et, ainsi, généralisé un mode de vie qui sécrète l'inégalité et la violence.

Il devient indispensable de globaliser la lutte contre le capitalisme qui n'est plus seulement l'exploitation de l'homme par l'homme, mais l'exploitation de la Terre par les terriens et de la majorité de l'humanité par une minorité. Il n'y a plus, sur le fond, d'écart entre les luttes sociales et les luttes écologiques. On le savait depuis longtemps, mais, le renoncement au principe du mieux par le plus - et vite - est impensable par nombre de ceux qui se croient encore "les représentants de la classe ouvrière", qui sont disciples de la croissance et donc idéologiquement à l'aise à l'intérieur d'un système qu'ils contestent sur la forme et peu sur le fond.

La quasi totalité des partis politiques se sont convertis à la croissance, mais oublions les ! car ils sont devenus de simple outil de conquête et de prise de pouvoir, qui perdent presque toujours leurs fins et donnent seulement des moyens théoriques et pratiques à ceux qui jouissent d'en être les chefs ou les bénéficiaires ...

Ceux qui en souffrent le plus se sont même convertis à la croissance .
Comment faire passer le slogan trop simple mais nécessaire : lutter contre le capitalisme (c'est à dire l'exploitation des pauvres par les riches.) c'est lutter pour chaque terrien en s'opposant, partout et en tous lieux, à la dégradation de la Terre-mère.

Nous avons en Europe conservé une logique coloniale : tous les hommes ne peuvent vivre heureux. Contentons-nous de préserver notre civilisation ("La Corrèze avant le Zambèze" du sinistre Le Pen, fut une formule au fond partagée par une majorité des Français.)

Nos discours républicains sur l'égalité et la fraternité ont été engloutis sous ceux consacrés au "Monde libre". La liberté, dont on attendait tout et faussement le droit à la richesse pour tous, devient, et on l'a constaté très vite, un principe abstrait perdant sa substance dès qu'elle fut dissociée de l'égalité.

En 2015, pour sauver la liberté, il est impératif de développer l'égalité maximale, ce qui, bien entendu, bouleversera notre mode de vie et nécessite l'apport et l'engagement de tous.

Vivre autrement fait partie de la sortie du capitalisme, mais, ne sera pas acceptée sur le champ, car échapper au monde de la surconsommation, de la publicité permanente, de la satisfaction du désir avant celle du besoin ne peut aller de soi, mais c'est pourtant un impératif à la survie de l'humanité.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran