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samedi 26 février 2011

La démocratie sous surveillance renforcée ?

Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez pas à avoir peur d’être filmés !” C’est Brice Hortefeux qui, défendant le projet de développement de la vidéosurveillance en France, a tenu ces propos ; le lendemain, le journal Le Monde publiait la vidéo de son dérapage sur les Arabes et prenait le ministre à son propre piège.

Pourquoi cette simple formule, qui semble marquée au coin du bon sens, est-elle trompeuse et intellectuellement malhonnête ?

La peine de mort aussi relevait du "bon sens", comme l’interdiction de voter pour les femmes, heureusement des hommes politiques courageux ont corrigé ce "bon sens" qui restreignait les libertés et les droits fondamentaux.

Cette formule creuse et fallacieuse, utilisée par le ministre pour tromper l’opinion, flatte de vieux relents xénophobes, un peu racistes, conservateurs et rassis. Les bien pensants sous-entendent "vous avez bien raison de surveiller les autres, ils ont sûrement quelque chose à se reprocher !" Les autres sont, bien entendu, ceux qui sont différents, les "nègres", les "bougnoules", les "Gitans".

Tous les bien pensants ne veulent pas ou ne peuvent pas admettre que la formule du ministre, bien qu'inacceptable, peut apparaître comme vraisemblable selon la norme sociale d’aujourd’hui, mais le sera-t-elle selon la norme sociale de demain ?

En 1942, les Tsiganes, les homosexuels, les handicapés, les communistes, les Juifs avaient-ils quelque chose à se reprocher ? Rien de plus qu’en 1935 mais, entre temps, la norme sociale s’était modifiée et la couleur brune avait envahi l’Europe.

Qu’adviendrait-il, en effet, de l’usage d’un tel outil si la France devait remettre son pouvoir, un jour, dans le futur, à l’issue d’une crise économique et politique gravissime, dans un monde tourmenté, à une administration telle que celle de Vichy ?

Les premières mesures prises par les régimes totalitaires sont de restreindre, voire de supprimer, la vie privée, la liberté d’expression, d’opinion et de circulation, et de placer toute la population sous surveillance.

Le seul fait d’avoir permis la constitution insouciante d’un tel outil, sous un régime démocratique, en temps de paix et de prospérité, pourrait ensuite être qualifié de complicité de crime contre l’humanité si nos institutions politiques devaient tomber entre des mains dictatoriales, ou même simplement entre des mains d’une structure complice d’une dictature.

La surveillance et le fichage global peuvent, dans les toutes prochaines années, si nous ne réagissons rapidement, mettre un outil extrêmement performant au service de la sélection, de la discrimination, de la stigmatisation, des déviants et du contrôle des individus potentiellement dangereux.

C’est aussi une forme de culpabilisation du citoyen : "toi qui ne veut pas être surveillé, tu es donc coupable".

Ne pas vouloir être surveillé a priori est un droit fondamental, prévu dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 (articles 12 et 13). Et ceux dont c’est justement le discours de culpabiliser leurs prochains, de manière qu’ils n’aient rien à cacher et acceptent d’être surveillés, sont souvent les premiers à refuser d’être transparents, et à avoir des choses à cacher. Les exemples ne manquent pas actuellement.

Ne pas vouloir être surveillés est un droit que des citoyens revendiquent dans des villes où la vidéosurveillance a été déployée en créant des collectifs citoyens anti-vidéosurveillance.

C'est le cas à Saint-Leu-la-Forêt où un collectif s’est constitué en 2009.

La nouvelle municipalité, nouveau membre de la Communauté d'agglomération, avait prévu, lors de la campagne électorale de 2008, d’équiper la ville en caméras et le 7 février 2011 au cours d’une séance publique communautaire, le conseil a voté l’implantation de quinze caméras dans la commune de Saint-Leu-la-Forêt, dont une première tranche de huit caméras.

C’est sans compter sur l’opposition très active d’un groupe de citoyens et d’associations locales qui a saisi la commission d’accès aux documents administratifs pour réclamer la communication de l’étude de faisabilité, la Cour régionale des comptes et s'apprête à saisir le juge administratif en déposant une requête en annulation contre la délibération du conseil communautaire autorisant l’implantation de caméras.


Empruntons à Jean-Marc Manach quelques exemples de son livre : "La vie privée, un problème de vieux cons" : "Les milliers de Français nés à l’étranger qui, l’an passé, ont connu les pires difficultés pour renouveler leurs papiers, parce que suspectés de fraudes aux titres d’identité par des fonctionnaires tatillons ou suspicieux, devant leur rapporter moult papiers et preuves de filiation et de nationalité, n’avaient rien à cacher". Et encore : "Ce SDF qui s’est vu refuser le renouvèlement de son RSA, au motif qu’il était trop propre, tout comme cette mère de famille qui a connu pareille mésaventure parce qu’on la soupçonnait de n'être pas célibataire, et qui dut faire le tour de ses voisins pour leur demander de témoigner qu’aucun homme ne vivait chez elle, n’avaient, eux, rien non plus à se reprocher".

Comme dans les exemples ci-dessus, nombreux sont ceux qui n’ont rien à se reprocher et sont suspectés, mis en accusation par des représentants de l’administration ou de l’autorité. C’est alors à la personne suspectée d’apporter la preuve de son "innocence" et pas à l’ "autorité" de prouver sa "culpabilité". Et, quand on cherche, on trouve, toujours. Rappelons, à ce sujet, les mots du Cardinal de Richelieu, qui sont toujours d’actualité : "Avec deux lignes d’écriture d’un homme, on peut faire le procès du plus innocent".

Nous avons, heureusement, tous des choses à cacher sinon nous serions des monstres et des malades mentaux. Nous avons tous un jardin secret, cela est évident. Comme, nous nous habillons pour ne pas dévoiler notre corps à ceux qui ne sont pas dans notre cercle d’intimité, nous clôturons, même inconsciemment, notre jardin secret et notre intimité, pour les préserver. Le cercle d'intimité maintient les autres à distance et offre à chacun sa place dans le monde. Depuis toujours, le pouvoir cherche, par tous les moyens, à connaître les méandres des jardins secrets des citoyens. Contrôler cet intime, c’est dominer, pour asseoir et conserver ce pouvoir.

La surveillance vidéo amène beaucoup d’entre nous à s’autocensurer sur la voie publique ne sachant plus où se situe la frontière entre domaine privé et domaine public. Hannah Arrendt a écrit : "Un des piliers de nos démocraties est la frontière entre le public et le privé". L'intime est absolument nécessaire à la construction de la personne. Notre inconscient a besoin de différenciation entre l'externe et l'interne, entre le fantasme et le réel, entre moi et l'autre. Cet intime mis à mal peut subir des conséquences importantes d'ordre pathologique. Quelques sociologues et des journalistes prédisent la fin de la vie privée. Cette fin, si elle devait intervenir, amènerait l’humanité à la folie collective et à la barbarie.

Enfin, le vrai problème ne serait-il pas plutôt le voyeur : celui qui veut tout savoir sur les autres, qui les veut transparents, alors que lui-même est trouble, celui dont le pouvoir n’est pas bâti sur des fondations solides, vraiment démocratiques, de justice et d’égalité. Ce voyeur a besoin d’artifices, de faux nez pour dominer le peuple. La surveillance généralisée procède de ce système.

Dans ces conditions, les paranoïaques, les malades ne sont pas du côté de ceux qui s’étonnent d’être surveillés, mais parmi ceux qui veulent surveiller tout le monde à tout prix.

La question n’est pas de savoir si nous avons quelque chose à cacher, mais de la poser à ceux qui veulent nous "protéger", sans notre accord.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux



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