Il est souvent dit que la France est le pays des Droits de l’Homme. Il n’est pas exact d’affirmer cela. il suffit de se référer à l’histoire pour le prouver.
Bien avant la Révolution française, après une courte guerre civile en juin 1215, un texte, la Magna Carta, est rédigé par les barons anglais pour réduire les pouvoirs royaux de Jean sans terre et garantir les libertés individuelles.
Ensuite le 26 mai 1679, les Anglais, encore eux, proclament le Bill d’habeas corpus qui règle avec précision le droit de l’inculpé et du détenu. En 1689, ils détronent Jacques II et proclament le Bill of right qui marque le passage d’une monarchie de droit divin à une monarchie constitutionnelle basée sur un contrat. Même incomplète, cette Déclaration des Droits marque la véritable naissance de la démocratie moderne.
Le 4 juillet 1776, les « Américains » dans une belle Déclaration, écrite par Thomas Jefferson, ont proclamé leur indépendance. Enfin le 26 août 1789, les députés de l'Assemblée nationale constituante établissent la synthèse des textes anglo-saxons et des idéaux politiques et philosophiques du Siècle des Lumières. Ils rédigent alors la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Regardons le contexte contemporain maintenant, plus particulièrement en Europe :
Il y a 60 ans, le 4 novembre 1950 était signé à Rome la Convention européenne des Droits de l’Homme qui entrait en vigueur en 1953 décidant la création de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui rend son premier jugement le 14 novembre 1960.
Cependant la France, qui héberge la Cour à Strasbourg, n'a ratifié la Convention qu'en 1974, et n'a permis à ses résidents de la saisir qu'en 1981.
La CEDH, qui a rendu son 10000 ème arrêt en fin 2009, ne couvre pas seulement les pays de l’Union Européenne mais toute l’Europe. À l’exception du Bélarus et du Kazaksthan, tous les pays européens ont ratifié la Convention et sont membres de la CEDH.
Sur 47 pays contractants, la France occupent la 4ème position au nombre de condamnations au titre du non-respect des Droits de l’Homme, derrière la Turquie, l’Italie et la Russie.
Les derniers chiffres connus en 2009 nous indiquent qu’elle a été condamnée 579 fois depuis 1986 et il y avait 2464 affaires à juger.
Pour la seule année 2009 : la France a fait l'objet de 33 arrêts dont 20 ont constaté une violation de la Convention des droits de l'homme, dont 5 pour violations du droit à un procès équitable, 4 au sujet du droit à la liberté et à la sureté ainsi que du droit de propriété, 3 pour violation de la liberté d’expression et 2 pour tortures ou traitements inhumains et dégradants.
Pour 2010, les chiffres ne sont pas encore connus mais, le 14 octobre 2010, la CEDH a condamné la France dans une affaire de garde à vue. Les juges européens ont estimé que les personnes gardées à vue doivent pouvoir bénéficier d’un avocat dès le début de la procédure et durant tous les interrogatoires et ils ont insisté pour que soit respecté le droit d’un mis en cause de garder le silence. « Le droit français ne répond pas aux exigences du procès équitable » écrivent-ils.
Les chiffres et les faits sont parlants, et la boulimie législative, à laquelle on assiste – 17 lois sécuritaires depuis 2002* – le traitements des migrants et de certaines minorités, Voyageurs et Rroms, par exemple, la multiplication des systèmes de surveillance, de fichage et de traçage des personnes n’autorisent pas d’affirmer haut et fort et de se vanter que la France est le pays des Droits de l’Homme.
D’ailleurs, il nous semble que, sous l’alibi du terrorisme et des paranoïas sécuritaires, les droits fondamentaux et les libertés sont en régression sur l’ensemble de la planète.
Il ne suffit pas d'appeler Voltaire, Diderot, Schœlcher, Hugo, Zola, Camus, à la rescousse. La France n'est pas plus exemplaire que n'importe quel État de la planète et même, sa participation à l'esclavage, à la colonisation, à la collaboration avec le fascisme, à la torture, dont les archives qui s'ouvrent montrent, à présent, toute l'ampleur, ne lui donne aucune possibilité de donner des leçons au reste du monde.
Plus circule l'information, plus se multiplient les travaux historiques, plus le temps passe avec la mort de ceux dont on ne cache plus les crimes, plus il apparait que le pays des droits de l'homme n'est certainement pas la France !
Un livre récent Kamerun nous apprend que, "pendant plus de quinze ans, de 1955 à 1971, la France a mené au Cameroun une guerre secrète, une guerre coloniale, puis néo-coloniale, qui a fait des dizaines de milliers de morts, peut-être davantage, une guerre totalement effacée des histoires officielles.
Un documentaire, France-Afrique, l'argent-roi, présenté sur France2, a révélé, il y a peu, d'autres crimes perpétrés par l'armée française. On y apprend les tares de ce système qui a promu et soutenu des régimes sanguinaires en Afrique noire. On y découvre comment l'argent du pétrole et des matières premières issus des sous-sols de ces pays, a servi à déstabiliser des États, à tuer une partie de leurs populations et à financer les partis politiques de tous bords en France.
Ce qui se passe en Cote d'Ivoire est tout aussi révélateur de la permanence de l'influence postcoloniale française et Laurent Gbagbo dispose encore de bien des bombes diplomatiques lui permettant de monnayer sa sortie ou son retour, selon l'opportunité. Ses soutiens parmi d'importantes personnalités socialistes nous rappellent que, durant les septennats de François Mitterrand aussi, la Françafrique a exercé tout son pouvoir au détriment des populations locales.
Et voici venu le temps des révélations tunisiennes... Il éclate sous nos yeux que le soutien aux dictateurs et autres chefs d'État fantoches, quel que soit le prix humain à payer, par les milieux affairistes et politiciens français, aura sali notre pays. L'étonnant est que nous l'ayons si longtemps toléré ! Depuis De Gaulle, Messmer, Debré, puis, sous Mitterrand, ensuite de Chirac à Sarkozi, bref de RPR en UMP, on a exploité et dominé brutalement les peuples d'Afrique, sous nos yeux, tout en leur interdisant de s'autodéterminer, mais nous avons porté ailleurs notre regard.
Nous avons ignoré par méconnaissance ou par oubli volontaire nos crimes d'État. Il nous pesait sans doute d'avoir perdu notre empire, nos colonies, notre puissance planétaire. La vérité se fait jour mais lentement, difficilement. Il est grand temps de laver notre honneur. Mais cela ne se fera pas sans changer de génération, sans changer de personnel politique.
Ce n'est d'ailleurs qu'un début. L'art de masquer les faits qui ont compromis des dirigeants historiques de notre pays ne résiste pas au temps et à la généralisation de l'information transmise au-delà de toutes les frontières. En ce temps où la communication, même chargée de documents falsifiés, n'interdit plus de savoir ce qui va s'inscrire dans nos livres d'histoire, nos références changent et ce qui était indicible, politiquement trop incorrect, surgit et transforme nos jugements de valeur.
C'est ainsi, à présent, qu'il convient d'aborder les droits de l'Homme, c'est-à-dire les droits de tous les hommes et pas les droits de l'homme tels que les autorités françaises les décrivent. Cela va beaucoup plus loin que la dénonciation de l'immoralité et de la violence de personnages en vue mais crapuleux. Un droit sans contenu n'est plus un droit. Et offrir un droit qu'on ne peut exercer est une vilénie.
Les événements de Tunisie, quelle que soit la suite qui se produira dans les semaines et mois à venir, ont déjà atteint un but : les droits civiques d'un peuple, bridés, brimés, avec l'approbation muette de démocraties occidentales complaisantes (mais s'agit-il encore, alors, de démocraties) n'ont pu être enfouis à jamais et leur manifestation spectaculaire va inviter tous les peuples à relever la tête.
Annexe : * Les 17 lois sécuritaires, votées en France depuis 2002 :
- 30 août 2002 - Loi d'orientation pour la sécurité intérieure N°1.
- 09 septembre 2002 - Loi d'orientation pour la justice.
- 03 février 2003 - Loi réprimant la conduite sous l'influence de stupéfiants.
- 03 février 2003 - Loi visant à aggraver les peines des infractions à caractère raciste.
- 18 mars 2003 - Loi pour la sécurité intérieure permettant aux policiers de faire des contrôles d'identité.
- 12 juin 2003 - Loi sur la violence routière.
- 27 novembre 2003 - Loi sur la maîtrise de l'immigration.
- 09 mars 2004 - Loi adaptant la justice aux évolutions de la criminalité.
- 21 juin 2004 - Loi sur la confiance dans l'économie numérique.
- 12 décembre 2005 - Loi sur la récidive.
- 24 janvier 2006 - Loi sur le terrorisme.
- 25 juillet 2006 - Loi sur l'immigration.
- 07 mars 2007 - Loi sur la prévention de la délinquance.
- 10 août 2007 - Loi sur la récidive.
- 20 novembre 2007 - Loi sur la maîtrise de l'immigration.
- 25 février 2008 - Loi sur la rétention de sûreté
- 20 juin 2008 - Loi renforçant la prévention et la protection des personnes contre les chiens dangereux.
- 2009/2011 - Loi d’Orientation et de Programmation de la performance de la Sécurité Intérieure N°2.
(Noter au passage ce mot, performance, qui en dit long sur les véritables intentions du pouvoir).
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux
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