« Nous qui sommes honnêtes et n’avons rien à nous reprocher, qu’avons-nous à craindre des systèmes de surveillance ? »
Nous entendons souvent ces deux phrases, particulièrement dans les propos des obsédés de la sécurité proches de l’administration et du pouvoir central.
Comme nous y accoutume la communication officielle, cette expression est une tromperie sémantique digne des meilleurs concepts du marketing et de la publicité moderne, destiné à détourner la réflexion des personnes du sujet principal - la surveillance généralisée - vers un sujet secondaire mais important à leurs yeux « leur honnêteté et leur probité ».
Hors du contexte de la surveillance généralisée, ces deux phrases sont une escroquerie et l’expression exacte devait être : « Vous qui êtes honnêtes et à qui nous n’avons rien à reprocher, vous ne craignez rien des systèmes de surveillance. »
Et la réponse serait instantanée : « Puisque je suis honnête et que vous n’avez rien à me reprocher, pourquoi me surveiller ? » La discussion pourrait alors se dérouler et les principes démocratiques y trouver leurs comptes.
Bien au contraire, plutôt que d’organiser le débat et, pour objecter les critiques, en outrageant la démocratie, les thuriféraires de la surveillance généralisée désignent leurs opposants comme irresponsables, paranoïaques, persécutés, imaginant des complots partout. Comme souvent dans les démesures intellectuelles et mentales, on habille ses adversaires de ses propres oripeaux.
Les vrais paranoïaques sont les séides du tout sécuritaire et du risque zéro, les adeptes d’une société sans menace, aseptisée, autoritaire et intolérante dans laquelle, par conséquent, les droits fondamentaux, les libertés et la démocratie sont absents.
Le pouvoir et une partie des habitants de notre pays n’acceptent plus la différence, se méfient de l’étranger, instrumentalisent la sécurité des personnes pour réduire les libertés, font du potentiel de dangerosité un concept de la politique judiciaire, réduisent les tous malades mentaux à une menace pour autrui et nous font entrer de plein pied dans cette société rigide et autoritaire.
Pour confirmer ces propos qui peuvent paraître excessifs, revenons sur cette loi du 25 février 2008, passée presque inaperçue du grand public, la « rétention de sûreté » visant à maintenir enfermés les prisonniers en fin de peine présentant, soit disant, un risque élevé de récidive. La décision de placer un condamné en rétention de sûreté sera prise par des juridictions régionales composées d'un président de chambre et deux conseillers de la cour d'appel au terme d'un débat contradictoire. Valable un an, elle pourra être renouvelée indéfiniment.
Jusqu’à cette date, la loi prévoyait des peines pour les faits qu'elle prévoit et le juge ne pouvait condamner une personne poursuivie que s'il était démontré qu'elle avait commis une infraction. Bien que le Conseil constitutionnel se soit prononcé et est validé la loi, le texte, en question, méconnaît le rôle constitutionnel du juge, dont la fonction pénale consiste à sanctionner les auteurs d'infractions commises et non à prononcer le maintien en détention au titre de crimes susceptibles de l'être.
Au nom du "potentiel de dangerosité" certains pays privent de liberté des personnes qui ne sont auteurs d'aucun fait répréhensible. C’est ce qui se passe dans les régimes totalitaires, qui pratiquent l'emprisonnement préventif en invoquant la dangerosité.
On peut craindre que, demain, pour renforcer la sécurité, le maintien en détention à l'issue de la peine pour cause de dangerosité soit étendu aux condamnés à des peines correctionnelles, puis, que l'on autorise l'emprisonnement de personnes jamais condamnées mais qui présenteraient des risques, par exemple, les délinquants sociaux et les militants associatifs, syndicaux et politiques.
Comme l’exprime Robert Badinter : « Au-delà des modalités de procédure et des habiletés de langage, la rétention de sûreté n'est que le maintien en détention pour une durée illimitée d'un condamné qui a purgé sa peine. Un homme ou une femme enfermé dans un espace clos, gardé par des personnels pénitentiaires et qui n'en peut sortir que sur autorisation spéciale, pour un bref moment et sous escorte, est un prisonnier. Et dans notre société, depuis la Révolution, seule la justice a le pouvoir d'emprisonner un homme, à raison d'une infraction qu'il a commise ou dont il est soupçonné d'être l'auteur ».
Pas de prison sans infraction : tel est le principe de notre justice criminelle depuis plus de deux siècles. La justice dans une démocratie repose ainsi sur une certaine idée de la liberté humaine. La rétention de sûreté, parce qu'elle quitte le terrain des faits pour le diagnostic aléatoire de la dangerosité, ne peut qu'abandonner les principes d'une justice de liberté. On enseigne que mieux vaut un coupable en liberté qu'un innocent en prison. Les temps ont changé. Pour prévenir un crime virtuel, la nouvelle justice de sûreté va emprisonner réellement des hommes au nom de leur dangerosité présumée. »
Michel Foucault, en 1974 au Collège de France, s'écriait : « Peut-être pressent-on ce qu'il y aurait de redoutable à autoriser le Droit à intervenir sur les individus en raison de ce qu'ils sont : une terrible société pourrait sortir de là. » L'avertissement demeure. Mais il n'est pas entendu.
De plus, les gardes des Sceaux successifs répètent à l'envi cette phrase du président : «Moi, je suis du côté des victimes.» Qu'est-ce que cela veut dire ? Que les autres, les hommes de terrain et les défenseurs des Droits de l’Homme sont du côté des assassins ? Cette phrase est marquée du plus trivial populisme électoral, car dans une nation démocratique, la justice ne peut pas être le fait des victimes ou de leur famille sinon il ne s’agit plus de justice mais de vengeance, mais peut-on encore qualifier de démocratie une nation qui entend emprisonner arbitrairement ses concitoyens ?
Comme Robert Badinter, Michel Foucault et de nombreux citoyens, nous nous interrogeons.
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux
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