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lundi 26 décembre 2011

Vers le fichage centralisé de tous les citoyens.

Jusqu’au 1870, les déplacements individuels font l'objet d'une étroite surveillance. Le passeport intérieur et le livret ouvrier permettent à la police de suivre les voyageurs et les migrants. La République supprime ce système, et adopte, en 1889, un système de fichage anthropométrique et photographique, inventé par Alphonse Bertillon.

C'est le début du fantasme du fichage des citoyens.

En 1912, l’État français impose aux prétendus "nomades" le port d'un carnet anthropométrique, qui sera supprimé seulement en 1969 et remplacé par un titre de circulation également contraignant et discriminatoire.

En 1917, on impose l'obligation de la carte d'identité à tous les étrangers,

De provisoire et limitée aux étrangers et aux "nomades", en septembre 1921, le préfet de police du département de la Seine, Robert Leullier, institue une « carte d'identité de Français », qui demeure toutefois facultative. Cette carte remplace la contrainte de la présence de deux témoins pour de nombreuses démarches afin de limiter les fraudes et faciliter les contrôles administratifs.

Le 27 octobre 1940, le maréchal Pétain décrète que : « tout Français de l'un ou de l'autre sexe, âgé de plus de seize ans, ne peut [désormais] justifier de son identité […] que par la production d'une carte d'identité, dite « carte d’identité de Français »

À partir de 1942, la mention « Juif » est apposée, le cas échéant, et en 1943, la carte d'identité est généralisée. Le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR)1 est intégré.

Après la guerre, comme de nombreuses lois, elle n'est pas abolie, mais en 1955, elle redevient non obligatoire par un décret qui créé « une carte nationale certifiant l'identité de son titulaire pour une validité de dix ans ».

Elle n'est pas modifiée jusqu'en 1995, année de l'apparition de la carte d'identité sécurisée dite « infalsifiable ».

En 2003, est lancé par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy le projet d'institution de cette nouvelle carte d’identité nationale électronique sécurisée (INES) faisant appel à la biométrie.

A la suite de nombreuses résistances, le projet INES est suspendu.

Il revient cependant, en cette fin d'année, sous la forme d'une proposition de loi relative à la protection de l’identité. Destinée à lutter contre les usurpations d’identité, dont le nombre est estimé à 200 0002 par an, cette loi définira une nouvelle carte d’identité dite électronique.

Celle-ci comprendra deux puces RFID3. L’une, « régalienne », comportera les informations d’état civil et des données biométriques (taille, couleur des yeux, empreintes digitales et photographies de face et de profil numérisées). Une seconde puce « marchande » optionnelle, sera destinée à sécuriser les transactions du commerce électronique.

La proposition de loi prévoit une série de dispositions visant à garantir une fiabilité maximale des passeports et cartes nationales d’identité. En particulier, les informations concernant le titulaire du document seront stockées dans une méga base de données centralisée au ministère de l'intérieur – TES (Titres Électroniques Sécurisés) – qui pourra conserver les données personnelles des 40 à 50 millions de Français âgés de plus de 15 ans.

Le projet de loi qui est en cours d'adoption fait l'objet d'un débat contradictoire entre l'Assemblée Nationale (majorité de droite) et la Sénat (majorité de gauche) car pour l’utilisation de cette base centrale deux possibilités se présentent :

Lien fort : identifier un individu à partir de ses données biométriques – par exemple ses empreintes digitales -, ce qui rendrait alors possible l’utilisation du fichier pour la recherche criminelle ;

Lien faible : lors d’une vérification d’identité, la base ne pourrait qu’indiquer si ces empreintes correspondent ou non à un individu, mais sans le désigner.

Le gouvernement et les députés sont partisans du lien fort et, le 7 juillet dernier, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, un texte allant dans ce sens. Il été rejeté par le Sénat, le 3 novembre, à une écrasante majorité (340 des 344 suffrages exprimés) confirmant le vote du 1er juin en première lecture, les sénateurs n’ont pas voulu « laisser derrière [eux] un fichier qui pourra être transformé en outil dangereux et liberticide ».

Par ailleurs, le 27 octobre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu publique sa position, jugeant la création de la TES trop risquée et proposant de s’en passer.

Bien entendu, la proposition de loi n'impose pas la CNE aux citoyens français, mais la carte d'identité est obligatoire pour se rendre à l'étranger donc, à moyen terme, l’ensemble de la population française verra ses données biographiques et biométriques d’identité (état civil, adresse, taille, couleur des yeux, empreintes digitales, photographie) fichées au ministère de l’Intérieur, comme le voulait l'État Français en 1940.

Cette disposition, unique dans les pays démocratiques, est dangereuse pour les libertés publiques, et ouvre la porte à toutes les dérives. Rien ne justifie un tel choix sinon la continuité de la politique de surveillance généralisée des citoyens menée par les gouvernements de droite successifs qui, en moins de dix ans, ont fait voter pas moins de 42 lois sécuritaires4 et doublé le nombre de fichiers de police5.


Dossier législatif de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/protection_identite.asp

Dossier du Sénat : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl09-682.html

Note d’observation de la CNIL du 25 octobre 2011 : http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/CNI-biometrie/CNIL-PPLidentite-Noteobservations-25-10-2011.pdf

1 C'est notre numéro de sécurité sociale attribué par l'INSEE à la naissance.

2 Ce chiffre est sujet à caution puisqu'il varie de 13 000 à 200 000 selon les sources et que la majorité des usurpations a lieu au moment de la demande de CNI.

3 RFID : Radio Frequency Identification Data – Puce électronique lisible sans contact (passe navigo)

5 http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4113.asp


Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

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