jeudi 17 janvier 2008

Le chanoine impudique

Bouffon imperator (1) est devenu chanoine, c'est-à-dire, selon le dictionnaire Le Robert, "dignitaire ecclésiastique, membre du chapitre d'une église cathédrale ou d'une basilique". S'agit-il d'un moyen de gagner plus en travaillant à peine plus... Eh bien non, depuis Louis XI, les rois de France et leurs successeurs, les présidents de la République française, sont de droit, sans être clercs, chanoines d'honneur de l'archibasilique Saint-Jean de Latran. Ce que cela rapporte ne se compte pas en écus ou en euros. Les plus monarchistes des cinq présidents de la Ve République, De Gaulle, Giscard d'Estaing et Chirac, s'étaient laissé donner la fonction honorifique; Pompidou et Mitterrand, sans la récuser, ne s'étaient pas installés dans aucune stalle de chapitre. Nicolas Sarkozy reprend, avec une visible satisfaction, cette tradition monarchiste et en accuse les traits.

Ce Saint-Nicolas là, nullement évêque bien que pontifiant, est un catholique qui ne saurait demeurer en odeur de sainteté. Qu'il puisse à la fois vivre ce qu'il vit tout en se faisant le défenseur des valeurs chrétiennes a de quoi surprendre! Un catholique intégriste, ou simplement traditionaliste, s'offusquera que ce double divorcé s'affiche à Rome, auprès du Pape, juste après s'être choisi une nouvelle et médiatique maîtresse. Un simple catholique pratiquant comprendra mal que ce qui est interdit aux humbles soit accordé aux grands par le Pape Benoît XVI, pourtant si attentif à la protection de la doctrine, (la politique aurait-elle ses quartiers réservés dans l'univers pontifical ?). Un catholique seulement exigeant, pour qui l'accueil de l'étranger, le refus de l'argent roi, le partage et l'hospitalité font partie du message évangélique aura quelque peine à accepter la mise en scène télévisuelle de cette rencontre ambiguë.

Le citoyen français, chrétien ou pas, se trouve, quant à lui, une nouvelle fois enfermé dans une contradiction: le Président de la république a des pouvoirs et s'en sert, mais il en abuse avec une constante effronterie. Il montre au monde entier qu'il se moque totalement des conventions ou des habitudes, les mieux fondées comme les moins justifiées, qui sont celles qui accompagnaient, jusqu'à présent, l'exercice de la fonction. Nicolas Sarkozy, en quelques mois, a réussi à incarner, seul, ce pouvoir qu'il délègue, reprend ou distribue, à son gré. Il est le Maître. Il est le Chef. Il est l'Imperator, le Conducator, le Caudillo et le Leader Maximo tout à la fois. Je n'ose écrire le Führer, le Guide suprême. En tout cas, il est le Prince (attention à la visite en Andorre). Et par-dessus tout, il est le Chanoine, celui qui, tout puissant, omnicient et omniprésent, peut interprèter et exprimer la parole de Dieu... Trop, c'est trop. Et le culot d'enfer de ce personnage d'opérette à spectacle atteint ses limites. Il est l'impudeur même.

À quand la photo, dans Paris-Match, de Nicolas Sarkozy, à l'Élysée, cigare à la bouche et Carla Bruni sur les genoux, entouré de ses ministres, une coupe de champagne à la main, fêtant ses succès politiques et sentimentaux, en présence du cardinal de Paris ou du primat des Gaulles venus dire la gratitude des catholiques pour cette réinstallation de la fille aînée de l'Église au premier rang de la cour européenne?

Jean-Pierre Dacheux

(1) Alain Brossat, Bouffon impérator, éditions Lignes, 2008.

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