mercredi 2 mars 2011

Islam, laïcité et totalitarisme politique

Il arrive que l'actuel premier ministre, François Fillon, profère des vérités. C'est d'ailleurs un mode de gouvernement que celui qui consiste à enfouir une horreur sous un flot de truismes. Alors, oui, l'Islam est devenu, par le nombre de ses fidèles, la seconde religion des Français. Elle oblige à regarder autrement ce concept politique majeur dont dépend la paix civile : la laïcité. Mais ce n'est certes pas l'UMP qui va renouveler et approfondir cette donne fondamentale, en France, qui, depuis la fin du XIXe siècle, aura marqué l'histoire de la République : la décléricalisation.


Car la laïcité fut d'abord une lutte pour secouer la tutelle que l'Église catholique faisait peser sur la société civile : ses hôpitaux, ses écoles, l'armée, sans parler de l'influence éminente (et grise !) exercée dans les couloirs et les antichambres du pouvoir.

On a longtemps confondu décléricalisation et déchristianisation. Les évêques tonnaient. Les curés fulminaient du haut de leurs chaires. En Bretagne, on refusait la communion aux catholiques envoyant leurs enfants à l'école laïque, l'école du diable. Jusqu'au jour où l'on s'est rendu compte que la laïcité pouvait, aussi, assurer la liberté religieuse... Changement de ton alors, quand une religion cesse d'être dominatrice, elle ne peut qu'accepter ce qu'elle revendique pour elle-même : la liberté de pensée (ce que les Juifs et les Protestants, très minoritaires, avaient, depuis longtemps, admis).

La décléricalisation, notamment après le concile Vatican 2, a cessé d'être impie. Des théologiens et des intellectuels chrétiens ont fait reconnaître et accepter aux catholiques que le secours de l'État n'était pas un recours pour la foi. Malgré des réticences résiduelles, ça et là, il s'est installé, en France, la conviction générale que la laïcité permettait un respect de l'autre, même quand on conteste ses convictions.

Les "laïques" comme on disait, à tort, pour parler des plus fervents acteurs de la décléricalisation, - comme si ceux qui ne participaient pas à cette lutte politique nécessaire étaient tous anti-laïques ! - ont, parfois, mal apprécié les exigences de la laïcité, notamment quand ils ont prétendu confiner la foi dans la sphère privée ! Ils ont alors, à leur tour, confondu le domaine de l'intime, du rapport personnel avec le mystère de la vie, avec la solitude du croyant ou de l'athée. Bien entendu, il n'en était rien parce que les lieux de culte ou les associations philosophiques regroupaient, librement leurs membres. La laïcité permet le pluralisme et ne confine pas les croyances et les incroyances dans des cercles privés, familles ou sectes...

La droite ayant perdu la lutte politique antilaïque et la formule de Marx ("La religion, c'est l'opium du peuple") ayant obligé soit à renoncer à la religion soit à la repenser, comme le révéla l'expérience des prêtres-ouvriers, nous voici parvenus en un temps où les religions chrétiennes ont cessé d'être, par définition, des supports des idéologies dominatrices s'arrogeant le droit d'exercer le pouvoir au nom de Dieu !

Malgré l'abandon du "catholique et Français toujours", l'Église catholique n'en a pas moins continué à influencer la politique française. La majorité des "fidèles" (le vilain mot qui sent son suivisme) vote encore pour les partis de moins en moins conservateurs mais de plus en plus libéraux (non libérateurs mais liberticides, en matière économique).

Et nous voici à un nouveau tournant historique : le totalitarisme politique peut s'appuyer soit sur le monopole d'une même religion, soit sur la pensée unique selon laquelle l'économie de marché est la seule humainement concevable.

Les porte-parole de la droite et l'extrême droite, actuellement en France, ont choisi : ils ont cessé de critiquer la laïcité maintenant que le monopole de la religion catholique, soutien de l'État est totalement exclu. Ils se sont ralliés à un autre monopole, quasi religieux, qui accepte et développe l'inégalité entre les hommes. Ils vont donc stigmatiser l'Islam, suspecté de visées totalitaires, pour mieux dissimuler la doxa du capitalisme moderne qui n'est certes plus celui que connut Marx mais qui pourrait bien être devenu le nouvel opium du peuple !

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Aujourd'hui, il faudrait être "croyant", culturellement parlant. L'exhortation au respect des religions ne s'accompagne pas d'un même appel au respect des pensées sans religion ! On passe sous silence, du reste, les motivations évangéliques conduisant à affirmer qu'on "on ne peut servir deux maîtres : Dieu et l'argent". La juxtaposition harmonieuse de croyants et d'incroyants, de chrétiens, musulmans, agnostiques et athées, dans un pays où l'on ne cherche pas l'unicité de pensée est-elle vraiment à l'ordre du jour ? Doit-on continuer à associer les religions instituées aux pouvoirs constitués ? Doit-on magnifier le domaine privé, où règnerait la liberté religieuse, face au domaine public où aucune exigence de justice fondée sur des considérations religieuses de partage n'aurait cours ? Le religieux qui s'écarte de la religion est volontiers "communiste"...

L'Europe politique, qui n'en finit plus de rechercher sur quelles bases se construit sa légitimité et la citoyenneté de son peuple, reste bloquée par cette affirmation selon laquelle elle est d'abord judéo-chrétienne. Le rejet de la Turquie hors de l'Union trouve là sa véritable explication politique. L'Islam serait antidémocratique donc...

Patatras ! C'est dans le monde arabe et musulman que jaillit avec le plus de force, en 2011, l'exigence de démocratie ! Comme les chrétiens, lentement convertis à la laïcité, les musulmans vont y venir parce que démocratie authentique et laïcité font un.

Est-ce sous cet éclairage que le débat sur la laïcité et l'Islam va s'ouvrir ? On peut en douter ! Résistances et Changement est prêt à y apporter une contribution tant il nous apparait que nos compatriotes musulmans et "le printemps arabe" ont des apports à nous offrir non pour aller vers un totalitarisme politique, hard ou soft, mais pour nous aider à porter plus loin, sur la planète, l'idée même d'une laïcité libératrice et pluraliste.

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Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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