Mais qui donc a cassé l'urne...?
La démocratie, dont nous savons bien qu'elle est en question depuis des années, apparaît, au lendemain des élections régionales françaises, non seulement fragilisée mais incertaine.
Bien entendu, la démocratie ne se mesure pas à l'aune des élections. Cependant, si une photographie ne constitue pas le réel, elle en montre une image. Et cette image est révélatrice !
La démocratie s'épuise, autrement dit, les citoyens ne savent plus dire où est leur espérance politique, quel avenir ils recherchent et préparent.
Quand l'abstention atteint plus de 53% des électeurs inscrits ( à ne pas comparer aux scores des listes, même à deux chiffres, qui sont mesurés par rapport aux électeurs votants !), il est évident qu'il y a un désaveu de la politique qui est exprimé non seulement par les indifférents et les mécontents, mais aussi par ceux qui rejettent le choix même qui leur est proposé ! Quant aux votes blancs et nuls, à hauteur de 3,72%, par rapport aux votants, ils représentent une véritable contestation politique du scrutin. tant dans son mode que dans les conditions du choix. Qui l'a fait observer ?
Il est difficile de sonder les reins et les cœurs, mais cette abstention massive que les partis et candidats sont prêts à oublier, aussitôt franchi le premier tour, a une signification qu'il est impossible de négliger, sous peine de nous retrouver dans les mêmes impasses qu'en 2002 et 2007, c'est-à-dire avec un électorat enfermé dans un mode de scrutin et une alternative dont il ne peut se sortir pour dire ce qu'il veut.
L'image de la France révélée par l'élection régionale, au 14 mars 2010, dit bien d'autres choses, moins importantes, mais indispensables à connaître. Tout se passe comme si se profilait un échec généralisé si on compare les ambitions et les résultats.
Car, ne nous y trompons pas, l'échec brutal du camp sarkoziste qui a épuisé toutes ses réserves et se trouve déjà en seconde position, avant le tour décisif du 21 mars prochain, est dû autant à la remontée du Front National qu'à la réussite du PS. À vouloir jouer avec le feu nationaliste, la majorité présidentielle s'est dangereusement brûlée. Et comme les entêtés de l'UMP sont aux commandes de la machine gouvernementale, ils vont persévérer dans leurs erreurs et les Français vont en payer le prix. Aucune raison de se réjouir trop de cet échec que l'on va chercher à passer aux profits et pertes, sans vergogne.
Relativisons aussi la victoire socialiste : le grand schelem annoncé, la France toute rose, est d'ores et déjà impossible, à moins de recolorier le Languedoc-Roussillon en rose... Quant à prendre l'Alsace et la Corse, rien n'est fait, et, sans le blocage que peut effectuer le FN, en imposant des triangulaires, ce serait plus que difficile... Autrement dit, nous allons vers le statu quo, ce qui n'est déjà pas si mal, pour le PS, mais qui n'est pas, dans le contexte actuel, un triomphe intégral. La gauche plurielle va-t-elle se reconstituer ? C'est une condition du grand succès attendu, au second tour. Sauf que Europe-Écologie pèse bien plus que dans les années Jospin. Et le Front de Gauche conserve des ambitions bien au-dessus de ses moyens...
Troisième force politique, de nouveau, après les Européennes, les écologistes sont autant déçus que satisfaits. Nulle part, ils ne sont en situation de revendiquer une présidence de région, et s'ils pèsent la moitié du vote socialiste (et de ses quelques alliés mineurs, radicaux, chévènementistes et même ex-communistes), ils ne peuvent imaginer obtenir le tiers des présidences, car le calcul s'effectuera région par région. Des mandats conflictuels s'annoncent, sauf à passer, de nouveau sous les Fourches Caudines du parti rose. L'écologie reste en bouton. La percée reste à faire.
Le Front National est le grand gagnant de ces Régionales ! Quel échec encore ! Il renaît au moment où le vieux Le Pen s'efface ! Un racisme nouveau est bien portant en France et, surtout, le dégoût de la politique, la misère grandissante, donnent du grain à moudre à une formation dont nous mesurons mal tout l'impact et l'efficacité. Un score global à 11% pour le FN rend visible le nouveau recul de cette démocratie que nous voulons défendre, en oubliant qu'elle est alitée et qu'elle n'est pas à protéger mais à soigner !
Première et seule organisation politique installée entre les 5% nécessaire pour entrer dans des listes reconstituées et les 10% qui permettent la re-présentation de la même liste, le Front de Gauche a de quoi pavoiser : il aura des élus, à la différence du NPA et de Lutte ouvrière laminés. Mince succès ! Le Parti communiste ne songe qu'à conserver des places; le Parti de Gauche est féodalisé faute de pouvoir exister sans le PCF. La recomposition d'une « gauche de gauche » ne se fera pas ainsi ! La retombée de Mélenchon et Buffet dans la bipolarisation est en bonne voie.
Ne parlons plus du MODEM. Il n'est visible qu'en Aquitaine. Il cesse d'être une possibilité d'alternative. François Bayrou qui ne manque ni d'intelligence ni de conviction, a échoué à faire apparaître une contestation au centre droit là où se trouvent ses électeurs. S'il persistait, Dominique de Villepin le suppléerait vite...
Oui, la démocratie est malade, couchée, fragilisée et incertaine.
La démocratie est malade de la droite extrême aux deux visages, ultra-nationaliste et brutalement autoritaire. La sarkozisme et le lepénisme présentent des aspects très différents mais avec des passerelles qui permettent entre eux des circulations d'électeurs. C'est une maladie qui peut être mortelle. On connaît des pays où les tueurs de la démocratie ont été élus fort démocratiquement.
La démocratie est couchée, alitée, souffrante, hospitalisée. Quand un corps fonctionne mal, il faut consulter qui peut le guérir. La démocratie, ou « gouvernement du peuple » (« par le peuple pour le peuple », ajoute la Constitution) est réduite à donner à des professionnels les clefs des hôtels du pouvoir. Quand cela est fait, le peuple reste dehors, autorisé seulement à observer, pas à agir. Résultat : le peuple déserte puisqu'il est inutile et impuissant. C'est la grande leçon de l'abstention. Pas besoin d'être un grand médecin pour faire ce diagnostic. Le peuple a besoin de reconstituants. Sa robuste constitution est dissimulée sous un appareil constitutionnel qui l'empêche de respirer. Il faudra bien le libérer de cette Constitution monarchiste qui bride le Parlement et plus encore la volonté populaire.
La démocratie est fragilisée. Il n'est pas de corps social, si vivant soit-il, qui puisse longtemps résister à un étouffement politique. Sous la désespérance et le désintérêt que souligne, encore une fois l'abstention, sont apparues des lignes de fracture : la France peut se casser sur l'obstacle de la suffisance et de l'appropriation du savoir qui rejettent la masse des citoyens en dehors des cercles de décision. Ces brisures peuvent, d'un coup, ouvrir le pays en plusieurs morceaux, chacun constituant un lieu de conflits multiples, ici à cause des banlieues à l'abandon, là à cause d'une agriculture en perdition, ailleurs à cause d'une éducation en plein désarroi, partout à cause d'une contradiction majeure : tout est à changer et rien ne change qui serve à mieux vivre tous ensemble !
Incertaine enfin, la démocratie l'est parce que les élites estiment que le pouvoir est chose trop sérieuse pour le confier au peuple. Pour elles, passe qu'il choisisse entre les élites qu'on lui propose mais jamais, au grand jamais, il ne pourrait affronter la complexité et les dangers de ce qu'on n'appelle plus le gouvernement mais la gouvernance. Gouverner est un art autant qu'une capacité réservés à de grands professionnels, des spécialistes, des gestionnaires, des chefs de l'entreprise étatique. La démocratie est incertaine parce qu'elle n'est plus qu'un mot cachant une illusion. Réanimer la démocratie défaillante implique de la repenser. Telle qu'elle est, elle ne fonctionne plus.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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