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samedi 24 décembre 2011

L'humiliation turque

Il n'y a pas à l'affirmer ou à le nier : le génocide arménien fut une réalité. Une loi française le reconnaissait dès 2001. Il faudra bien que les Turcs acceptent ce fait historique d'il y a bientôt cent ans.

Mais quelle mouches ont piqué Nicolas Sarkozy et ses affidés, à vouloir "en rajouter une couche" ?

La manœuvre politicienne est grosse de risques dont nous n'allons pas tarder à constater les effets désastreux, ce qu'Alain Juppé (1) a bien compris (celui-là s'ouvre-t-il une porte au cas où... Sarkozy, sûr de sa défaite, renoncerait, in extremis à être candidat...?).

Manœuvre électorale ? La communauté française arménienne compte quelques centaines de milliers d'électeurs. La seule réponse des "opposants" socialistes (2), du moins la plupart d'entre eux, aura, du reste, été de... voter ce texte supplémentaire qui assortit de prison le négationnisme des génocides dont celui des Arméniens.




Manœuvre "européenne" ? Stigmatiser la Turquie afin de la faire passer pour un État génocidaire n'ayant pas sa place dans l'Union européenne conforterait l'opposition définitive de Nicolas Sarkozy à cet élargissement européen à un partenaire "islamiste" !

Manœuvre historiciste et déterministe enfin ? On pourrait donc prolonger, hors de leur contexte, des événements épouvantables dont un peuple s'est montré coupable sous l'influence de ses dirigeants et de leur idéologie raciste ! À cette aune que dire, aujourd'hui, au peuple allemand qui compte encore des négationnistes des crimes nazis en son sein, et qui n'a pas totalement éradiqué toutes les causes de cette monstruosité des années 1930 et 1940, au sein de familles allemandes humiliées, blessées par ce passé qui ne passe pas ?

Car voici lâché le mot qui fâche et qui révolte : humiliation. Nous avons humilié les Turcs. Au lieu de les aider dans leur tâche historique d'acceptation de la réalité, nous les renvoyons à la culpabilité de leurs ancêtres, et cela à la face du monde entier ! Les efforts pédagogiques faits par les Turcs qui veulent faire admettre qu'il y eut bien crime d'État, en 1915, sont anéantis par cette gifle assénée au visage d'une population aujourd'hui solidaire des Syriens, et fière de son rôle modérateur au milieu d'États où l'Islam est violent.

Nous avons poussé les dirigeants turcs à riposter de façon immodérée (les crimes de guerre de la France en Algérie ne constituent pas stricto sensu un "génocide"). Par contre, vont ressortir des condamnations auxquelles la France pourra moins facilement échapper : qu'il s'agisse de son rôle dans la période coloniale, ou de sa complicité dans des horreurs telles que celles qui se sont produites au Rwanda (pour le coup un véritable génocide !).



Nous n'empêcherons pas la Turquie d'entrer un jour dans une Europe repensée où les Allemands d'origine turque, nombreux, sont des acteurs économiques et politiques influents.

Nous ne disposerons pas des événements historiques à notre guise. "La France n'a ni leçons à donner ni leçons à recevoir" affirme, en substance, Nicolas Sarkozy. Qu'alors il se taise ! Laissons la France tirer elle-même les enseignements historiques de crimes politiques qu'elle n'a pas fini de reconnaître et qui ressortent, l'un après l'autre, au bout de plusieurs dizaines d'années. Laissons la Turquie s'avancer elle-même dans sa douloureuse, odieuse, mais aussi grandiose histoire.

Le Parlement français vient de s'engager dans une polémique inutile qui ne grandit personne. La nécessaire reconnaissance du génocide arménien n'en sera que retardée !

(1) "Initiative inopportune" a-t-il dit.
(2) Comme l'estime François Hollande : http://www.lesechos.fr/economie-politique/infos-generales/politique/afp_00411237-genocide-armenien-hollande-denonce-une-operation-electorale-de-sarkozy-266978.php




Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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