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mercredi 23 juin 2010

La déconfiture


Allez terminons-en ! Réinstallons la guillotine en Place de Grève. Coupons ces têtes de joueurs qui ont trahi la nation. Traduisons devant les tribunaux ceux qui sont co-coupables de ce ridicule planétaire. Saluons l'apparition hautement compétente de Roselyne Bachelot : elle aurait dû, pour les protéger contre l'échec, faire injecter de force à ces footballeurs incapables ce qui reste de vaccin H5N1... Continuons de dire tout et n'importe quoi. Délirons. Délirons encore.

Sur ces terrains de football qui sont devenus des arènes et des théâtres en plein air, ce qui se joue n'est plus du sport mais des spectacles politiques. Chirac, en 1998, était placé au zénith par les Blacks-Blancs-Beurs. Sarkozy, en 2010, reçoit cet échec majuscule comme un affront. On a hissé des athlètes au rang de vedettes sur payées avec, comme mission non dite mais clairement apparente, l'obligation de succès afin de démontrer que ceux qui font gagner beaucoup d'argent ont le droit d'en gagner eux-mêmes beaucoup. Et voila que ça ne marche plus !

Panique chez les sponsors ! Cris de haine contre ces sales gamins qui ont cassé leur joujou, notre joujou ! Il n'y a pas de mots assez fort pour dire le plus grand mal de ceux par qui le scandale d'État arrive, ce 22 juin 2010. Pas que l'épouse d'un ministre ait pu participer à la gestion de l'une des toutes premières fortunes de France : celle de Liliane Bettencourt, (en ignorant ses frasques fiscales ?) Non. Pas que celui qui gère le dossier des retraites et contre qui les travailleurs vont défiler, demain, soit l'époux de la susdite. Non. Pas que l'ex patron de la société Générale puisse prétendre qu'un trader ait le pouvoir d'engager des milliards et de les perdre à l'insu des dirigeants de la banque. Non. Pas que l'on lynche médiatiquement ceux qu'on accuse d'avoir fusillé des policiers,avant même que les preuves de ce crime soient rassemblées. Non !



Non, non et non ! Franck Ribéry pouvait s'offrir des putains mais pas rater la cage des buts adverses. Thiérry Henry pouvait mettre la main au ballon, en Afrique du sud comme en Irlande, mais à condition de "faire gagner la France". Patrick Évra pouvait dire sa tristesse de l'échec mais pas s'offusquer que des journalistes soient informés de secrets de vestiaires. Etc. C'est l'idée même de la France qui est réduite à ce nationalisme stupide et dangereux qu'incarnent si bien des membres du gouvernement défenseurs d'une identité nationale à mille lieues de ce qui mérite amour et respect.

Et voilà que le successeur de Domenech est déjà sommé de laver plus blanc que Blanc. On va devoir, dit une ministre "de la santé et des Sports", rendre des comptes (bancaires?) une fois rentré à Paris. Anelka, lui, s'en moque, il est déjà en Grande-Bretagne. Bref, on a voulu faire de la Coupe du Monde un enjeu politique, en pleine crise, et c'est la déconfiture... Eh bien tant pis. Puissent les hommes du pouvoir en place, l'UMP, leurs sbires et leurs alliés boire ce bouillon amer jusqu'à la dernière goutte puisqu'ils se le sont offert.

Et que le football redevienne ce qu'il est : un jeu. Mais comment le croire? Cette activité économique si rentable n'appartient plus aux joueurs. Ceux qui sortent par la petite porte seront vite remplacés par de nouveaux pantins dont on n'exigera qu'une chose : qu'ils fassent rêver et remplir les poches des annonceurs et entreprises de jeux apparues sur internet juste avant le Mondial. Panem et circenses disait Juvénal. Sortons du cirque : c'est un lieu mortel !



Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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