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mercredi 3 novembre 2010

Mais qu'est-ce donc que la démocratie ?



La démocratie n'est pas une valeur sacrée. On use et on abuse d'un mot qui ne couvre pas la réalité de l'organisation politique de nos institutions. La démocratie est le contraire de la monarchie, de la monocratie ou de l'oligarchie. Qui peut dire que la France, dans ces conditions, même si elle en utilise les mots et les formes électorales et parlementaires, est une démocratie puisque son gouvernement est caricaturalement autocratique ?

La démocratie est une valeur relative. On ne cesse, pour se rassurer, de citer Churchill qui définissait la démocratie comme "le pire des systèmes politiques, sauf qu'il n'y en aurait pas de meilleur"... Là encore, il faut ouvrir les yeux : la démocratie, ramenée aux élections, fussent-elles sans fraude, peut s'autodétruire. C'est, au XIXe siècle, un référendum-plebiscite républicain qui abolit la seconde République en 1852, et conduisit au coup d'État instaurant un nouvel Empire napoléonien. C'est, au XXe siècle, en 1933, par une élection légitime qu'Hitler fut élu. Les élections, au XXIe siècle, aujourd'hui, dans nombre de pays africains, sont des caricatures (dont les pays coloniaux ont, d'ailleurs, semé les graines), et la toute dernière, celle de Côte d'Ivoire, n'échappera pas au coup de force, à la manipulation et au mensonge d'État.

La démocratie a perdu sa substance. Quand il n'y a aucune alternative économique, il n'y a pas non plus d'alternative politique, en dépit de toutes les élections. Au temps de la démocratie "populaire", la dictature du parti unique ou dominant avait vidé, à l'est de l'Europe, les pays du bloc soviétique de toute possibilité de changement par les urnes. Le pseudo socialisme, en réalité le régime oligarchique aux mains de la nomenklatura, interdisait toute évolution économique hors de la sphère étatique. La démocratie n'était plus qu'un fantôme effroyable et meurtrier. En notre temps de démocratie dite libérale, la dictature idéologique des élites attachées à leurs privilèges a vidé, également, les pays de toute possibilité de changement véritable par les urnes. Le conditionnement des peuples, imprégnés par la doxa du pouvoir néo-libéral, privilégiant le travail, la fortune et l'individualisme, interdit toute évolution économique hors de la sphère privée. La démocratie est devenue un mythe dans le monde occidental.



La démocratie ne semble plus en mesure de répondre aux questions posées par notre temps.
• La hâte empêche l'action démocratique. Obama pouvait-il, en deux ans, inverser le cours de l'histoire étatsunienne, en perte de vitesse, assise sur des a priori et des syllogismes aussi ridicules que faux et notamment celui-ci : la lutte contre la misère, c'est du socialisme; or le socialisme, c'est le mal; donc la lutte contre la misère est un mal portant atteinte à la liberté ! Dramatique situation qui va placer les USA devant un faux choix : ou bien la liberté liberticide du cowboy "solitaire", bushiste et "républicaine" qui ne connaitnque la force, ou bien la rigueur brutale de l'État encore le plus puissant au monde et qui veut le rester. Mais, pour Obama , enfermé dans cette quadrature du cercle, qu'est-ce donc que la démocratie ?
• Pour les États-majors aux commandes, la guerre est le produit inévitable d'une industrie toute puissante qui n'a que faire de la démocratie. L'échec de la guerre en Iran, puis en Afghanistan, l'impossible retour à la paix en Palestine, la prolifération nucléaire, la persistance de l'illusion de la dissuasion, le remplacement de l'ennemi communiste par l'ennemi terroriste souvent associé à l'islamisme, ont rendu les populations perméables à la culture de la peur. Cela suffit à orienter leurs votes. Impossible, dès lors, d'envisager l'abandon par la France (unie ou pas à la Grande Bretagne) de la Bombe dont nous a doté De Gaulle, et de la Constitution antiparlementaire de la Ve République. Mais qu'est-ce donc que la démocratie dans un pays nucléarisé et ultra autoritaire ? Et si nous voici à la porte de la sixième République (mais sans forces suffisantes pour y entrer !), dans un pays nucléarisé et ultra autoritaire, qu'est-ce donc que la démocratie ?
• L'écologie politique n'est toujours pas véritablement prise en compte. Le réchauffement climatique (que reconnait l'Académie des Sciences, enfin, en dépit des rodomontades de Claude Allègre), la perte dramatique de la biodiversité, la diminution rapide des ressources non renouvelables de production énergétique, la persistance du dogme de la croissance dans un monde non seulement fini mais surpeuplé, devraient suffire à renverser des perspectives tant qu'il en est encore temps. Mais, quand on tourne le dos à l'écologie, (d'autant plus qu'on ne veut pas voir ce quelle implique : cette sortie du capitalisme dont on ignore encore où se trouve l'issue) qu'est-ce donc que la démocratie ?
• La suppression de l'homme par l'homme, en Chine, aux États-Unis, en Iran, entre autres, est le signe même de l'impuissance politique qui confond le pouvoir avec l'élimination de l'adversaire. La mort donnée comme sanction du crime ou pour exercer la raison d'État est incompatible avec la civilisation. Entendre, chaque jour, des informations qui annoncent l'exécution d'un assassin ou simplement d'un opposant, dans des pays qui dénoncent la dictature, a quelque chose qui fait douter de l'humanité elle-même. Mais, quand on parle du caractère sacré de la vie et qu'on la détruit au nom du droit, qu'est-ce donc que la démocratie ?

La démocratie, enfin, a-t-elle cessé d'être un immense espoir pour le monde, ce qu'elle fut, à tort ou à raison, au XXe siècle. Elle est copiée. Elle est imitée. Mais elle est adoptée par les dictateurs ! Elle est surtout associée au monde occidental honni. Pour ressusciter, pour être re-suscitée, la démocratie a besoin de débats alternatifs véritables, sinon elle se meurt. Depuis que l'opposition, pourtant factice, entre "le monde libre" et "le monde socialiste", en fait entre le capitalisme et le communisme, a cessé de dynamiser le débat, en 1989 (quel anniversaire !), nous sommes entrés dans un tentative de mondialisation monochrome qui a grisé toute politique transformée en accompagnement pur et simple de totalitarisme capitaliste, car c'en est un...

Être démocrate, aujourd'hui, n'a plus rien à voir avec ce que diffuse le monde économique et médiatique qui a réussi à lessiver nos pensées au point que l'on considère, à présent, comme indiscutable et "naturel" ce qui est une aberration : l'injustice structurelle qui martyrise une large partie du monde vivant et, y compris, une minorité, grandissante, au sein des populations occidentales. L'augmentation des richesses d'un pays, globalement, n'affecte plus la totalité des citoyens mais sa minorité aux affaires (économiques et politiques). Cette réalité peut être porteuse de conflits tels que l'histoire n'en avait jamais connus : pas État contre État, mais par l'intermédiaire de peuples révoltés les uns contre les autres, entrés, par désespoir ou fanatisme induit, dans une "guerre civile mondiale".

Oui, il est temps que la démocratie retrouve couleurs et vigueur, non en réanimant ce qui est mort avec le passé mais ce qui est à réinventer : la fin de la monarchie et, plus encore, la responsabilisation des citoyens en charge de leur présent comme de leur avenir, l'un comme l'autre à partager, sous peine de désastres sans nom.

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Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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