dimanche 24 février 2008

En marche vers le coup d’État

« Il y a en France des ministres. On murmure même qu'il y a encore un Premier Ministre. Mais il n'y a plus de gouvernement. Seul le président de la République ordonne et décide. Certes les ministres sont appelés rituellement à lui fournir assistance et conseils. Mais comme les chérubins de l'Ancien Testament, ils n'occupent qu'un rang modeste dans la hiérarchie des serviteurs élus et ne remplissent leur auguste office qu'après avoir attendu qu'on les sonne. »

François Mitterrand, Le coup d’État permanent, Plon, Paris, 1964.


Le ver est dans le fruit. Et depuis longtemps. La démocratie française décrite, en son temps par Valéry Giscard d’Estaing est une démocratie d’apparence. Un homme seul incarne le pouvoir face au peuple. Encore De Gaulle, désavoué, s’était-il effacé. Ses successeurs ont utilisé, sans vergogne, le bel outil constitutionnel qui fait du Président de la République le seul maître à bord. Le grand tort de François Mitterrand aura été, alors qu’il fut l’analyste impitoyable du système, de ne pas éradiquer les causes qui permettent que se perpétue et s’aggrave, à la tête de l’État français, « l’exercice solitaire du pouvoir ».

Cette fois, la coupe déborde. Les initiatives successives du Président boulimique ne laissant à personne le soin de présenter les décisions qu’il prend souverainement, et que ses collaborateurs ne mettent qu’en musique, aboutissent à des contradictions politiques particulièrement dangereuses. Nous sommes en marche vers un coup d’État.

Il ne s’agit plus, cette fois, d’un coup d’État permanent, c’est-à-dire de la constitutionnalisation de la prééminence absolue du pouvoir exécutif sur le pouvoir parlementaire, il s’agit d’un coup d’État constitutionnel conduisant vers une nouvelle confusion des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire distingués par Montesquieu, tous trois, de plus en plus, sous la tutelle habile et renforcée d’un seul homme.

Ce n’est pas par hasard que le débat politique se déporte vers la sphère constitutionnelle. La Constitution de 1958 a 50 ans cette année. Elle n’a pas d’équivalent en Europe. On pouvait espérer un renforcement du rôle du Parlement, maintenant que s’éloigne l’ère gaulliste. Tout au contraire, on se dirige vers un renforcement du pouvoir personnel au nom de l’efficacité, de la sécurité et de l’appel à la réforme. Vieille rengaine mais danger bien actuel !

Après la forfaiture du vote du traité de Lisbonne par un Parlement couché, voici venir la mise en cause de l’instance suprême, la seule qui puisse mettre un frein à des dispositions liberticides : le Conseil Constitutionnel. La nomination par Jacques Chirac, à la tête de cette juridiction, du fils de Michel Debré, rédacteur de la Constitution en 1958, est insupportable à Nicolas Sarkozy. S’il faut déconstitutionnaliser le Conseil Constitutionnel en sabordant l’article 64 de la Constitution qui interdit de passer outre les décisions du Conseil, et bien, on le fera. Il faut que l’autorité du Chef de l’État ne soit en rien contrariée.

À première vue, on pourrait penser que Nicolas Sarkozy court un risque politique majeur en s’en prenant y compris aux institutions qui le favorisent mais auxquelles il demande toujours plus ! Prenons garde : le « ça passe ou ça casse » ne fait pas peur à l’aventurier qui a acquis la légitimité par les urnes de belle façon. Ce ne sont pas les sondages ou, éventuellement de mauvais résultats électoraux, en mars prochain, qui suffiront à abattre un tel animal politique !

Les citoyens doivent savoir qu’il ne suffit pas d’exprimer son mécontentement pour empêcher un coup d’État. Comme en 1940, toutes choses égales par ailleurs, il ne faut pas compter sur les Parlements pour résister. Ils sont non seulement aux ordres mais constitués de majorités qui sont dépendantes de l’Élysée. Elles grogneront, mais ne bougeront pas. Quant aux oppositions, à part les quelques personnalités courageuses qui se dressent contre le désastre en vue, elles montrent les dents mais ne mordent pas. Pire, elles sont prêtes à se coucher quelque temps, dans l’espoir que l’alternance, en cas d’excès, les ramènent mécaniquement aux affaires.

Les défenseurs des Droits humains et les citoyens actifs ne peuvent laisser passer cette manifestation nouvelle d’une volonté de fer : celle d’un homme qui a les pouvoirs nécessaires à la réalisation de ses ambitions. Il en veut plus encore pour s’assurer de l’impossibilité de tout retour de ses opposants au-devant de la scène (quitte à les y mettre lui-même, mais tenus en laisse, afin qu’ils cèdent à l’autorité du maître).

La résistance n’est plus, à présent, simple affaire de conviction. Elle devient une obligation constante de prise de parole pour analyser, critiquer et rassembler. Cette vigilance et cette expression dans l’espace public vont bien au-delà des partis politiques qui sont utiles et respectables mais totalement insuffisants et dépassés dans la situation actuelle.

Depuis notre place, nous lançons cet appel au réveil. Cette fois, la démocratie, déjà limitée et fragile, risque bel et bien d’être réduite à presque rien… On n’interdira pas les élections, mais on les videra de leur charge politique. On ne fusillera personne, mais on fermera la bouche à ceux dont les critiques sont les plus pertinentes. On ne lancera pas de slogans racistes, mais on fera de la France un espace clos. On ne fera pas la chasse aux pauvres, mais on ne leur permettra pas d’avoir les moyens de vivre. Etc. La France devient le pays de la dureté et de l’intransigeance promues au rang des valeurs !

Nous sommes entrés dans une phase nouvelle de lutte pour redonner sens à l’engagement citoyen au sein d’une République méritant ce nom. « Français, amis et camarades », comme on disait après la seconde Guerre mondiale, voici revenu le temps de s’occuper de ce qui nous regarde, au sein d’une Europe qui puisse nous nous respecter et où nous puissions vivre dans la dignité.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran


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