lundi 10 mai 2010

La journée commémorant la fin des esclavages !

Les Rroms ont été des nègres blancs en Europe !


L’esclavage des Rroms en Europe, en particulier en Moldavie et en Valachie, aura duré au moins cinq siècles ! Peu d’Européens le savent ! Ce fait, en soi, déjà, est bouleversant.




Nul besoin, dans la seconde partie du 14e siècle, dans la principauté de Valachie, d’aller chercher la main d’œuvre et de la convoyer ; elle était immédiatement disponible ! Entrés libres dans le sud-est de l’Europe, les Rroms furent, en effet, rapidement, contraints par la force de demeurer sur place et de se soumettre à des propriétaires terriens, boyards ou moines, devenus leurs maîtres absolus.


« Les premières traces écrites de cet esclavage date du règne de Rudolf IV (1331-1355) ». Les tentatives de fuite vers l’Allemagne ou la Pologne furent d’autant plus vite réprimées et annihilées que les Rroms durent faire retour sur les Carpates après avoir subi les pires cruautés de la part de ceux qui les considéraient comme « musulmans » (à cause de leur teint mat).


Que l’esclavage ait été longuement présent en Europe comme dans les Amériques, a dérangé et continuera de déranger les bien-pensants de toutes obédiences. Cette réalité historique est, pourtant, d’autant plus acquise que c’est dans la même mouvance anti-esclavagiste des années 1840-1860 qu’apparurent les décisions d’abolition dans la toute jeune Roumanie. L’Église moldave libéra ses esclaves en 1844. L’Église de Valachie, en 1847, fit de même.


En France, Victor Schoelcher, arrachait à Arago, en mars 1848, la décision qui devait aboutir au décret abolitionniste de 27 avril, paru dans Le Moniteur, le 3 mai, mais inappliqué jusqu’à ce que les nègres de Martinique s’insurgent le 22 mai, et voient paraître, enfin, l’arrêté d’application, le 23 mai.


Les Noirs des Antilles et les « nègres blancs » de Roumanie marchèrent donc, progressivement, ensemble, sans se connaître, vers leur libération. L’esclavage devint totalement illégal en Moldavie, le 23 décembre 1855, et le 8 février 1856 en Valachie.


Même libérés de l'esclavage, les Rroms ont pourtant continué de vivre dans des conditions dramatiques. Nombreux d'ailleurs sont ceux qui, craignant un retour à l'esclavage, s’enfuirent, d'abord vers les pays voisins, puis jusqu'en Scandinavie ou en Europe de l'Ouest, voire en Amérique.


Ils n’avaient pas tort : après que le traité de Paris eut reconnu, en 1856, dans le cadre de l'empire ottoman, l'autonomie des deux provinces roumaines –qui, à partir de 1861, vont former la Roumanie- le nouveau dirigeant des provinces, le Prince Ioan Alexandru Couza, instaura à nouveau l'esclavage pour les Rroms et le servage pour les paysans. Ce n'est qu'en 1864, suite au coup d'Etat mené par Mihaïl Kogalniceanu, que l'esclavage et le servage seront définitivement abolis en Roumanie.


S’il faut établir un parallélisme entre l’esclavage des nègres et celui des Rroms on relèvera qu’ils ont connu les uns comme les autres une période de réinstauration de l’esclavage ? Entre 1802 et 1848, l’esclavage des noirs, aboli en 1794, par la Convention, aura été rétabli par un décret de Bonaparte, aussi lapidaire que cyniquement atroce. Ce crime bonapartiste reste, le plus souvent, ignoré des enfants de France : les livres d’histoire font silence sur cette ignominie.


En 1815, la Restauration royale ne revint, évidemment pas sur cet acte impérial qui renvoyait avant la Révolution :

« Article 1 : l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789.

« Article 2 : la traite des noirs et les importations dans les dites colonies auront lieu conformément aux lois et règlements existant avant 1789. »


Avant 1789 ? Depuis Colbert, c’est le temps du Code Noir !


L’esclavage est, selon le Code Noir, l’affaire des seuls catholiques. Selon l’article 2 : « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. »


Une fois ce cadre religieux imposé et bien installé, il reste à rendre impensable et impossible tout espoir de liberté physique. La fuite, c’est la mutilation ou la mort. L’article 38 le spécifie : « L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marquée d'une fleur de lis une épaule; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort. »


Quant à l’avenir, tout est aussi en ordre. L’enfant d’esclave restera esclave et les progénitures sont un bien acquis avec les mères ; c’est l’article 12 qui le précise : « Les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents. »


Est-on si loin du code pénal de Valachie, postérieur, qui, en 1818, inclut les articles suivants, concernant les Rroms :

Section 2 : les tsiganes naissent esclaves.

Section 3 : tout enfant né d'une mère esclave est esclave.

Section 5 : tout propriétaire a le droit de vendre ou de donner ses esclaves.

Section 6 : tout tsigane sans propriétaire est la propriété du Prince.


Quant au code pénal moldave de 1833, il précise encore, sans parler des Rroms (mais il n’y a que des esclaves rroms, alors, en Roumanie):

Section II.154 : des mariages légaux ne peuvent avoir lieu entre des personnes libres et des esclaves.

Section II.162 : Les mariages entre esclaves ne peuvent avoir lieu sans le consentement de leurs propriétaires.

Section II.174 : Le prix d'un esclave doit être fixé par le tribunal, selon son age, sa condition et sa profession.


Il en est de l’esclavage comme des génocides : il atteint tout l’homme, toute l’humanité, et pas seulement une partie des hommes. Noirs ou pas, nègres d’Afrique ou nègres blancs d’Europe, ceux qui ont été mis au rang des sous-hommes sur lesquels des maîtres ont eu droit de vie et de mort, ces êtres vivants, tout juste bons à enrichir ceux qui les possèdent et les soumettent, sont cependant nos semblables. L’esclavage déshumanise moins les victimes que les bourreaux. Le mystère est épais qui recouvre les motivations profondes de ceux qui ne voient plus en l’autre le reflet d’eux-mêmes et qui réifient autrui jusqu’à en faire, donc, un objet d’utilité sans aucune autre valeur que la valeur d’usage.




Les philosophes et encyclopédistes, en signalant le « commerce des nègres » n’ont pas manqué de faire connaître les nations qui s’y livraient « dans les Indes occidentales et particulièrement : les Français, les Anglais, les Portugais, les Hollandais, les Suédois et les Danois ». Des esclaves d’Europe rien n’a pu être dit. En 1837, un demi-siècle plus tard, Mihaïl Kogalniceanu, écrivain et homme politique moldave né à Iasi, écrit pourtant : « Les Européens organisent des sociétés philanthropiques pour l'abolition de l'esclavage en Amérique, alors que, sur leur propre continent, 400 000 Tsiganes sont maintenus en esclavage». Pour qu’il y soit définitivement mis fin, il faudra attendre 1864 que ce même Kogalniceanu soit parvenu au pouvoir..


L’esclavage n’est finalement pas celui des Noirs ou des Rroms : d’autres en ont été victimes ; d’autres le sont encore ; il est celui des hommes. Il aura fallu attendre la courte loi (courte par son texte, grande par sa portée) dite « loi Taubira » pour qu’en 2001 l’esclavage soit considéré, en France, comme un crime contre l’humanité : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »


La question de l’esclavage cesse d’appartenir exclusivement à l’outremer. Il ne suffit plus de reconnaître, par exemple que les perpétrateurs de l’esclavage ont fait la richesse de ports négriers comme Nantes, Bordeaux ou La Rochelle ; il faudra bien que, tôt ou tard, une fois la Roumanie entrée en Europe, soit historiquement constatée et jugée cette dimension intra-européenne du crime contre l’humanité qu’a constitué, sur ce continent aussi, l’esclavage !


Il appartient au philosophe de s’interroger, sur les raisons qui expliquent qu’au côté de l’holocauste oublié, existe un esclavage oublié, un crime oublié! La nation disait Renan a besoin de l’oubli pour se constituer. « Tout citoyen français doit avoir oublié la Saint Barthélémy », écrit-il. On peut aussi penser qu’un peuple se constitue avec les matériaux que lui fournit son passé assumé.


Il ne suffit donc pas que soit promulguée une loi pour que soit effacée une injustice. Christiane Taubira-Delannon, députée de la Guyane, rappelle volontiers que quatre cents années de déportation, de quinze à trente millions de déportés n’ont été rendus possibles que parce que la traite négrière était un système étatique. L'état était, des pouvoirs locaux étaient, en effet, en grande partie propriétaires des plantations et percevaient des taxes sur les esclaves. Indépendamment des culpabilités individuelles qui appartiennent au passé et peuvent s’y dissoudre, ce système ne peut ni être oublié ni être absout.


L’encyclopédiste Jaucourt, avec beaucoup moins d’ambiguïté que Montesquieu, (lequel vendait son vin aux Antilles), en dénonçant la traite des nègres, a de façon plus catégorique, condamné l’esclavage : « Si un commerce de ce genre peut être justifié par un principe de morale, il n'y a point de crime, quelque atroce qu'il soit, qu'on ne puisse légitimer. Les rois, les princes, les magistrats ne sont point les propriétaires de leurs sujets, ils ne sont donc pas en droit de disposer de leur liberté et de les vendre pour esclaves".


Il n’est certes pas impensable ni impossible que les intellectuels noirs mettent en jeu leur propre altérité et pratiquent une écoute attentive, sans dogmatisme, de la réalité culturelle de l'Autre, le Rrom.


Noirs, Juifs et Tsiganes portent, ensemble, bien que différemment, ces dénis successifs qui trouent l’histoire en y prélevant les traces de crimes contre l’humanité d’autant plus violents qu’ils s’abattent sur des populations que, pour de multiples et faux motifs, on vise à écarter du vécu « ordinaire » des sociétés.




Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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