dimanche 29 décembre 2019

LA RECONNAISSANCE FACIALE

Le système :

Par un décret, très discret de mai 2019, l'Agence des Titres Sécurisés (ANTS) ambitionne de créer une « identité numérique » pour chaque citoyen français afin de faciliter l'accès à certains services administratifs ou commerciaux sur internet à partir d'un passeport biométrique ou /et d'un titre de séjour électronique.

Une personne pourra grâce à son identité « virtuelle » se connecter à tous les sites reliés à FranceConnect1 (Impots.gouv, Ameli, l’assurance retraite, banques, entreprises privées, etc.). 

Pour se connecter, il faudra posséder un téléphone NFC sous Android, puis créer un compte en scannant la puce biométrique du titre électronique (passeport ou carte de séjour). Le système récupérera les données stockées sur la puce. La dernière étape consistera à bouger, face à l'écran de votre téléphone, pour que la caméra capture les traits de votre visage en mouvement et ainsi votre « identité numérique » sera créée.

Cette « identité numérique » comportera vos informations personnelles de base : nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, sexe, taille, couleur des yeux, adresse, photo du document d’identité, mais aussi la photo et vidéo enregistrée lors de la reconnaissance faciale, numéro de téléphone portable et enfin l’adresse mail, ainsi que les données administratives du document officiel d’identification (numéro du titre, autorité et lieu de délivrance, expiration, etc.)

Enfin, votre historique d’utilisation sera également stocké tant que le compte sera actif. S’il est inactif, il faut attendre six ans pour que ces données personnelles soient supprimées (??). Ces informations pourront être transmises aux fournisseurs de téléservices liés par convention à FranceConnect ou à l’ANTS.

Bien entendu, les services gouvernementaux insistent sur le haut niveau de sécurité qui garantira la confidentialité de vos données personnelles qui seront toutes chiffrées. On sait pourtant qu'en général, les voleurs courent plus vite que les gendarmes.


Ces systèmes sont conçus par le leader mondial de la reconnaissance faciale : la société allemande DERMALOG (Dermalog Identification Systems GmbH) qui se vante d'avoir développé la reconnaissance faciale la plus rapide au monde : « elle compare un milliard de visages parseconde. »


Une étude de juin 2016 estime qu'avant 2022, le marché mondial de la reconnaissance faciale devrait générer 9,6 Md de dollars de revenus, porté par un taux de croissance annuel moyen de 21,3% sur la période 2016-2022. En 2018, les secteurs les plus porteurs sont la Sécurité, la santé et le commerce.


Ces deux éléments ci-dessus expliquent certainement l'emballement macronien à mettre en place ce système dans notre pays : l'aide au développement mondial d'un fleuron2 européen sur un secteur en forte croissance.


Un peu d'histoire, la vidéosurveillance :

La vidéosurveillance connaît une croissance exponentielle, pourtant la légitimité du système n'a jamais pu être démontré en France depuis l'installation des premières caméras. On peut, d'ailleurs, suspecter des actions volontaires d'obstruction des responsables des politiques publiques qui se contentent de donner l'exemple des attentats du métro londonien, exemple manifeste d'inefficacité préventive du système.

Installée, dans la plupart des cas, sans aucun encadrement juridique, sans aucune transparence et sans débat public, la vidéosurveillance ne satisfait pas de nombreux acteurs publics et industriels. Pourtant, on a, au détriment des conséquences pour nos libertés, accéléré et facilité le déploiement de ces dispositifs.

Plus fort encore, pour essayer de supprimer l'image négative du système, on l'a rebaptisée « vidéoprotection », selon la stratégie marketing du renaming et la Commission Nationale de Vidéoprotection (CNV), initiatrice du basculement sémantique, institutionnalise le lobbying privé autour de la vidéosurveillance.

Pourtant, tout un chacun sait qu'elle surveille, mais ne protège pas.

Seulement quelques enquêtes d'opinion ont été réalisées. En 2008, la société IPSOS avait révélé que 71% des Français se disaient très ou plutôt favorables à l'installation de caméras de vidéosurveillance, cependant la validité de ce soutien n'a jamais été prouvée et plusieurs études ont démontré que les avis favorables reposaient souvent sur une méconnaissance du dispositif et de ses capacités, voire sur une manipulation des questions qui en orientant les réponses modifiait sensiblement les résultats.


Conclusions :

Avec la reconnaissance faciale, nous reprenons le même chemin obscur que pour la vidéosurveillance.
Au prétexte de sécurité et de confort, le gouvernement veut imposer la reconnaissance faciale.
Pas de transparence, pas de concertation, pas de débat public, alors que c'est une technique exceptionnellement invasive et déshumanisante qui permet, à plus ou moins court terme, la surveillance permanente de l'espace public. 
Elle fait des citoyens des suspects permanents. 
Elle attribue au visage non plus une valeur de personnalité mais une fonction de traceur constant, le réduisant à un objet technique. 
Elle permet un contrôle invisible. 
Elle impose une identification permanente et généralisée. 
Elle abolit l'anonymat.

Au-delà de quelques agréments anecdotiques : utiliser son visage plutôt que des mots de passe pour s'authentifier en ligne ou activer son téléphone, aucun argument ne peut justifier le déploiement d'une telle technologie.

Ses seules promesses effectives sont de conférer à l'État un pouvoir de contrôle total sur la population, dont il ne pourra qu'être tenté d'abuser contre ses opposants politiques et certaines populations, comme on l'a vu avec la loi sur l'état d'urgence.

Le Parlement et le gouvernement français doivent interdire tout usage sécuritaire de dispositifs de reconnaissance faciale actuels ou futurs.

De telles interdictions ont déjà été décidées dans plusieurs villes des États-Unis. 

La France et l'Union européenne doivent aller encore plus loin et, dans la lignée du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), construire un modèle européen respectueux des libertés.

Il faut aussi renforcer les exigences de protection des données à caractère personnel et limiter les autres usages de la reconnaissance faciale : qu'il s'agisse d'authentification ou d'identification privée, l'ensemble de ces dispositifs ne sont pas assez protecteurs des atteintes à la vie privée ; ils préparent, et banalisent une société de surveillance de masse.

Jean-Claude VITRAN



1.  Listes actuel des partenaires : https://partenaires.franceconnect.gouv.fr/references
2   Nous n'avons pas réussi à savoir si des financiers français sont au capital de DERMALOG.

mardi 17 décembre 2019

Le Gouvernement joue avec le feu



Où le gouvernement entend-il conduire le pays et dans quel état compte-t-il l’y amener ?

La France connaît un mouvement revendicatif d’une puissance exceptionnelle. Grèves et journées d’actions se succèdent pour refuser un projet de réforme des retraites qui n’a pas l’assentiment d’une écrasante majorité de la population. Fait rare et remarquable, malgré leurs différences d’approches et de propositions, toutes les organisations syndicales se rejoignent dans leur rejet et dans leur détermination à ne pas laisser faire. Pour autant, le gouvernement campe sur ses positions tandis que le président se réfugie derrière une « écoute attentive ».

En presque trois ans de mandat ce gouvernement a détruit des pans entiers des droits sociaux, avec des ordonnances réformant le Code du travail au détriment des salariés, en réduisant drastiquement les droits des chômeurs et maintenant en portant un projet de réforme des retraites que les syndicats et une très large partie de la population analysent comme une régression.

A chaque fois, les pouvoirs publics ont refusé et continuent de rejeter tout compromis social au travers d’un refus revendiqué de réelles négociations au profit de rencontres, discussions, points d’étapes, dialogue, concertation, toutes expressions qui ne peuvent cacher qu’il entend imposer et non négocier.

Cette politique a été d’autant plus ressentie comme du mépris social qu’elle s’est accompagnée de décisions fiscales ne bénéficiant qu’aux plus aisés sans que les mesures ponctuelles de rattrapage du pouvoir d’achat ne changent cette logique.

C’est dans ce mépris des attentes majeures d’égalité et de justice sociale qu’il faut trouver la source de la longue séquence dite des Gilets jaunes ou la très forte mobilisation des personnels hospitaliers auxquelles ni les postures ni les politiques gouvernementales ne répondent.

En s’abstenant de débattre publiquement de toutes les conséquences de la réforme envisagée, voire en en dissimulant les conséquences, le gouvernement accrédite l’idée qu’il demande un blanc-seing pour mieux porter atteinte, une nouvelle fois, à des droits sociaux fondamentaux.

Ce sentiment d’injustice est renforcé par les atteintes apportées au droit de manifester qui fait qu’on ne compte plus les yeux crevés, les mains arrachées, les manifestants, les journalistes, les observateurs et défenseurs des droits gazés, battus, humiliés ou sanctionnés.

Communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme






lundi 9 décembre 2019

La Démocratie est en danger.



Depuis quelques décennies, je pense que la démocratie n’est pas toujours synonyme de défense des libertés et du droit des minorités.

L’Etat libéral confronté aux problèmes de la croissance économique intervient de plus en plus dans la sphère sociale et le peuple, anesthésié, attend passivement la résolution de tous ses problèmes. En laissant les gouvernants régler leurs comportements et agir à leur guise, les individus abandonnent, progressivement, des parcelles de leurs libertés.

Confrontés à des revendications légitimes mais qui remettent en cause le fonctionnement du néolibéralisme et le capitalisme spéculateur, il semble que les gouvernements libéraux ont l'idée de promouvoir des systèmes de surveillance et de contrainte de plus en plus sophistiqués pour faire taire la contestation.

Nous sombrons dans une sorte de totalitarisme mou abordé par Hans Jonas dans son livre le « Principe responsabilité » et Hannah Arendt dans « Les origines du totalitarisme ».

Ce Système s'impose en Occident depuis la chute du communisme et incarne une forme nouvelle et singulière de totalitarisme qui s’exerce au nom de la « libération » de l’homme prônée par l’idéologie néolibérale de l’oligarchie.

Les Français, principalement, sont victimes d’une imposture qui déconstruit la société et les plonge dans la désespérance. Le Système, qui repose sur l’idéologie libérale/libertaire, et se fonde en apparence sur la liberté puisqu’il prétend « libérer » l’homme n'est en réalité d’une illusion.

Les prétendus libéraux sont en réalité des totalitaires et notre peuple est victime d’une supercherie. Ils veulent nous imposer leur idéologie par la contrainte, par la répression judiciaire et policière, par des mesures discriminatoires, par des réglementations liberticides, par la propagande médiatique ...
Leur tolérance s'arrête à ceux qui partagent leurs idées et adhèrent à leur projet. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » disent-ils en désignant, bien sûr, les ennemis en question.

Ces points précis, qui concernent, directement, nos libertés individuelles et nos droits fondamentaux confirment qu’il est légitime de se questionner sur la confiance en l’Etat que l’on peut avoir au regard du respect du droit et sur son glissement vers une dégradation de la démocratie.

On a pu le constater lors des affrontements des gilets jaunes avec des forces de police en surnombre, habillés en robocop, destinées à « combattre » comme on le ferai contre l'ennemi d'un pays hostile - 3830 blessés, 8700 gardés à vue, 13460 tirs de LBD 40, 1428 tirs de grenades - Une forme de maintien de l’ordre dont les dérives sont inquiétantes pour les libertés fondamentales et le droit de manifester.

Cette dernière décennie, sous prétexte de sécurité, on a partout développé la video surveillance, aussi hypocritement appelée vidéo protection mais qui ne protège pas. Maintenant, comme en Chine, « pays reconnu pour son respect des droits de l'Homme », le gouvernement d'Emmanuel Macron envisage de généraliser la reconnaissance faciale.

C'est une technique, particulièrement intrusive et liberticide qui permet d’authentifier ou d’identifier une personne à partir des traits de son visage. Les enjeux de protection des données et les risques d’atteintes aux libertés individuelles que de tels dispositifs sont susceptibles d’induire sont considérables, dont notamment la liberté d’aller et venir anonymement et qui violent les droits fondamentaux. (Propos de la CNIL)

Malgré que l'on sache depuis toujours que les gouvernements ont peur du peuple et qu'ils n'aiment pas la liberté, cela questionne de constater que le gouvernement d'Emmanuel Macron, plutôt centriste, même s'il penche à droite, envisage des systèmes de contrôles sociaux digne des pires dictatures. Il nous mène vers le monde, satisfaisant pour lui, mais avilissant pour nous, de la servitude administrative, comme le constate l'avocat constitutionnaliste François Sureau1 qui écrit, par ailleurs, : « Les lois liberticides prospèrent sur notre démission collective ».

On en arrive à se demander si l'amour de la liberté et de l'Etat de droit n'est plus simplement qu'un propos de comptoir.

Même si je suis septique d'un sursaut de mes contemporains, je préfère comme Georges Bernanos2 rester optimiste : « Que voulez-vous ? La liberté est partout en péril mais je l'aime. Je me demande parfois si je ne suis pas l'un des derniers à l'aimer, à l'aimer au point qu'elle ne me paraît pas seulement indispensable pour moi, car la liberté d'autrui m'est aussi nécessaire. »

Jean-Claude VITRAN



1  François Sureau – Pour la liberté – Editions Taillandier

2  Georges Bernanos – Le chemin de la Croix des Ames - 1943 - Editions du Rocher

jeudi 5 décembre 2019

Lettre ouverte ouverte de l’Observatoire de la liberté de création à l’attention du cinéma l’Utopie

D'ou qu'elles viennent les atteintes à la liberté d'expression sont insupportables  -  Jean-Claude Vitran

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Madame, Monsieur,

Nous avons été alertés, notamment par un communiqué de la société de distribution Les films des deux rives, ainsi que par la presse, des menaces d’incendie à l’encontre du cinéma l’Utopie de Sainte-Livrade (47) s’il maintenait la projection, programmée le samedi 23 novembre, du film documentaire Résistantes réalisé par Fatima Sissani.


Le directeur du cinéma a finalement décidé d’annuler la projection qui devait être suivie d’un débat en présence de la réalisatrice du film, privant les spectateurs de découvrir ce film et d’en parler librement à l’issue de la projection.


La manifestation était organisée dans le cadre des AOC de l’égalité, en partenariat avec la revue Ancrage.


Le directeur du cinéma l’Utopie a précisé pour expliquer la démarche du film : « Par la visite des camps de Bias, Sainte-Livrade et du Cafi, nous souhaitions, avec Fatima Sissani, donner la parole à des femmes d’hier à aujourd’hui. »


La société de distribution Les films des deux rives ajoute : « Les spectateurs de Sainte-Livrade ont été ainsi privés des témoignages d’Eveline Safir Lavalette, Zoulikha Bekaddour, Alice Cherki, résistantes engagées dans la lutte pour la libération de l’Algérie. »


Plusieurs associations* du département du Lot-et-Garonne, en région Nouvelle-Aquitaine, se sont réunies contre cet état de fait. S’ils tiennent « à reconnaître la souffrance des Harkis, victimes comme l’ensemble du peuple algérien de la politique coloniale de l’Etat français et qui ont été les oubliés de l’histoire après 1962 », les signataires demandent « que des poursuites soient engagées contre les individus ayant censuré la projection du film et que la liberté d’expression soit garantie dans les cinémas et les espaces culturels ».


Les signataires expliquent : « Avec clarté et pudeur, des femmes racontent l’Algérie coloniale, la ségrégation, le racisme, l’antisémitisme, la prison, la torture, les solidarités, la liberté… pour lancer un appel à la paix, (…). À Sainte-Livrade, la diffusion n’a pas été possible à cause d’une poignée d’individus se prétendant représentatifs de la communauté harkie et dénonçant un film insultant et la présence d’une supposée représentante du FLN. (…) Ces individus ne connaissaient pas le contenu du film mais cela leur importait peu. Même la cause harkie ne semblait pas les préoccuper car pour eux les femmes témoignant dans le film n’étaient pas des « résistantes » mais des « terroristes » et ils ont piétiné le drapeau algérien devant le cinéma.».


Au témoignage de ceux qui ont pu le voir, le film documentaire Résistantes n’évoque à aucun moment les Harkis.


L’expression de la violence devant les salles de cinéma pour y interdire les projections de films est non seulement inexcusable, car elle prive le public de débat, mais elle est réprimée par la loi.


L’Observatoire de la liberté de création, avec l’ensemble de ses partenaires, apporte son soutien au cinéma l’Utopie, à la réalisatrice Fatima Sissani, à la société de distribution Les films des deux rives et, en règle générale, aux cinéastes, aux sociétés de production et distribution de films indépendants, ainsi qu’à toutes les femmes qui ont témoigné dans ce documentaire, dans leur volonté à exposer leurs idées, leur parole, leur liberté et la mémoire de leurs actes.


Nous demandons que la projection du film Résistantes, au cinéma l’Utopie, soit reprogrammée.


Qu’un débat soit organisé à l’issue de la séance afin que les spectateurs présents, après avoir vu le film, puissent échanger leurs points de vue, fussent-ils éloignés, dans un climat d’écoute mutuelle et de discussion.


L’Observatoire de la liberté de création se tient, dans la mesure de ses moyens bénévoles, à la disposition des instances concernées et des structures de diffusion pour que la loi soit respectée.


 « Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »  II.-L’article 431-1 du Code pénal-LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016


Paris, le 4 décembre 2019


*L’écran livradais-Cinéma l’Utopie ; Les Montreurs d’Images ; Les Porteurs d’ID ; Repères ; la revue Ancrage ; Atel4 ; Solidarité Réseau d’éducation sans frontières 47 ; La Maison des Femmes ; Attac Villeneuve-sur-Lot ; la Ligue des droits de l’Homme de Villeneuve-sur-Lot ; le MRAP ; Palestine 47. Les AOC de l’égalité en Nouvelle-Aquitaine (collectifs d’associations) ; La courte échelle.ed Transit ; Hendaia Film Festival ; Syndicat des quartiers populaires de Marseille ; Approche culture et territoire ; 24images ; Mémoire en marche ; 360° et même plus (collectif de cinéastes) ; Les films des deux rives.


mardi 26 novembre 2019

Une somme d’annonces techniques et répressives ne fait pas une politique ambitieuse contre les violences sexuelles et sexistes.


Le succès historique de la manifestation du 23 novembre 2019 témoigne du fait que les violences sexuelles et sexistes ont aujourd’hui trouvé un écho inédit dans l’opinion publique. Pour le gouvernement, le moment est donc venu de montrer qu’il entend prendre en compte le niveau d’exigence et de mobilisation qui s’est ainsi exprimé partout en France. Les annonces faites après le Grenelle des violences conjugales auraient dû être l’occasion de montrer qu’il s’agit bien de faire de cette question « une grande cause nationale », comme l’avait annoncé le candidat Macron. 

Les propositions faites ce 25 novembre 2019 comportent certes des aspects positifs, mais elles restent très insuffisantes. Centrées sur un renforcement de l’arsenal répressif et sur quelques modifications législatives, elles reprennent parfois des mesures déjà existantes et, globalement, s’apparentent davantage à des corrections qu’à une révolution en profondeur des institutions, alors même qu’un récent rapport a mis en lumière les sérieux dysfonctionnements de la justice. On peut notamment regretter que ne soit pas évoquée la question des femmes d’origine étrangère victimes de violences. Il est pourtant indispensable que soient mises en place des dispositions qui permettraient de mieux appréhender toutes les situations de précarité administratives auxquelles celles-ci sont encore confrontées et que l’octroi de l’asile leur soit facilité. 

Une fois de plus, le gouvernement s’est tourné vers un renforcement de la répression, en faisant peu de cas de la prévention avant que des violences ne soient commises. Sans tout un travail pluri-professionnel de prévention, le slogan « Pas une de plus » restera un voeu pieu. 

La LDH demande que les moyens financiers nécessaires soient effectivement mobilisés pour former l’éventail des professionnels en contact avec les victimes, à commencer dans la police et la gendarmerie pour le moment crucial de la plainte. Il n’est pas nécessaire d’attendre les résultats d’un audit sur le sujet. De même, les moyens financiers importants sont nécessaires pour que la France tienne ses engagements au regard de la Convention d’Istanbul, notamment en matière de création d’hébergements dédiés aux femmes victimes de violences conjugales, de lutte contre les violences économiques ou pour rendre plus large et effectif le recours aux ordonnances de protection. Il convient également de prendre des mesures pour assurer la prise en charge des enfants témoins d’homicides conjugaux. Le soutien aux associations ne doit pas se faire en les mettant en concurrence, ni en leur donnant via l’Etat ce qu’on leur retire via les collectivités territoriales rendues exsangues. Enfin, la justice dans son ensemble doit avoir les moyens de fonctionner convenablement pour que les délais ne soient pas tellement longs qu’ils en deviennent dissuasifs. 

Avec les 360 millions de crédits annoncés, on est loin d’un budget de rupture et du milliard d’euros demandé par les associations féministes. S’il y a, dans les annonces du gouvernement, un certain nombre de mesures intéressantes et techniques, on attend encore un projet d’ampleur et transversal, qui se donne les moyens humains et financiers de ses ambitions affichées. 

Communiqué de la Ligue des droits de l'Homme

mercredi 25 septembre 2019

Jean-Michel Blanquer : l’excommunicateur de parents d’élèves





Communiqué de la Ligue des Droits de L'Homme que nous relayons.


Le ministre de l’Education nationale est intervenu, ce mardi 24 septembre, auprès de la FCPE pour faire « corriger » l’une des cinq affiches de sa campagne pour les élections de parents d’élèves représentant l’accompagnement d’une sortie scolaire par une mère portant un voile. La qualifiant d’« erreur » et l’accusant de « flatter le communautarisme », Jean-Michel Blanquer s’arroge un pouvoir d’appréciation hors de tout cadre légal avec une vision contraire aux textes en vigueur en matière de laïcité. 

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) dénonce une grave atteinte à la liberté d’expression associative et une intervention politique en violation du principe de neutralité dans le cadre d’un processus électoral. La critique de cette affiche déjà partagée de manière insultante sur les réseaux sociaux par le fondateur du Printemps républicain, révèle un jugement dogmatique porté au nom d’une vision restrictive de la laïcité, à l’opposé des textes applicables en la matière.

Si la loi du 17 mars 2004 prévoit que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit », la LDH rappelle que ces restrictions comme le principe de neutralité des fonctionnaires, ne s’appliquent pas aux non-fonctionnaires, ni aux auxiliaires de l’Education nationale dans le cadre des sorties scolaires. La circulaire Chatel de 2012 visant à étendre ces contraintes aux accompagnateurs, a été désavouée par le Conseil d’Etat en décembre 2013, qui a précisé que les mères accompagnatrices sont à considérer comme des « usagers » du service public non soumises aux exigences de neutralité religieuse qui s’impose aux agents de l’Etat et assimilés. Cette position de droit a été rappelée par l’Observatoire de la laïcité (en octobre 2014) et par le Défenseur des droits, de manière constante, dans ses décisions. 

Refusant une laïcité d’exclusion, la LDH réaffirme sa pleine solidarité avec la FCPE pour offrir une juste place à tous les parents dans la vie scolaire, sans discrimination. Attachée à la loi de 1905, qui, dans son article 1, promulgue la liberté de conscience et de culte, et, dans son article 2, la neutralité de l’Etat et de ses fonctionnaires, la LDH défend inlassablement le principe selon lequel la liberté est la règle et sa limitation l’exception, et s’opposera à toute tentation d’étendre l’exigence de neutralité de l’Etat à la société tout entière.  

Paris, le 25 septembre 2019


jeudi 7 mars 2019

Une proposition de loi contre la liberté de manifester


Communiqué commun signé par 52 organisations, dont la LDH


Si la loi est votée par le Parlement au nom du peuple français, elle ne peut et elle ne doit pas porter atteinte à la libre expression du peuple. La proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale qui prétend encadrer le droit de manifester constitue une atteinte grave aux libertés publiques et à l’équilibre des pouvoirs.

Les violences contre les personnes, les biens, les institutions qui ont eu lieu ne peuvent justifier qu’un exécutif s’arroge des pouvoirs exorbitants et décrète qui peut ou ne peut pas manifester. Participer à une manifestation ne saurait pas plus signifier le risque pour tout individu d’être poursuivi, fiché et condamné pénalement comme financièrement.

Soumettre les participants et les participantes à une manifestation à une fouille systématique, confier aux préfets le pouvoir d’interdire à une personne de manifester, y compris sans qu’elle ait connaissance de l’interdiction prononcée et donc sans recours effectif possible, faire d’un visage en partie couvert un délit,  voici l’esprit et la lettre de mesures qui sont autant d’empêchements à l’exercice d’un droit essentiel en démocratie : celui de manifester publiquement, collectivement et pacifiquement son opinion.

Cette loi de circonstance porte un lourd risque d’arbitraire des gouvernements d’aujourd’hui comme de demain. C’est pourquoi nous appelons solennellement le gouvernement et le Parlement à abandonner ces mesures qui violent les principes les plus fondamentaux d’un Etat de droit.


Liste des 52 organisations signataires : Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) ; Action non-violente COP21 (ANV-COP21) ; Alternatiba ; Amnesty international France ; Association européenne pour la défense des droits de l’Homme (AEDH) ; Association France Palestine solidarité (AFPS) ; Attac ; CCFD-Terre solidaire ; Centre de Recherche et d’Information pour le Développement (CRID) ; Collectif d’avocats antirépression ; Comité la Vérité pour Adama ; Confédération générale du travail (CGT) ; Confédération paysanne ; Droit au logement (DAL) ; Droit solidarité ; Emmaüs France ; EuroMed Droits ; Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s (Fasti) ; Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ; Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR) ; Fédération française des motards en colère (FFMC) ; Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) ; Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) ; Fédération nationale de la Libre pensée ; Fédération nationale des Francas ; Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) ; Fédération syndicale unitaire (FSU) ; Féministes contre le cyber harcèlement ; Fondation Copernic ; France Nature Environnement (FNE) ; Gilets jaunes de Commercy ; Greenpeace ; La Cimade ; La Quadrature du Net (LQDN) ; Le Planning familial ; Les Amis de la Terre France ; Les Effronté-e-s ; Ligue de l’enseignement ; Ligue des droits de l’Homme (LDH)  ; Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) ; Osez le féminisme ! ; Oxfam France ; Réseau Sortir du nucléaire ; SOS Racisme ; Syndicat de la magistrature (SM) ; Syndicat des avocats de France (SAF) ; Syndicat national des journalistes (SNJ) ; Syndicat national des personnels de l’éducation et du social (SNPES PJJ/FSU) ; Union nationale des étudiants de France (Unef) ; Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) ; Union nationale lycéenne (UNL) ; Union nationale lycéenne syndicale et démocratique (UNL-SD).


jeudi 14 février 2019

L’antisémitisme : Ne lui laissons pas relever la tête


Communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme

Treize ans après l’assassinat ignoble d’Ilan Halimi, l’antisémitisme se manifeste pour ce qu’il est : lâche, ignoble, dangereux. Le 13 février 2006, on retrouvait le corps sans vie et sauvagement mutilé d’un jeune homme, assassiné après quatorze jours de torture. Pour la seule raison qu’il était juif. D’autres morts sont survenues par la suite, d’autres attentats ont ensanglanté l’actualité.

A chaque fois, la France a manifesté son effroi, sa colère et sa volonté de ne pas se laisser intimider et de rester campée sur les valeurs de la République. Au diapason de cette affirmation d’humanité, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), comme toutes les associations antiracistes, a dénoncé le crime, manifesté dans l’espace public son deuil et sa détermination, a engagé les pouvoirs publics, les citoyennes et les citoyens à ne pas baisser la garde face aux idéologies racistes, à mobiliser des moyens, pour l’éducation comme pour la répression, à s’opposer aux idéologies de divisions et de mises en opposition des uns avec les autres. 

Des progrès ont été faits, beaucoup restent à faire. Et le temps presse. Voilà en effet que, profitant d’une période où les pouvoirs publics, les médias, les élus nationaux et territoriaux voient leur légitimité mise en cause de façon exacerbée, des individus multiplient les provocations immondes : le mot « Juden » stigmatise, à la peinture jaune, la devanture d’une boulangerie juive, des croix gammées sont appliquées sur le visage de Simone Veil, les arbres plantés en hommage à Ilan Halimi sont tranchés. Tout cela surgit sur fond d’un déversement régulier de propos anonymes sur les réseaux sociaux, où se mêlent antisémitisme, théories conspirationnistes, propos outrageusement mensongers, alors que des slogans d’extrême droite réapparaissent sur les murs et que des quenelles sont soigneusement mises en scène à destination des médias. Aucun de ces actes ne peut être banalisé. Tous doivent être réprimés pour ce qu’ils sont. Qu’ils s’expriment sur les murs, dans les rues ou sur les réseaux, la haine et l’encouragement à passer à l’acte sont intolérables car le danger est réel : laisser faire, banaliser, c’est accepter que chacun d’entre nous puisse être menacé, insulté, agressé en raison de sa religion, de ce qu’il est, ce qu’il est supposé être…

Agir contre tous les préjugés, les révisionnismes, les fantasmes complotistes, éviter les replis communautaires obscurantistes passe donc par un effort significatif en termes de vigilance, d’interventions en milieu scolaire, de promotion de la mémoire et de sensibilisation partout, pour toutes et tous. La responsabilité des éditeurs et des diffuseurs est également à interpeller. Parce que cette mobilisation générale que la LDH appelle de ses vœux est une mobilisation pour la liberté de tous et de chacun, elle exclut toute instrumentalisation au service de telle ou telle considération de tactique politicienne, d’une quelconque volonté de limitation des libertés publiques.

La LDH poursuivra inlassablement son action dans ce sens. C’est le combat commun de toutes celles et tous ceux qui s’attachent à faire vivre au quotidien l’idéal républicain de la fraternité, de l’égalité et de la liberté.

Paris, le 13 février 2019


mercredi 23 janvier 2019

Cesare Battisti


J'ai choisi de reproduire le texte ci-dessous pour quatre raisons :

Parce que je n'ai jamais accepté que la parole de la France, fut-elle celle de François Mitterrand, soit bafouée par Jacques Chirac en 2004 et que Cesare Battisti soit obligé de s'exiler et d'errer en Amérique du Sud.

Parce que mon camarade Jean-Pierre Dacheux et Cesare Battisti avaient partagé les mêmes bancs de l'Université Paris 8 et qu'ils étaient devenus amis.

Parce que le texte ci-dessous, auquel j'adhère totalement, a été publié sur le site de l'association « Ici et Ailleurs »1 rassemblement cosmopolite de philosophes dont Jean-Pierre Dacheux fut quelques années le Président.

Parce que le néo fascisme dont Cesare Battisti est la victime est ignoble et me donne envie de vomir.

Jean-Claude VITRAN

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« Il ne doit pas en sortir vivant ».

Une Internationale noire et ouvertement fasciste, du Brésil à l’Italie, se réjouit de l’arrestation de Cesare Battisti.

Mais les démocrates, les pro-européens, sont tout aussi heureux. Oui, on a enfin eu Battisti, il doit être en prison, même 40 ans après, même s’il n’est plus dangereux, même si, même si, même si…

En dépit de siècles de droit pénal, une histoire du droit bafoué, des procès grotesques, des accusations sans vérifications…on veut la prison, que la prison, même à vie. Vive la prison à vie ! Pourquoi ? Bon sang, parce que ce Battisti ne s’est jamais repenti !

On le voit bien. L’enjeu va au-delà de Battisti.

Battisti est un plébéien comme tant d’autres qui ont choisi la politique en prison dans des années de braise et de joie.

C’est ça l’intolérable.

Un anti-communisme fasciste ou démocrate pavoise, un anti-communisme, sans le communisme, avec le « spectre » du communisme. Il faut frapper le spectre, après avoir frappé les corps et les esprits de tous ceux qui se sont révoltés en 68 et après. Battisti, malgré lui probablement, est une des silhouettes encore vivantes, encore libres, de ce spectre, surtout de tous ceux qui n’ont pas baissé la tête. Dans un article immonde, d’un important quotidien italien, le journaliste, certainement laïc, démocrate et bien cultivé, parlait moins de la mise au pilori, de l’exposition fasciste du corps du prisonnier, que du « sourire malin » de Battisti. Malgré tout, Battisti, sous la barbichette, ricane encore. Ce prolétaire inculte nous défie toujours ! Au moins il arrêtera de boire des verres de caïpirinha au Brésil, en profitant des couchers de soleil sur la mer, dit le journaliste démocrate. Quel infâme, résume Salvini.

Avec Battisti, et la campagne anti-communiste en cours, on comprend que les années 68 sont toujours là.

Avec le retour de Battisti, reviennent en Italie quarante ans d’histoire ensevelie, refoulée.

Pour les anticommunistes, Battisti c’est le dernier scalp. La descente de l’avion de Battisti signe leur triomphe définitif.

Ils sont nombreux, mais ils ont peur.

A la fin, la mise en scène fasciste de l’arrestation de Battisti est un indice de quelques inquiétudes. Le « spectre » hante toujours les sommeils des bourgeois. Battisti doit croupir en prison, on doit jeter aux chiottes la clé de sa cellule. Soif de vengeance, mais aussi extrême tentative d’empêcher que les spectres sortent de leurs tombes.

Quand ils reviendront, ils seront des millions. Ils ne ricaneront plus. Ils souriront.

Un sourire vous enterrera tous.

Philippe Bruno


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