En Tunisie, plus de 200 000 Lybiens se sont réfugiés en Tunisie où ils sont accueillis aussi bien que possible. 20 000 Tunisiens ont fui vers l'Europe où nul ne veut d'eux. À Lempedusa, la population crie sa colère devant ces arrivées qui perturbent leur vie. Le maire, membre de la Ligue lombarde, décrète une "grève générale" de protestation. "L'accueil" est à la limite de l'horrible ! Ceux qui arrivent après une dangereuse traversée (d'autres ont coulé!) n'ont pas le temps de souffler. Sans couverture, sans hygiène, ils dorment sous les camions, dans la capitainerie (dans une suffocante odeur d'urine), dehors quel que soit le temps. le choc est rude. Les illusions s'écroulent. "je me demande de quel côté est le Tiers monde", entend-on dire... Et pourtant la détermination est totale : plutôt mourir que de revenir en Tunisie. Certains en sont à leur troisième traversée, toujours aussi dangereuse. Le plus dur est d'ailleurs dans cette traversée, "un voyage de souffrance" qui dure de 24 à 36 heures.
Les jeunes Tunisiens qui quittent une Tunisie en plein changement ne sont pas des traîtres. Ils n'ont plus confiance, Ben Ali ou pas. Ils partent et rien, pas même le risque de perdre la vie ne les fera reculer. Suffit-il des les repousser ? Évidemment, non !
En Syrie, il ne suffira pas de lever l'état d'urgence, en vigueur depuis 1963. Bachar Al-Assad, qui fait face à une contestation populaire sans précédent depuis qu'il a pris la tête du pays, en 2000, a également promulgué deux lois, celle abrogeant la Cour de sûreté de l'État et celle réglementant le droit de manifester. Rien n'y fait.
En Algérie, Abdelaziz Bouteflika a tenté d'apaiser les tensions qui s'accroissent dans le pays depuis le début de l'année. Il a promis de "renforcer la démocratie", dans ce pays où le poids de l'armée est considérable. "Pour couronner l'édifice institutionnel visant à renforcer la démocratie, il importe d'introduire les amendements nécessaires à la Constitution" de 1996, a-t-il affirmé. La loi électorale devrait également revue en profondeur. Reste à voir si ces annonces seront suivies d'effet. Le président, malade, vieillissant est devenu, lui aussi, très fragile.
Au Yémen, depuis fin janvier, un mouvement de protestation, lancé dans la foulée des révoltes qui secouent le monde arabe, et dont la répression a fait plus de 100 morts, continue de réclamer le départ du président Ali Abdallah Saleh. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Sanaa où les protestataires campent, depuis des semaines, sur la "place du Changement", près de l'université. Des heurts ont éclaté quand les forces de sécurité ont ouvert le feu et fait usage de gaz lacrymogène contre les manifestants. Les protestataires ont défilé aussi, dans le calme, à Taëz, Ibb, au sud de Sanaa, et à Hodeïda, sur la mer Rouge, selon des participants. "Nous réclamons la chute du régime et le jugement du bourreau", proclamait l'une des multiples banderoles brandies par la foule.
À Bahrein, un mois après la dispersion brutale des manifestants qui occupaient la place de la Perle à Manama, la capitale, la répression est implacable. Après des semaines de manifestations, la famille régnante Al Khalifa, de confession sunnite, qui règne sur un pays comprenant 70% de chiites, a décrété la loi martiale et obtenu le soutien de troupes saoudiennes, le 16 mars. Les contestataires ne demandaient pas la chute du régime mais une monarchie constitutionnelle, plus de justice sociale et d'égalité. Ces réformes auraient cependant accru le poids des chiites dans l'émirat. Il était probable aussi que la revendication démocratique ferait tache d'huile dans la région. Ce dont l'Arabie saoudite ne veut à aucun prix !
La Méditerranée est la mer de tous les peuples d'Afrique du Nord et d'Europe du sud, mare nostrum.
Au Maroc aussi, on lâche du lest. Les Marocains qui manifestent veulent une reforme de la constitution, qui garantisse la séparation des pouvoirs et une définition claire des prérogatives de la monarchie d'une part, des assemblées, parlements et corps élus de l'autre. Cela veut dire une monarchie qui règne et des gouvernements issus de majorités qui ont le pouvoir de gouverner. La revendication d'une monarchie constitutionnelle véritable est très ancienne. Le roi tente d'apaiser la contestation mais, dans ce pays cultivé, on ne voudra pas faire moins qu'ailleurs !
Depuis l' Europe, depuis la France, on voit mal, on comprend mal ce qui se passe en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Plus loin aussi : en Côte d'Ivoire, voire au Burkina Faso... Cette poussée populaire que n'arrêtent pas les armes et la rigueur impitoyable de Chefs d'État en perdition, qui ont dirigé leur pays, depuis des décennies, aura-t-elle une fin prochaine ou, au contraire, sera-t-elle la lame de fond qui va bouleverser le paysage politique de toute l'Afrique ? Le plus surprenant est que l'on ne peut pas plus le savoir qu'on ne l'avait su, quand, voici quelques mois seulement, il était totalement inenvisageable que soient renversés ceux... qui l'ont été !
Reste le nœud du monde arabe, le nœud de vipères sans doute : l'Arabie saoudite, foyer de l'extrémisme, financeur du terrorisme et protégé par son pétrole et par la Mecque ! Tout s'y concocte pour empêcher la vague de liberté de déferler sur la région. Ses dirigeants peuvent y compter sur la "compréhension" des nations qui ont besoin, plus que jamais, de l'or noir.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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