samedi 10 mai 2014

Commémorons l'abolition de l'esclavage des Roms.

 


Le 10 mai 2014 a lieu la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. Une cérémonie officielle se déroule, comme tous les ans, en présence du Président de la République. La loi Taubira du 21 mai 2001 aura été la grande loi mémorielle française concernant la reconnaissance, comme crime contre l'humanité, des traites et des esclavages pratiqués, à partir du XVe siècle, sur certaines populations. Son article 1er précise que « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité ».

L'esclavage fut bien une réalité historique européenne mais elle ne se limita pas à la perpétration de la traite négrière transatlantique. Au nombre des abolitions intervenues au XIXe siècle figure l'abolition de l'esclavage des Roms en Roumanie ( Moldavie et Munténie -ou Valachie-).

Au XIXe siècle, en 1818, le code pénal de Valachie inclut les articles suivants :
« Section 2 :  les tsiganes naissent esclaves. Section 3 : tout enfant né d’une mère esclave est esclave Section 5 : tout propriétaire a le droit de vendre ou de donner ses esclaves Section 6 : tout tsigane sans propriétaire est la propriété du Prince. »
Quant au code pénal moldave de 1833, il précise :
« Section II.154 : des mariages légaux ne peuvent avoir lieu entre des personnes libres et des esclaves. Section II.162 : Les mariages entre esclaves ne peuvent avoir lieu sans le consentement de leurs propriétaires. Section II.174 : Le prix d’un esclave doit être fixé par le tribunal, selon son age, sa condition et sa profession. »
Les Roms sont vendus et achetés à des foires aux esclaves, le prix, au 19ème siècle, étant généralement d’une pièce d’or par kilo, sans égard pour les liens familiaux qui unissent des Roms entre eux (malgré une loi de 1757 qui interdit de vendre les enfants séparément de leurs parents), le plus souvent par lot.

Kogalniceanu (1), tsiganologue roumain du 19ème siècle, (qui devint premier ministre de la toute nouvelle Roumanie unifiée, en 1863) écrit : « Quand j’étais jeune, je voyais dans les rues de Iassy des êtres humains aux mains et pieds enchaînés, certains même portant des anneaux de fer autour du cou et de la tête. Des peines cruelles de fouet, de privation de nourriture, d’enfumage, de maintien nus dans la neige ou dans la rivière gelée, tels étaient les traitements infligés aux Gitans. La sainteté de leurs mariages et de leurs liens familiaux n’étaient pas respectés. On arrachait la femme à son mari, la fille était séparée de force de sa mère, on arrachait les enfants des bras de leurs parents, on les séparait et on les vendait aux quatre coins de la Roumanie. Ni les hommes, ni les lois n’avaient pitié de ces malheureux êtres humains. »

Les « mariages » entre Roms sont le plus souvent arrangés entre les propriétaires pour de simples questions de reproduction, un prêtre officialisant l’union avant qu’on les force à se reproduire. Si le code de Basile le Loup prévoit que « un tsigane qui viole une blanche doit être brûlé vif», les propriétaires ne se gênent pas pour violer des esclaves, si bien qu’au 19ème siècle, le journaliste français Félix Colson note que de nombreux esclaves roms sont blonds. Pour avoir une idée des conditions de vie des esclaves de maison, on peut citer Félix Colson qui, en visite chez un baron roumain, indique dans ses mémoires que « la misère se lit tellement sur leurs corps qu’à les regarder, on risque de perdre l’appétit ». Il est à noter que si la loi n’autorisait pas un baron à tuer son esclave, cette pratique était néanmoins courante (la loi n’interdisant pas de toute façon les châtiments corporels qui pouvaient se terminer par la mort de l’esclave).

L'Église moldave libéra ses esclaves roms en 1844 et l'Église de Munténie en 1847. L'esclavage, peu après, devint illégal une première fois, dans ces deux principautés, en 1855 et 1856, soit sept à huit ans après l'abolition définitive signée, en France, le 27 avril 1848, au début de la deuxième République, sous l'impulsion de Victor Schoelcher. Réinstauré, l'esclavage des Roms ne fut définitivement aboli qu'en 1864, deux ans après l'unification de la Roumanie. Le lien historique entre ces abolitions transatlantique et européenne est avéré.
 
L'esclavage oublié des Roms qui dura un demi-millénaire, dès leur apparition dans les principautés pré-roumaines, au milieu du XIVe siècle jusqu'au milieu du XIXe, appartient, à présent, à l'histoire de tous les Européens. Le déni d'un esclavage si long et si brutal n'est plus supportable et pèse encore sur les relations entre les Roms et autres populations européennes, de nos jours. Il est temps d'enseigner et de rappeler à tous les concitoyens de l'Union que ce lointain passé a laissé des traces dans notre présent. 

L'abolition de l'esclavage des Roms en Europe a désormais toute sa place dans la commémoration, en France, de l'abolition des esclavages, tous les esclavages, chaque 10 mai.

(1) « Les Européens organisent des sociétés philanthropiques pour l'abolition de l'esclavage en Amérique alors que, sur leur propre continent, 400 000 Tsiganes sont maintenus en esclavage » Kogalniceanu Mihail, Esquisse sur l’histoire, les mœurs et la langue des cigains, connus en France sous le nom de Bohémiens, Berlin,1837.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran