Claude Guéant, le sinistre de l'intérieur de la monarchie sarkozienne, fut un bon artisan. Il a fini , il a peaufiné plutôt son travail. C'était un besogneux.
En effet, avant de
laisser sa place, et alors que son mentor était battu à l'élection
présidentielle ou, plutôt, à cause de ce revers, il s'est empressé,
les 6, 7 et 8 mai, de signer quelques décrets en rapport direct avec
le fichage.
Il est vrai que la
fonction de "chef de la police" génère un dysfonctionnement pathologique qui peut conduire à l'obsession permanente de vouloir tout connaître de ses
concitoyens.
Nous espérons vivement
que le nouveau locataire de la place Bauveau s'est soigné,
préventivement, contre ce syndrome.
Ces décrets qui sont
l'achèvement de la partie police de la LOPPSI 2 1
autoriseront la fusion des deux principaux fichiers de police –
STIC 2
et JUDEX 3
– en un nouveau fichier nommé TAJ 4
et l'interconnexion avec le plus important des fichiers judiciaires
– CASSIOPÉE 5
au travers d'un nouveau logiciel NS2I 6. Mais qui va savoir cela ?
Véritable usine à gaz,
c'est un monstrueux cadeau empoisonné qui vient d'être laissé au
nouveau gouvernement ! Pour bien comprendre la situation, il faut
faire connaissance avec les différents constitutifs du système
global.
Le STIC
est le plus important fichier policier. 45 millions de personnes
y figurent (68 % de la population) – dont 6,5 millions de justiciables
(mis en cause et suspects) dont on a enregistré les noms, prénoms,
pseudonymes, dates et lieux de naissance, situations familiales,
filiations, nationalité, adresse, profession, signalement et
photographie (face et profil) - et, pour 38,5 millions de victimes, les
mêmes données, sauf les photographies. Le STIC, fut mis en œuvre
expérimentalement en 1985, puis en grandeur réelle en 1994 et, comme
le JUDEX, il fonctionna de manière clandestine jusqu'à sa
légalisation en 2001 7.
Les données sont stockées de 20 à 40 ans, pour les suspects et, au
maximum, 15 ans pour les victimes. Près de 100 000 personnes sont
habilitées à consulter ce fichier et l'on estime à 20 millions le
nombre de connexions annuelles.
Le problème fondamental
de cet énorme fichier est son manque de fiabilité. Dans un rapport
de 2009, la CNIL a estimé que seulement 17 % des fiches sont
exactes. Les erreurs
proviennent, principalement, de défauts d'actualisation des
informations (non-lieux, acquittements, relaxes). On estime que 35 %
des erreurs sont imputables au ministère de l'intérieur et 65 %
au ministère de la justice, car si le fichier est renseigné par les
policiers, ce sont les procureurs qui devraient assurer la mise à
jour.
JUDEX. Mis en service en
1985/1986, ce fichier a fonctionné pendant 20 ans dans la
clandestinité, en dehors du respect de la loi Informatique et
Liberté de 1978. Il a été légalisé seulement en 2006. Il
répertorie 10 millions d'affaires dont 2,15 millions de personnes
mises en cause. En avril 2005, la CNIL 8
a dénoncé le manque de mise à jour du fichier, notamment pour le
recrutement du personnel de sécurité, tout en reconnaissant qu'il
était mieux « tenu » que le STIC, (en effet, seulement...
48 % d'erreurs ont été constatées !).
Le TAJ est le nouveau
fichier issu de la fusion du STIC et du JUDEX. Lors de sa
délibération, la CNIL a estimé que « des mesures concrètes
devront être prises pour que les données soient exactes et mises à
jour » afin que le nouveau
fichier n'hérite pas de la montagne d'erreurs accumulées.
Dans
deux rapports parlementaires, de 2009 et 2011, les députés Delphine
Batho9
(PS) et Jacques-Alain Bénisti (UMP), avaient insisté auprès du
gouvernement sarkozien pour que les fichiers soient nettoyés, sans
succès, puisque Claude Guéant, magnanime, fait cadeau à ses
successeurs de ces véritables écuries d'Augias informatiques.
Pas
tout à fait, tout de même, car avec la plus grande des perversités,
l'ex ministre de l'intérieur a décidé « pour nettoyer »
le STIC et le JUDEX d'interconnecter le TAJ avec CASSIOPEE (j'espère
que vous suivez toujours ! ).
CASSIOPÉE a été mis en œuvre en 2009, plus de 16 mois avant qu'il ne soit déclaré
officiellement à la CNIL 10
par le ministère de la justice, pour enregistrer les informations
relatives aux plaintes et aux dénonciations reçues par les
magistrats. CASSIOPÉE comporte un nombre considérable de données
concernant les personnes mises en examen, les témoins, les victimes
et les parties civiles pour des durées qui varient de 10 à 30 ans.
En
outre, le décret portant création de CASSIOPÉE a été publié au
Journal Officiel en omettant soigneusement de publier l'avis de la
CNIL, et, pour cause, car dans son avis, elle déplorait « l'absence
de sécurisation » de
l'accès aux données personnelles.
L'idée, qui peut
paraitre judicieuse, de prime abord, est de pouvoir, à terme, mettre
à jour, de façon automatisée, le TAJ, grâce aux informations
de CASSIOPÉE, et d'en finir ainsi avec des personnes fichées comme
mis en cause alors qu'elles sont blanchies par la justice.
Sauf que, faute de moyens
financiers et humains 11,
de concertations, de compétences, CASSIOPEE est un désastre12
qui entraine un dysfonctionnement inquiétant de la justice13.
Et le 7 mai 2012, par un
autre décret, à marche forcée, le toujours (pour 3 jours) ministre
de l'intérieur officialisait, en plus, l'interconnexion de CASSIOPÉE avec le
Casier Judiciaire National et élargissait, ainsi, de façon sensible, le
nombre de personnes qui pouvaient accéder au fichier.
En fin de compte, il ne s'agissait pas d'artisanat, ni d'un besoin de
terminer un travail inachevé mais, plus simplement, pour M. Guéant,
d'une mission de sabotage destinée à mettre en difficulté les
ministères de l'intérieur et de la justice à venir, en décrétant la
validation de systèmes inapplicables.
J'espére que les
nouveaux ministres sauront déminer les bombes à retardement mises
en place par le pouvoir sarkozien dont la seule constance fut la
désintégration de la société française au profit d'une
oligarchie corrompue et cynique.
J'attends des
responsables nommés par le nouveau président qu'ils respectent les
promesses faites, et particulièrement en ce qui concerne le contrôle
social, la remise à plat de l'ensemble des fichiers policiers et
administratifs, dans la stricte utilité nécessaire au fonctionnement
de la République et au respect des libertés et des droits
fondamentaux.
Jean-Claude Vitran
1 LOPPSI
: Loi d'Orientation et de Programmation pour la performance de la
Sécurité Intérieure.
2 STIC
: Système de Traitement des Infractions Constatées, c'est un
fichier de la police nationale.
3 JUDEX
: Système Judiciaire de Documentation et d'EXploitation, c'est un
fichier de gendarmerie.
4 TAJ
: Traitement des Antécédents Judiciaires.
5 CASSIOPEE
: Chaine Applicative Supportant le Système d'Information Oriente
Procédure pénales Et Enfants.
6 NS2I
: Nouveau Système d'Information dédié à l'Investigation, c'est
un logiciel de fonctionnement.
7 On
peut s'interroger sur le respect de la démocratie et des citoyens
dans notre pays.
8 CNIL
: Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés.
9 Delphine
Batho vient d'être nommée ministre déléguée à la justice
10 Le
ministère de la justice a lui aussi la capacité à ne pas
respecter les lois.
11 La
réforme de la carte judiciaire de Rachida Dati est passée par là.
12 Note
de l'union syndicale des magistrats :
http://www.union-syndicale-magistrats.org/web/upload_fich/publication/npj/npj_398/36_npj_398.pdf
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