par Thomas Heams-Ogus, écrivain
LEMONDE.FR, le 07.10.11
Pour l'électeur potentiel qui aura écouté jusqu'au bout le dernier débat en date de la primaire "citoyenne", les dernières minutes eurent un parfum amer. Questionnés sur l'immigration, les candidats ont frappé par leur unanimité : le ou la prochain(e) hôte de l'Elysée exclut désormais toute régularisation massive ; chacun, son coeur en bandoulière, nous promet des critères justes voire "humains" (sic) pour régulariser au cas par cas. Pas un n'envisagea même un simple moratoire sur les expulsions ! Pour qui a suivi l'histoire du PS avec les sans-papiers, cet aveu décomplexé est attendu et pourtant absolument écoeurant. Qu'entend-on en effet, derrière ce bon sens autoproclamé et les bons sentiments qui l'accompagnent ? Que l'immigration est un problème, que les régularisations massives créent un appel d'air, que la crise impose de ne pas crisper les travailleurs français. C'est une triple capitulation face à la droite qui est ainsi benoîtement entérinée.
Acte Un : ainsi donc, l'immigration est problématique. Pas un candidat n'a rappelé que le socialisme est avant tout un internationalisme, qui reconnaît comme fondamental le droit pour un homme d'où qu'il vienne d'aller et venir, et de chercher son émancipation où il le souhaite sur cette planète. Que ce droit théorique se heurte aux réalités de la crise est une chose, qu'il faille trouver des adaptations pragmatiques est évident, mais qu'il ne se trouve pas un candidat sur six pour rappeler que c'est ce principe fondamental qui doit être notre guide en la matière est sidérant. Tout comme l'est, d'ailleurs, leur silence sur les origines occidentales de cette crise. En gros, le monde capitaliste s'autodétruit, et on trouve normal que les pauvres des Suds en payent le prix loin de nos yeux. Les doctrines seraient donc faites pour s'effacer derrière la furie prédatrice des marchés...
Face à cela, les candidats restent dans leur bulle, en reviennent à la théorie des "bonnes questions" auxquelles il ne faut pas apporter de méchantes solutions, et conditionnent donc l'acceptation des étrangers à des critères de "mérite", ou d' "intégration", en un aveuglement doublé d'une charité bâtarde à rebours de toute la tradition politique de solidarité dont ils se rengorgent par ailleurs.
Acte Deux : les régulations massives entraînent un appel d'air. Voilà donc l'adoubement d'une autre approximation que la gauche a longtemps tenu à distance respectable. Qu'un effet d'aubaine existe marginalement lors d'un tel processus n'est pas exclu bien sûr, mais on croyait que le logiciel socialiste savait se souvenir que les logiques migratoires sont beaucoup plus complexes. Que notamment, des régions de pauvretés équivalente peuvent être ou non des bassins d'émigration pour des raisons aussi culturelles et historiques, que l'essentiel des migrations se font du Sud vers le Sud, que si les hommes couraient vers la richesse comme vers un aimant, notre continent serait depuis longtemps submergé. Et que donc, l'"appel d'air" dénomination injurieuse qui prend les hommes pour des molécules, était en grande partie un fantasme. De cela, il ne reste rien dans le discours de nos candidats.
Acte Trois, le plus répugnant. Sous prétexte de ne pas exciter les pulsions xénophobes des travailleurs français (des imbéciles supposés, faut-il croire), on devrait accepter les simplifications que les populistes de droite propagent, et notamment avaliser le lien entre chômage et immigration que fait depuis des années le Front National, et son faux nez à l'UMP, la Droite Populaire. Cette position pleutre est d'ailleurs aussi au centre du sarkozysme : combien de fois a-t-on entendu le président de la République expliquer doctement que face à des masses déboussolées et furieuses, la seule réponse possible était "la fermeté", parfaitement incantatoire, et négatrice de tout travail patient d'exposition de la complexité des phénomènes migratoires. Faut-il donc que la gauche y succombe ? Qu'on ne s'y trompe pas : même avec des nuances et des trémolos dans la voix, accepter par pragmatisme d'opposer un prolétariat national à un sous-prolétariat immigré, ne plus chercher à dénoncer cette ignominie, est un reniement majeur que les socialistes demandent à leurs électeurs de valider.
Doit-on s'en étonner d'ailleurs, au vu du long travail de décomposition des partis politiques que cette primaire parachève ? Se souvient-on de Lionel Jospin qui, dans les derniers feux de la campagne de 1997, promit de régulariser tous les sans-papiers pour finalement, lui aussi, céder aux composantes autoritaires de sa fragile majorité plurielle ? Ingrate gauche de gouvernement, oublieuse des mouvements de solidarité avec les sans-papiers de 1996, qui avaient remobilisé et réarmé la gauche des rues, et à qui elle devait en grande partie sa victoire. Donnons-lui acte en 2011 de ne même plus faire semblant de croire à ces principes... Cet abandon en rase campagne, sous la pression d'une supposée "opinion", ne pouvait que se trouver amplifié par la mécanique des primaires, où le Parti Socialiste (et ses futurs imitateurs), perd toute capacité d'impulsion, de transformation, d'éclairage, mais se transforme en réceptacle des demandes putatives d'un peuple considéré comme intellectuellement limité, demandes tamisées par les éditorialistes de plateau et les prophéties autoréalisatrices des sondages qui façonnent les agendas médiatiques et politiques.
Est-il devenu impossible que le PS retrouve un peu de courage et d'honneur, et ne rappelle que l'immigration est une chance et un besoin ? Doit-il laisser cette approche aux seuls ultralibéraux ? Refusera-t-il désormais de dire que si l'immigration a, certes, besoin de contrôle, pour doucher les rêves esclavagistes délirants des apôtres du libre-échangisme et du démantèlement des droits sociaux, ce contrôle passe par le co-développement, par la reconnaissance de la dette que notre pays a envers les hommes de toutes nations qui l'ont reconstruit au détriment de leur propre vie ?
Refusera-t-il désormais de reconnaître que notre richesse insolente s'est longtemps bâtie sur l'exploitation des Suds ? Oubliera-t-il pour toujours qu'une politique de migrations temporaires est possible, autorisant allers et retours, pour ne pas piéger en France des hommes dont le but initial n'est pas de s'y installer ? Qu'une régularisation massive, chaque décennie par exemple, n'est ni une menace numérique ni un péril identitaire si notre pays sait ouvrir les yeux sur la pluralité de son héritage culturel, et qu'elle apporterait de la sécurité aux bénéficiaires et donc à la société ? Que nos voisins européens qui l'ont fait n'ont pas été engloutis ?
Peut-être que tout cela est écrit, quelque part en tout petit, dans le programme et les plaquettes des candidats. Mais le débat du 28 septembre permit de faire surgir et de condenser, en quelques mots, l'esprit de leur logique, le message à retenir, et c'est cela le cœur du problème. Il faut le dire : cette position est une trahison de tous les travailleurs sans-papiers, de leur familles et de leurs soutiens.
Reste à espérer que la longue campagne qui s'ouvre suscite d'autres voix, d'autres rapports de force, pour infléchir cette tendance et mettre fin aux oppositions mortifères entre les classes laborieuses de ce pays.
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