mercredi 22 décembre 2010

Le comble de la liberté


La liberté est à son comble. Comprenez : le capitalisme est à son zénith ! Il triomphe et prolifère puisqu'il n'est plus contesté par personne. En tout cas personne qui pèse dans les décisions. Quant aux intellectuels et aux médias, ils peuvent exprimer des critiques et des nuances : ce dont les détenteurs du pouvoir ne se soucient guère. C'est même une occasion supplémentaire de prouver que la liberté a un camp (à l'intérieur duquel on la tient, sous surveillance !).


Mais la liberté exècre les camps ! "Les pays libres", qui s'opposaient aux "pays socialistes", n'étaient pas plus libres que n'étaient "socialistes" les pays agglutinés derrière le "rideau de fer". Inutile de passer par le Chili de Pinochet, ou l'Afrique du sud enfermant Mandela, pour le prouver. Là où il n'y a pas d'égalité, il n'y a pas de liberté ; comme là où il n'y a pas de liberté, il n'y a pas d'égalité. Un totalitarisme est mort : le communisme soviétique. L'autre survit encore : la dictature des marchés.

Passons au XXIème siècle, à l'étape suivante. En cette fin d'année 2010, en occident, le système bafouille : il proclame, tout à la fois, la nécessité de la croissance et de la rigueur. Croissance pour les entreprises; rigueur pour les salariés. Croissance pour les profits; rigueur pour les citoyens. La vérité, pourtant, est, tout à la fois, simple et terrifiante : la capacité de produire pour satisfaire les consommateurs sature en Europe et aux États-Unis ; il faut donc laisser inféoder nos économies au sein d'États qui disposent de grandes réserves de main d'œuvre bon marché et de clientèle à séduire.

Que les pays qui ont eu la maîtrise du monde au cours des derniers siècles (notamment grâce à l'esclavage et au colonialisme) se retrouvent dépendants de la Chine, de l'Inde et du Brésil, en attendant le surgissement d'autres puissances, en Afrique notamment, constitue un violent retournement de situation. L'Europe semble en voie de sous-développement et la pseudo solidarité avec la Grèce, l'Irlande ou le Portugal (en oubliant - et pourquoi ? - la Hongrie, la Roumanie ou autres pays dits "de l'est") ne pourra plus déboucher sur le maintien de l'état économique antérieur. La rigueur est inévitable mais elle peut se décliner de deux façons : soit par des restrictions, soit par "la vie simple". Elle se mesurera soit à la diminution des privilèges injustes et justes (y compris les "avantages" sociaux !), soit à la transformation écologique de notre mode de vie. Et qui sait ce qui l'emportera ?



Sommes-nous prêts, pour passer à la rigueur sans souffrance, à réviser nos idées toutes faites sur la liberté ? Tant que liberté signifiera possibilité de jouir de tout ce à quoi on peut avoir accès grâce à ce que fournissent les marchés, il y a gros à parier que cette liberté-là nourrira et aggravera les inégalités sociales. Tant que liberté signifiera droit d'entreprendre sans examen et jugement du contenu des productions, il est inévitable que les produits polluants, voire meurtriers, continuent à enrichir certains, sans grand souci du sort du reste des hommes. L'affaire du Médiator n'est que l'écume apparente sur la marmite où bouillent, sans qu'on les voit ni les sente, les poisons les plus funestes.

Un exemple -parmi d'autres- nous est fourni par la situation en Côte d'Ivoire. Le champion de la liberté, actuellement, y est Alassane Ouatara, cet ancien vice-président du FMI, occidentalisé jusqu'au bout des ongles. Il fait face à l'ancien champion de la liberté, Laurent Gbagbo, ancien ou toujours membre de l'Internationale socialiste. Le pays du cacao ne saurait longtemps supporter que les entreprises, souvent dirigées par des Français blancs, soit plongées dans l'incertitude et, déjà, des entrepreneurs -notamment ceux qui fournissent les pesticides pour les cacaotiers- soulignent que Nicolas Sarkozy est bien imprudent d'exiger quoi que ce soit du Président auto-maintenu. La liberté d'entreprendre ne saurait dépendre des libertés politiques !


Le comble de la liberté est atteint aussi quand le résultat de toute élection n'est acceptable que s'il ne nuit pas aux intérêts économiques supposés. Nul doute que la dictature, en Biélorussie, deviendra supportable aussitôt que des acteurs économiques de l'Europe de l'Ouest pourront y intervenir.

La responsabilité des citoyens est, à présent, de donner un contenu à l'exercice des libertés dans le cadre économique. Cantonnée hors du domaine des entreprises, elle devient factice et, peu à peu, s'évanouit. Quand la liberté n'appartient qu'au chef, toute liberté disparait. Le comble est que, des dizaines d'années après les totalitarismes fasciste et "communiste", le totalitarisme marchand apparaisse encore comme un mieux, un moindre mal, donc une réalité acceptable. Il est temps de comprendre qu'il n'y a pas de liberté sans partage, de liberté sans hospitalité. Elle n'est sinon qu'un leurre tout aussi dangereux qu'une franche dictature.



Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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