La presse, dans sa majorité, a rendu compte de la prise de parole de Serge Letchimy, à l'Assemblée Nationale, comme d'une injure lancée au ministre Guéant. Sortie de son contexte, tronquée, coupée par le président de l'Assemblée Nationale, la parole du député de la Martinique, n'a pas été entendue pour ce qu'elle fut ! La Lettre ouverte du 6 février (jour anniversaire, au fait, de la tentative de coup d'état du 6 février 1934) rectifie les choses. Il faut la lire.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
LETTRE OUVERTE A M. CLAUDE GUEANT,
MINISTRE DE L’INTERIEUR
MINISTRE DE L’INTERIEUR
M. le Ministre,
Votre venue en Martinique dans les jours qui viennent, m’oblige à vous rappeler que cette terre a vu naître Aimé Césaire, Frantz Fanon, Edouard Glissant. Qu’elle a été aimée par des hommes aussi admirables que furent Victor Schœlcher, André Breton, Léopold Sedar Senghor, Claude Lévi-Strauss, et de manière plus proche encore, par Léopold Bissol, Georges Gratiant, ou Camille Darsières, pour ne citer que quelques-uns de nos grands politiques.
Ces hommes furent de grands humanistes.
Leur vie et leurs combats se sont situés en face de ces crimes que
furent la traite, l’esclavage, les génocides amérindiens, les
immigrations inhumaines, ou la colonisation dans tous ses avatars… Tous
ont combattu la pire des France : celle qui justifiait les conquêtes et
les exploitations, et bien d’autres exactions dont les cicatrices sont
inscrites dans nos paysages. Cependant, je n’ai jamais entendu un seul
de ces hommes lister ces attentats pour décréter que la civilisation
européenne, ou que la culture française, serait inférieure à n’importe
quelle autre. Je ne les ai jamais entendus prétendre que le goupillon de
la chrétienté (qui a sanctifié tant de dénis d’humanité) serait plus
primitif que tel bout liturgique d’une religion quelconque.
Toujours, ces hommes ont établi la
distinction entre cette France de l’ombre et la France des lumières.
Pour combattre l’ombre qui menaçait leur humanité même, ils se sont
référés à la France de Montaigne, de Montesquieu, de Pascal, de
Voltaire, de Condorcet ; à celle qui s’est battue pour abolir la traite,
puis l’esclavage, qui a supprimé la peine de mort du code de ses
sentences ou qui a accordé aux femmes le droit de vote et celui de
disposer de leur maternités… A s’en tenir à votre logique, ils auraient
eu mille raisons de condamner la civilisation occidentale, et de
renvoyer aux étages inférieurs bien des cultures européennes.
Voyez-vous M Guéant, vos chasses
à l’immigré (qu’il soit en règle ou non), ou la hiérarchisation que
vous célébrez sans regrets ni remords entre les cultures et les
civilisations, vous ont enlevé la légitimité dont a pourtant besoin
votre prestigieuse fonction. Vous portez atteinte à l’honneur de ce
gouvernement, et à l’image d’une France qui visiblement n’est pas la
vôtre, mais que nous, ici, en Martinique, avons appris à respecter.
Toutes les civilisations ont produit, et
de manière équivalente, des ombres et des lumières. Mais si les ombres
n’ont jamais triomphé très longtemps, si beaucoup d’entre elles ont
disparu dans les oubliettes de l‘histoire (en compagnie de régimes
politiques ou religieux quelque peu lamentables), c’est simplement parce
que des hommes de bon sens, pétris d’humanisme et de haute dignité, ont
exalté les parts lumineuses que toutes les civilisations de
l’homo-sapiens ont mises à notre disposition.
Les civilisations se sont nourries de leurs lumières mutuelles pour mieux combattre leurs propres ombres. Dans une transversale célébration et de grande foi en l’Homme, ces hommes ont honoré les lumières d’où quelles viennent ; les lumières se sont reconnues entre elles; leurs signaux réciproques ont conservé intact (de part et d’autre des lignes de partage ou de conflit) un grand espoir d’humanité pour tous. Grâce à eux, nous savons qu’il est dommageable de considérer l’ombre, ou de s’en servir à des fins qui ne grandissent personne. Ils nous ont donc appris à nous écarter de ceux qui l’utilisent, et qui, par là même, la transportent avec eux.
Les civilisations se sont nourries de leurs lumières mutuelles pour mieux combattre leurs propres ombres. Dans une transversale célébration et de grande foi en l’Homme, ces hommes ont honoré les lumières d’où quelles viennent ; les lumières se sont reconnues entre elles; leurs signaux réciproques ont conservé intact (de part et d’autre des lignes de partage ou de conflit) un grand espoir d’humanité pour tous. Grâce à eux, nous savons qu’il est dommageable de considérer l’ombre, ou de s’en servir à des fins qui ne grandissent personne. Ils nous ont donc appris à nous écarter de ceux qui l’utilisent, et qui, par là même, la transportent avec eux.
M. Guéant, fouler le sol martiniquais,
c’est toucher une terre que des hommes comme Aimé Césaire ont fécondé de
leur sang. Un sang qui s’est toujours montré soucieux de l’humanisation
de l’homme, du respect des civilisations et de leurs différences.
Ce serait donc comme une injure à
leur mémoire, à leur pensée, à leurs actions, que de vous laisser une
seule minute imaginer que vous serez le bienvenu ici.
C’est par-dessus vous, et du plus haut possible, que nous renouvelons à la France des lumières toute notre considération, et confirmons notre respect pour les valeurs républicaines qui, contrairement à celles dont vous êtes le héraut, sont à jamais très opportunes chez nous.
C’est par-dessus vous, et du plus haut possible, que nous renouvelons à la France des lumières toute notre considération, et confirmons notre respect pour les valeurs républicaines qui, contrairement à celles dont vous êtes le héraut, sont à jamais très opportunes chez nous.
Article imprimé de Blog officiel de Serge Letchimy: http://www.serge-letchimy.fr
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