lundi 3 janvier 2011

La démocratie, c'est notre affaire.

Le mot démocratie est un mot fétiche. Se déclarer non démocrate est politiquement incorrect. Démocratie est aussi un mot chargé d'illusions, un mot fourre-tout : ceux qui l'emploient ne pensent pas nécessairement à la même chose !

Pour la droite, la démocratie est le système politique qui permet de désigner les élites par le vote. C'est un système de transfert du pouvoir de décision du peuple vers ses représentants. C’est une dépossession.

Pour la gauche, la démocratie est le mythe au nom duquel on part à la conquête du pouvoir pour l'arracher aux forces de l'argent, afin de le confier aux représentants des forces du travail.

On remarquera que, d'un bout à l'autre de l'éventail politique, on ne conteste pas le passage par la représentation. À droite, les partis sont, dès lors, des outils au profit de l'émergence des ambitions personnelles, de façon avouée et sans états d'âmes. À gauche, les partis qui ont, en général, une histoire plus ancienne, sont des outils de promotion de cadres, liés par une très forte solidarité et chargé d'organiser la conquête de l'Etat.

On se demandera, sans doute, où est la différence dès lors que l'objectif est le même, à gauche comme à droite : installer des leaders aux commandes des instruments du pouvoir, et il est vrai que la différence est devenue d'autant plus ténue que la personnalisation de la politique, en France principalement, oblige à confier l'expression politique a des ténors, des portes paroles médiatiques, à des professionnels qui font carrière et qui occupent la scène en permanence, au grand dam de la démocratie elle-même qui suppose l’intervention de tous.

Car là est bien l'imposture : une démocratie, même minimale, exigerait une rotation du personnel politique, un renouvellement des représentants, une redynamisation de la fonction élective en même temps qu'évolue la sociologie du pays. Il n'en est rien. La “ démocratie française ”, (ce fut le titre d’un livre de Valéry Giscard D'Estaing), s'accommode volontiers de la monocratie, c’est à dire de “ l'exercice solitaire du pouvoir ”, dénoncé, puis exercé par François Mitterrand!

L'entrée de générations nouvelles, l'influence et le nombre de la population féminine, la composition actuelle de la société comprenant de nombreux citoyens d'origines étrangères, imposeraient le “ turn-over ” des désignations de candidats aux fonctions électives. Hélas, les partis politiques, qui sont pourtant censés faire émerger des compétences nouvelles, protègent les cumulards et laissent trop souvent monopoliser les responsabilités dirigeantes par les mêmes cadres, de génération en génération. Cette confiscation, cette centralisation de la représentation, portent évidemment atteinte à la démocratie représentative la plus classique.

Et pourtant, il faudrait aller bien au-delà de la correction de cette insuffisance constitutive (constitutive en ce sens qu'elle est générée par la Constitution, elle-même, celle dont la France est dotée depuis 1958). Sortir du gaullisme, du gaullisme aggravé par le refus de s'incliner devant le désaveu référendaire (en contradiction avec ce que fit Charles de Gaulle, en 1969 !), est une nécessité que ne veulent pas reconnaître les partis dits “ de gouvernement ”. C'est, en effet, un jeu dont ils connaissent toutes les ficelles et toutes les tricheries, et cela demanderait une adaptation, un renouvellement trop inquiétant pour les élites en place.

La démocratie serait-elle mise à mal par les partis ? Voilà une constatation inattendue! Les partis ne sont-ils pas, au contraire, en charge, comme le reconnaît la Constitution, de la préparation des scrutins et de l’organisation de la représentation démocratique? Eh bien non! Ils ne jouent pas, ou plus, ce rôle avec loyauté et efficacité. Ils confisquent cette représentation et l'organisent au profit de leurs cadres bien installés.

Nous ne sommes plus, évidemment, à l'époque où un parti, dit socialiste, le parti communiste, s’était s'identifié à l'État, au point de devenir le parti unique, exerçant le pouvoir dictatorial au nom du prolétariat. Cela n'est plus nécessaire dans les démocraties occidentales : l'envahissement des rouages de l'État, de l'administration, jusqu'aux cabinets ministériels par le parti dominant est une pratique courante.

On l'a vu, de l'UNR à l'UMP, en passant par le RPR confortablement installé par une loi électorale instituant le vote majoritaire. Mais on l'a vu aussi, à un degré moindre, quand le PS, étant entré dans les habits du gaullisme, a pu s'emparer, à son tour, derrière François Mitterrand, des postes et des places.

Les institutions, le fonctionnement ou le rôle de partis sont donc totalement à repenser, tout comme la confusion entre l'État et la nation, si nous voulons sortir d’une impasse de plus en plus étroite, celle d'une réduction de la politique à la prise du pouvoir d'Etat, au travers d'une personnalité-phare, entouré d'un personnel d'exécution.

À aucun niveau, les pouvoirs publics n'échappent à cette mécanisation de la démocratie, réduite à n’être plus qu’un empilage d'autocraties : de la commune jusqu'à l'Élysée. La France, en y mettant les formes, est bel et bien retournée à la monarchie, une monarchie certes “ républicaine ” mais de moins en moins parlementaire, déconcentrée certes, mais nullement décentralisée.

Un tel système engendre des contradictions, bien entendu. À droite, cela oblige à gérer un État qu'on habite tout en voulant l'affaiblir! C'est pourquoi on ne cesse de privatiser ses services. Ici, deux conceptions du pouvoir s'affrontent. Celle qui, telle que Dominique de Villepin l'incarne, maintient la tradition de l'Etat régulateur et centralisateur au service des puissants; l'autre, celle que Nicolas Sarkozy installe, qui réduit l'espace d'influence de l'État, mais le concentre très autoritairement dans ses fonctions régaliennes. Face au conservatisme modernisé de l'un semble se dresser le néolibéralisme américanisé de l'autre. L'un a représenté le retour à un gaullisme adapté; l'autre a préparé la rupture avec le gaullisme pour y substituer la modernisation capitaliste la plus cynique.

À gauche aussi la contradiction a fait son oeuvre. Entre les nostalgiques du mitterrandisme qui ne peuvent renoncer à des recettes qui ont fait leurs preuves (ils comptent sur l'alternance, comme un moyen privilégié de revenir aux affaires), et les nostalgiques du parti prolétarien qui ne savent échapper à la logique du renversement du capitalisme par la conquête, électorale ou pas, du pouvoir central. Entre ces deux nostalgies, l'espace est plus étroit qu’il n’y paraît.

De Gaulle continué contre Mitterrand réhabilité : passé contre passé, voilà l'un des pièges dans lequel l'élection présidentielle continue de nous faire tomber. Mais il en est d’autres… Il existe bien, à présent, à droite, une voie nouvelle, le “ sarkozysme ” qui s’est offert de confisquer le parti gaullien, au grand dam de Jean-Louis Debré, fils de Michel Debré, l'ancien rédacteur de la Constitution de la Ve République!

Existe-t-il, à gauche aussi, une solution de rechange ? Si c'est le cas, elle n'est pas prête. Et c'est ce qui réunit tous les citoyens qui pensent avoir à contribuer à la rénovation d'une démocratie, qui restituerait au peuple le plus grand nombre de fonctions décisionnelles possibles.

Le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple ”, ce beau principe, inscrit dans notre Constitution, n'est bien entendu qu'un leurre. Le citoyen qui croirait à la mise en oeuvre, en France, de cette maxime républicaine serait soit un naïf, soit un ignorant! Les références permanentes au “ modèle républicain ” ajoutent d’ailleurs à la confusion! La démocratie est, au contraire, une utopie réaliste : elle consiste à viser la cible citoyenne, toujours un peu plus haut qu'il n'est nécessaire, pour être certain que, chargée du poids de la réalité, la flèche atteigne sûrement sa cible. La République c'est la recherche acharnée d'une vie en commun dont aucun citoyen ne sorte exclu.

Autant dire que nous sommes loin du compte! La démocratie promue sur la planète entière par les porte-parole des grandes puissances industrielles et commerciales n'est pas de nature à galvaniser les peuples. Pire, elle sert de repoussoir! Il n'y a pas de démocratie véritable dans un pays où l'on exécute un condamné à mort de 76 ans, aveugle et infirme, au bout de 23 années d'internement : c'est pourtant ce qui a pu se passer au sein des États-Unis d'Amérique. Il n'y a pas davantage de République, de res publica, de “ chose publique ”, là où, par exemple, l'eau est la propriété de personnes privées.

La démocratie est le partage maximal du pouvoir. La République est la mise en commun, la plus complète possible, des ressources, des biens et des services. Autrement dit, la démocratie est, comme le disait Jacques Derrida, un processus constant et toujours inachevé, qui élargit la sphère de la co-décision. Ce processus est irréversible et tout retour en arrière conduit à la disparition de la démocratie elle-même. La République est inséparable de la démocratie parce qu'elle vise à faire intervenir le plus grand nombre d'acteurs dans la Cité. Elle ne peut laisser aucun d'entre nous sur le bord de la route. C'est pourquoi, elle intègre l'économique dans le politique. Il ne peut y avoir partage du pouvoir sans partage des moyens de vivre et inversement. La coopération c'est la République elle-même. C'est quand s'effectue le choix de la protection plutôt que l'élimination des plus faibles que se manifeste ce qui est le propre de l'espèce humaine : l'action politique!

La multiplication des cellules citoyennes est à envisager à tous ces points de vue en recherchant sans cesse comment être des acteurs de la démocratie la plus large dans une République toujours plus ouverte aux humbles. C'est seulement à cette aune, qu'on pourrait mesurer encore ce qu'est encore une gauche. fidèle à son passé. Si ce n'était pas le cas, mieux vaudrait alors soit déserter une gauche ayant, très exactement, perdu son sens, ou abandonner ce repère qui n'en serait plus un!

Enfin, il semble utile de rappeler que la démocratie ne peut être la dictature du nombre. La vérité ne surgit pas d’elle-même du vote majoritaire. Un citoyen, seul, peut avoir raison face à tous les autres. Le vote est un compromis, une règle fragile, un mode de fonctionnement dont il ne faut pas abuser. La recherche de l'unanimité est de portée supérieure même si l'unanimité elle-même, ne garantit pas la vérité. Elle n'est qu'une meilleure approche statistique, un risque moindre d'erreur.

C'est bien pourquoi une démocratie se mesure à la façon dont elle traite ses minorités politiques. L'opposant est un adversaire, un concurrent. Il a droit aux moyens d'agir, non de décider mais d'agir, c'est-à-dire de s'exprimer en toute connaissance de cause. Priver une opposition d'information est anti-démocratique et le signe du doute dont on est soi-même empli.

Tout citoyen est un jour minoritaire. Les majorités sont des additions de minorités. La démocratie n’est pas la conquête du pouvoir par le nombre ! Prendre une décision n’est pas un jeu où gagne celui qui a conquis le plus d’acquiescements ! C’est une recherche collective visant à obtenir l’approbation la plus large, et c’est tout différent. Il ne s’agit pas de victoire ; il faut démilitariser le langage politique ; ce n’est pas même un match sportif. La fermeté, la clairvoyance, n’obligent pas à faire de la politique l’art du mauvais coup. Il s’agit d’une quête du mieux vivre dans le respect de tous et de chacun. Cette dialectique subtile entre le groupe et l’individu conditionne probablement la qualité de la démocratie républicaine. La mise en œuvre citoyenne de la démocratie, au XXIe siècle, ne peut plus être la reproduction de modèles mis au point il y a deux siècles ! Tenir compte de l’esprit même des Lumières exige non qu’on y retourne ou qu’on les oublie mais qu’on les dépasse.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran









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