vendredi 14 février 2014

Le vote blanc : un tout petit pas en avant !

 
Le 14 février 2014, le Sénat, en seconde et dernière lecture, a approuvé, sans y rien changer, le projet de loi, adopté par l'Assemblée Nationale en novembre 2013, qui cesse de faire du vote blanc un vote nul.

À partir du 1er avril 2014 (donc à l'occasion des prochaines élections européennes, le 25 mai) les électeurs qui ne retrouvent pas leurs préférences dans les listes ou les noms soumis à leurs suffrages, pourront, en votant blanc, émettre un avis politique reconnu comme valide.

Une expression qui ne sera pas un suffrage exprimé : on comptera, certes, à part les bulletins blancs mais ils n'entreront pas dans le calcul des majorités électorales ! Les enveloppes vides ou contenant un bulletin sans inscription ne seront plus mélangées avec les enveloppes contenant des bulletins erronés, ou injurieux, ou identifiables. Mais c'est tout !

La déception est vive mais un pas est franchi et il y en aura d'autres : en démocratie, le souverain, c'est-à-dire le peuple, peut récuser les candidats et ne pas vouloir choisir entre eux s'ils les considèrent comme incompétents ou porteurs de politiques rejetées. Et pour cela, il faudra bien que les votes blancs soient concurrentiels avec les votes nominatifs et donc, tôt ou tard, considérés comme des suffrages exprimés !

Il est des pays où cette expression politique complète est déjà admise, quand le vote est obligatoire : c'est le cas de la Belgique (depuis 1893), du Luxembourg, de la Grèce, de l'Autriche, de l'Uruguay, de la Colombie, du Brésil.

Depuis 2003, la Suisse comptabilise les bulletins blancs pour les élections au scrutin majoritaire, (ces votes participent à l'établissement de la majorité absolue, mais au second tour, c'est la majorité relative qui est appliquée).

L'Espagne et les Pays Bas sont les seuls pays qui considèrent les votes blancs comme valides à toutes les élections. Les bulletins blancs entrent dans le calcul des pourcentages, notamment pour les rares référendums. Toutes les élections, pour élire des représentants, sont à la proportionnelle mais ces bulletins blancs, sans candidats, ne sont évidemment pas transformés en sièges, même s'ils sont nombreux.

La Suède était dans le même cas que l'Espagne, mais les bulletins blancs ont été récemment écartés de la catégorie « bulletins valides ». Ils le restent cependant pour les référendums.

Au Pérou, lorsque deux tiers des électeurs votent blanc, le scrutin est annulé. Le peuple possède, en quelque, sorte un droit de veto.

La France ne fait donc que se rapprocher timidement de ce que d'autres États expérimentent parfois depuis des décennies. Il faut dire que notre pays n'a jamais été très en avance pour ce qui est de la pratique électorale de la démocratie ! Il ne faut jamais oublier que le suffrage déclaré universel en 1848 n'a été réel qu'en 1944, quand la moitié du corps électoral, féminin, a enfin été autorisée à voter !

Quels enseignements retirerons-nous des scrutins à venir où les bulletins blancs seraient plus nombreux que les bulletins porteurs des noms de candidats ? Nous contenterons-nous de déplorer, comme auparavant, ce que nous ne pourrons plus appeler un désintérêt électoral ?

La possibilité de déposer dans l'urne des enveloppes vides peut prendre sens : faute de disposer de bulletins blancs dans les bureaux de vote (cela reste interdit), il sera simple et très pratique de n'utiliser qu'une enveloppe. Inutile, puisque des enveloppes vides sont à disposition, d'effectuer des découpes à domicile et d'emmener son bulletin dans sa poche (au reste, actuellement, et ce fut précisé au cours des débats, la taille du bulletin sans inscription ne joue pas)... Encore faudra-t-il qu'elles soient assez opaques pour ne pas laisser constater qu'aucun bulletin n'y a été introduit.

Mais le fond du débat politique demeure le calcul des majorités. On ne pourra pas, selon la loi votée le 12 février 2014, dénombrer les bulletins blancs pour les futures élections présidentielles et pour les référendums. Autrement dit, dans un pays qui privilégie le mode de scrutin majoritaire à deux tours, il faut éviter de rendre visible l'absence de majorité absolue pour les scrutins majeurs. Si les bulletins blancs avaient été acceptés comme des suffrages exprimés, François Hollande n'aurait été élu qu'à la majorité relative, ce que ne permet pas la Constitution. Même si les bulletins blancs étaient seulement dénombrés, il pourrait être révélé que l'élu ne dispose pas d'une autorité politique suffisante si trop peu d'électeurs ont choisi l'un des deux candidats restés en compétition.

Sur les sept élections auxquelles les Français peuvent participer au suffrage direct, seules les élections locales (municipales-communautaires, départementales, régionales) et les élections législatives ou européennes accepteront les bulletins blancs. Avant que les électeurs ne se servent du bulletin blanc comme un outil politique efficace, il y aura encore de nombreuses « abstentions politiques » car, dans la masse des abstentionnistes (toutes motivations ou absence de motivation confondues), on compte une part importante de « grévistes du vote ».

Bref, depuis que des projets de lois ont été, depuis de très nombreuses années, préparés, soumis, abandonnés par le Parlement, c'est la première fois qu'une décision est prise, plus que timide, mais pouvant faire apparaître, enfin, que « refuser la donne électorale » n'est pas incivique. Avec l'assimilation de l'enveloppe vide au bulletin blanc, une avancée supplémentaire existe, car, sans facilité pratique inutile de parler d'un élargissement du droit de vote. Il faudra, dès le printemps prochain, mesurer si l'abstention est érodée par les bulletins blancs. À l'avenir, peut-être hélas lointain, il s'imposera que récuser toutes les candidatures n'est pas un refus de vote. Il n'est pas de démocratie sans liberté du choix.




Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran