Nous reprenons, ici, la chronique parue dans Politis parce qu'elle pose bien deux questions totalement masquées dans l'actuel débat :
2 - Faut-il, oui ou non, que le travail humain soit modulé en fonction des forces physiques des individus afin que chacun puisse trouver place dans la société sans épuiser ses énergies vitales ? Autrement dit, est-ce que la diminution du temps de travail salarié ou contraint ne constitue pas un objectif de civilisation dans une société hautement technologisée, indépendamment de l'augmentation de la durée de la vie?
Le dilemme des retraites en 8 chiffres
Chronique publiée dans Politis, n° 1124, 28 octobre 2010 par J M Harribey
Le hiatus devient insupportable. D’un côté, une mobilisation sociale qui, en six mois, a déjoué tous les plans du gouvernement, décortiqué une réforme des retraites aussi injuste que cynique et démenti la langue de bois médiatique dominante. De l’autre, une absence de réponse institutionnelle et politique face à une détermination obtuse d’un pouvoir qui joue son va-tout dans cette bataille.
L’unité syndicale construite par les confédérations et l’unité citoyenne autour de l’appel « Attac-Copernic » ont remis le débat sur les retraites sur les bons rails. Le financement des retraites est une question de répartition des revenus engendrés par le travail. Dès lors que la proportion de personnes âgées dans la population augmente, il faut accroître parallèlement les cotisations sociales. Celles-ci, toutes branches réunies, s’élèvent à 395 milliards d’euros, soit 39 % des 1005 milliards de la masse salariale (INSEE, TEE 2009). De même que tous les revenus devraient être imposés de façon égale, ils devraient cotiser au même taux. Pour donner une idée, les ménages ont reçu 130 milliards nets de revenus de la propriété (dividendes, intérêts, revenus des assurés) en 2009 ; en faisant cotiser ces revenus dans la même proportion que les salaires, 50 milliards seraient réunis, bien plus que tous les déficits sociaux, et notamment plus que les 32 milliards de déficit de tous les régimes de retraite prévus pour 2010. Ce prélèvement représenterait 2,5 % du PIB, à comparer avec le détournement dont a bénéficié le capital aux dépens du travail : 5 % si on se réfère à 1973.
Mais si 70 % de la population désapprouve la réforme de Sarkozy, c’est aussi parce qu’il n’y a aucune loi naturelle qui condamnerait les humains à travailler toujours davantage. Le gouvernement a lui-même désigné les fondamentaux de son projet : reculer l’âge de la retraite et augmenter la durée de cotisation, jusqu’au moment où la santé des individus commencera à décliner (63 ans pour les hommes, 64 pour les femmes) et les aura rendus inemployables. Or, la réduction du temps de travail à l’échelle de la vie s’inscrit dans la continuité de l’histoire ouvrière pour arracher un temps libéré de l’exploitation et de la domination. On comprend mieux l’hostilité irréductible de la bourgeoisie depuis deux siècles à la RTT sous toutes ses formes, sauf celle de la mise au chômage total ou partiel.
Derrière la place et le sens du travail se profilent les finalités de la production, c’est-à-dire le mode de développement humain à promouvoir. Le versement des pensions ne peut provenir que d’une répartition de la productivité ; raison de plus d’en penser un contenu qui soit soutenable pour une société solidaire et écologique.
En contradiction avec le bourrage de crâne néo-libéral, ces enjeux apparaissent progressivement à la majorité de la population et notamment aux jeunes qui ont bien saisi qu’on leur promet la galère au travail et la retraite aux calendes grecques. Que manque-t-il pour transformer cette avancée sur le plan des idées en victoire politique ? Des perspectives stratégiques qui posent ouvertement la question institutionnelle et politique, c’est-à-dire celle du pouvoir. Tant dans la plupart des syndicats que des partis des gauches, la question est évitée parce qu’elle supposerait de mettre en débat un modèle social alternatif et les alliances sociales et politiques à construire.
Au moment où j’écris ceci, il ne reste que deux issues : la défaite ou un saut qualitatif de la mobilisation pour paralyser l’économie jusqu’à ce que le gouvernement cède. Pour rendre possible la seconde issue, n’est-il pas temps de constituer un Front populaire de transformation sociale qui allie toutes les forces engagées dans cette bataille ? La retraite catalyse autour d’elle le refus de trois décennies de dégradations sociales. À crise globale, réponse globale, c’est-à-dire à la conscience sociale des classes populaires doit correspondre d'urgence une traduction politique à la hauteur de l’enjeu : jeter le capital hors de la protection sociale, des services publics et du bien commun, afin d’amorcer un processus de transformation ouvrant la voie vers un dépassement du capitalisme.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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