samedi 4 décembre 2010

Société de surveillance, de culpabilité, de sanction


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Évoquer la société de surveillance, c’est aborder le problème du contrôle social qui présente, classiquement, deux aspects : d’abord, celui d’un mécanisme de régulation individuelle par un ensemble de normes intériorisées où chacun a son propre référentiel de libertés et de contraintes et, d’autre part, celui d’un ensemble de dispositifs publics de surveillance et de répression.

Il convient de faire la distinction entre ce qui relève de la délinquance, c’est-à-dire la norme pénale et ce qui relève de la déviance, de l’imposition d’une norme sociale qui veut organiser le normal et le pathologique, le conforme et le non-conforme. Dans cette combinaison non figée d’éléments se situe notre réflexion sur la société de surveillance.

Dans un système non démocratique, l’ensemble des normes collectives du contrôle social ne s’arrête pas à la seule délinquance pénale mais va bien au delà. Savoir où se situe le curseur entre la liberté et la contrainte permet d’évaluer le niveau de démocratie. En partant du postulat avéré que la stratégie générale des nations occidentales est de faire comme si les valeurs centrales de la société en matière d’orientation et de pratique politiques étaient la sécurité et le sécuritaire, il est légitime d’affirmer que le monde occidental s’enfonce dans une société de surveillance généralisée.

Pour arriver à leurs fins, ces nations qui s’inventent des ennemis partout, instillent sournoisement, dans l’esprit des citoyens, la peur, l’insécurité, puissant moyen de domination. C’est alors le potentiel de dangerosité qui justifie cette surveillance de tous les instants et comme il n’est pas visible avant le passage à l’acte, le mieux est la connaissance, à priori, d’une part des caractéristiques individuelles qui permettront la meilleure identification, et d’autre part des déviances, des actes qui pourraient expliquer le passage à la délinquance ou à la contradiction de l’ordre établi. Ainsi la norme sociale se confond avec la norme pénale, et, comme l’a dit Alex Turk, président de la Cnil, le fondement de la politique judiciaire change et la séquence « peine-réparation-oubli »n’existe plus.

Les exemples sont nombreux de l’implication directe du pouvoir de notre pays dans la politique sécuritaire. Il n’est qu’à voir la façon dont chaque crime devient autant d’occasions de justifier la politique du gouvernement, de se saisir de la peur des Français, d’interpréter leur demande de sécurité, et la moindre critique provoque un fond roulant de trémolos et de propos outrés, qui renvoie les contradicteurs dans le camp des assassins.

Se présentant comme le garant des gens normaux, le président de la République et certains membres du gouvernement, ne pouvant ou ne voulant pas revenir sur la suppression de la peine de mort, justifient toutes les autres orientations, y compris les plus involutives de la philosophie judiciaire qui organise l’exécution des peines. Il est vrai que ce n’est pas une surprise, que les Français étaient prévenus puisque le président a fondé sa crédibilité sur son passage au ministère de l’Intérieur. Il n’est donc pas étonnant que le triptyque « ordre – discipline - sanction » ait été à la base de sa victoire électorale.

Dans cette situation, où la réussite politique supposée satisfaire les électeurs est la maîtrise de tous les risques, le gouvernement joue de cet outil dont il dispose en propre : la politique sécuritaire et ses instruments. Ce surinvestissement semble sans partage ni limite grâce à l’avènement et l’arrivée à maturité de nombreux systèmes de haute technologie.

Pour les partisans du contrôle généralisé, la seule norme sociale acceptable est de caractériser tout le monde, pour que personne n’échappe à la classification. Les logiques instrumentales à l’œuvre peuvent se définir ainsi : - Multiplication de la création de fichiers - Extension des fichiers existants, EDVIGE par exemple - Disparition du principe de finalité. - Interconnexion des fichiers et donc la fin de la recherche dédiée - Affaiblissement des contre-pouvoirs de contrôle, Cnil et autorités administratives indépendantes - Forte implication et incitation du secteur marchand - Biologisation du contrôle (ADN, biométrie) - Invisibilité grandissante des systèmes (par exemple, le système Navigo en région Ile-de-France)
On voit que le concept de contrôle social est bien plus large que celui qui le réduirait à une nouvelle amélioration du contrôle policier. Il s’agit bien d’un quadrillage social sur la base d’une conception globale du risque social.

Affirmer que l’on s’enfonce dans la surveillance généralisée laisse présager que nous étions plus libres, il y quarante ans. Ce qui est sûr, c’est que les citoyens de cette époque étaient plus soucieux de leurs libertés et des atteintes éventuelles à leur vie privée. En effet, en 1974, le gouvernement de M. Georges Pompidou décide de créer une méga base de données de l'ensemble des données administratives des Français nommée SAFARI. La réaction fut immédiate et très vive, et le projet fut retiré rapidement.

En réaction à ce rejet, en 1978, le gouvernement crée la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés dotée de pouvoirs de contrôle étendus, pouvoirs sérieusement rognés en 2004. Depuis cette décennie, notre société a glissé d’abord lentement, puis beaucoup plus rapidement d’une société permissive à une société de culpabilisation et de sanction. Dans un ouvrage célèbre Surveiller et punir, Michel Foucault l’a démontré : surveiller a pour conséquence directe et immanente de sanctionner, car surveiller pour surveiller serait inepte, il est donc normal, nécessaire dans un système dominateur, de punir.

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Alors pourquoi, cette importante accélération du phénomène ? Le pouvoir effectivement en use et en abuse mais il n’est pas seul responsable de cette aggravation. Il semble qu’il y ait 6 causes majeures à l’apparition de l’insécurité, mère des politiques sécuritaires et de la généralisation de la surveillance :

1) l’essor des technologies informatiques : il y a tout d'abord le développement extraordinaire des technologies informatiques dont chacun connaît les conséquences en terme de vitesse d’exécution, de capacité de stockage des informations et de diminution des coûts d’acquisition.

2) l’apparition du chômage de masse au mitan des années 70 : après les "Trente glorieuses", le chômage de masse s’installe de façon durable et produit un climat d’angoisse et d’incertitude en l’avenir. C’est aussi le prélude à la création des quartiers de relégation des pauvres et des miséreux débouchant sur les zones dites sensibles, creuset de la délinquance. À l’époque on affirmait que la misère était la cause de la délinquance, aujourd’hui, quelle que soit sa couleur politique, on martèle que la misère est la conséquence de la délinquance.

3) L’alibi du 11 septembre 2001 : ces dramatiques attentats ont entraîné une paranoïa volontairement instrumentalisée et alibi facile à l’accélération de la dérive sécuritaire qui devient alors le principal axe de communication des hommes politiques et qui inverse le paradigme innocence / culpabilité, chacun d’entre nous étant, à partir de ce moment, considéré comme potentiellement dangereux.

4) Le risque zéro : Chacun sait que le risque zéro n'existe pas, pourtant le système de communication et de marketing du pouvoir, et sa dérive langagière permanente, le conduit à inventer des concepts de protection des citoyens : la vidéo protection, par exemple, terme mensonger puisque ce système ne protège personne. Malheureusement réclamé par de nombreux citoyens qui voudraient même l’immortalité, le dogme du risque zéro sert la politique sécuritaire du pouvoir. Dormez bonne gens, nous nous occupons de votre sécurité.

5) Le mélange vie privée – vie publique : Les exemples donnés par les femmes et les hommes politiques ne manquent pas ces derniers temps. Hannah Arrendt a écrit : « Un des piliersde nos démocraties est la frontière entre le public et le privé ». L'intime est absolument nécessaire à la construction psychologique du sujet. Notre inconscient a besoin de différenciation entre l'externe et l'interne, entre le fantasme et le réel, entre moi et l'autre. Cet intime mis à mal amène à des conséquences importantes qui peuvent devenir pathologiques. Quelques sociologues et des journalistes prédisent la fin de la vie privée. Cette fin, si elle devait advenir, amènerait l’humanité à la folie collective et à la barbarie.

6) Le secteur marchand : le dernier point, c’est la dictature du secteur marchand. Un exemple caricatural des excès de ce secteur est le livre bleu du GIXEL qui est le groupement des industries de l'interconnexion des composants et des sous ensembles électroniques. On peut y lire : « La sécurité est très souvent vécue, dans nos sociétés démocratiques, comme une atteinte aux libertés individuelles, il faut donc faire accepter par la population les technologies,utilisées et, parmi celles-ci, la biométrie, la vidéo-surveillance et les contrôles. Plusieurs méthodes devront, être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire,accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées, d'un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par,l'apport de fonctionnalités attrayantes : éducation dès l'école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l'école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents s'identifieront pour aller chercher les enfants. La même approche ne peut pas être prise pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle, il faudra recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l'apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gêne occasionnée. Là encore, l'électronique et l'informatique peuvent contribuer largement à cette tâche. » La sécurité a changé de nature, elle est devenue une valeur marchande et une source de profit extrêmement lucrative. Pour le secteur industrio-financier, pas question d’avoir des états d’âme, de penser éthique, respect des libertés et des droits fondamentaux et de se passer d’une croissance de 15 % l’an et d’un marché de la sécurité représentant, en 2006, plus de 11 % du chiffre d’Affaire de l’Industrie française. La volonté de développer une technologie de contrainte et celle de se servir de la « persuasion » et du pouvoir, donc de la loi, pour la faire accepter à des fins purement mercantiles ne sont que les deux faces d'un même dessein. Le ministre de l'intérieur voulant intensifier la mise en place de caméras vidéo n’est-il pas dans cette posture ? Car installer 1200 caméras dans Paris, représente un marché dont on peut imaginer l’ampleur.

Mais pourquoi s’inquiéter, nous dira-t-on?
Nous, qui sommes honnêtes, n’avons rien à nous reprocher. Ainsi pense la majorité de la population et ainsi pensaient, aussi en 1942, les Tsiganes, les handicapés mentaux, les homosexuels et les Juifs.
Et pourtant, l’employeur, l’assureur, le banquier, le maire (loi sur la prévention de la délinquance), le fournisseur d’accès à Internet, l’hypermarché, l’État, tous sont preneurs ou seront preneurs de notre profil, pour nous démarcher souvent, pour nous sanctionner parfois, pour nous surveiller toujours.

Le fichage global peut, dans les toutes prochaines années, si nous ne réagissons, rapidement, mettre un outil extrêmement performant au service de la sélection : EDVIGE et les enfants de 13 ans, de la discrimination : ELOI, de la stigmatisation des déviants et du contrôle social généralisé.

Avant de clore cette première partie développant les causes, voici deux exemples de surveillance/culpabilité/sanction qui ne sembleront pas liés directement à des atteintes à nos droits fondamentaux, mais qui pourtant reflètent bien le passage d’une société de confiance, de présomption d’innocence, à une société de défiance, vis à vis de nous, tous potentiellement coupables. voilà qui donne un indice de la haute opinion du pouvoir actuel sur la probité et l’honnêteté de l’ensemble des citoyens de notre pays.

Le contrôle – sanction des chômeurs. Ne croyez-vous pas que le chômage est déjà une sanction sociale suffisante ? Non, le pouvoir, qui a une grande responsabilité dans les crises qui amènent au démantèlement des entreprises, peut-être, même, pour maquiller sa responsabilité, entend surveiller, culpabiliser et sanctionner les citoyens qui ne seraient pas suffisamment dociles voire serviles.

Le contrôle – sanction des arrêts de travail et des indemnités journalières abusives, une nouveauté du ministre du budget. Là encore, on entend surveiller, culpabiliser et sanctionner tous les citoyens en partant du principe simple qu’un arrêt de travail est sûrement demandé par un « tire au flanc », coupable de collusion avec son médecin traitant. Ce sera donc au malade, même s’il n’a rien à se reprocher, de faire la preuve de sa maladie.

Nous pourrions multiplier les exemples de ces contrôles – surveillances, avec demandes de justifications tatillonnes et non fondées qui débouchent, le plus souvent, sur des sanctions injustifiées ; le pouvoir considérant toujours chaque individu comme un sujet dangereux et potentiellement coupable.

Une société où la confiance n’existe plus entre les citoyens et le pouvoir est-elle encore vraiment démocratique ?

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PROCHAIN ÉPISODE : Les moyens de surveillance.


Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

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