lundi 9 décembre 2013

Pauvre Mandela, que d'hypocrisies autour de ta mort.


La mort de Nelson Mandela déchaîne partout dans le monde une avalanche d'hommages plus appuyés les uns que les autres. C'est n'est pas que Madiba ne mérite pas les éloges qui lui sont adressés au delà de la mort.

Au contraire.


Vivant, il avait déjà écrit sa légende, celle d'un Homme hors du commun, courageux, libre, digne, clairvoyant, d'une intelligence remarquable, et qui, après vingt-sept ans de privation de liberté, devenu premier Président noir d'Afrique du Sud a, par sa sagesse, su imposer à son peuple le pardon de toutes les exactions passées et réconcilier l'irréconciliable en évitant une guerre civile interraciale.



Nelson Mandela mérite l'admiration de tous.  C'est un exemple pour tous les militants défendant les droits humains, il est par ailleurs des coïncidences troublantes, alors que le monde lui rend hommage à Soweto, nous sommes aujourd'hui le 10 décembre, date anniversaire de la proclamation de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948.

Cependant, il nous semble que sa mort devrait être le moment de se retourner pour regarder objectivement le passé pour mieux affronter l'avenir car que restera-t-il de ces hommages « peoples » dans quelques semaines ? Les grandes envolées lyriques des communiqués seront rangées dans les mémoires d'ordinateurs pour resservir aux moments opportuns et faire l'éloge d'un autre grand « géant » qui sera oublié aussitôt que la terre sera retombée sur son tombeau.

Les hommages d'aujourd'hui pourraient laisser croire que le monde a toujours adoré Madiba, qu’il aurait seulement été victime du racisme de quelques extrémistes blancs.

La réalité est autre.

Nelson Mandela a été considéré longtemps comme un homme dangereux par le monde occidental. Ce n'est, par exemple qu'en 2008, après une proposition de loi signée par l'ancien président George W. Bush, que l'ANC ayant été retirée des organisations terroristes, il n'est plus considéré comme terroriste aux USA, et, en 1987, la dame de fer qualifiait l'ANC d'"organisation terroriste", un député de son parti affirmant que "Nelson Mandela devrait être fusillé". Des positions qui ne prennent seulement fin qu'en 1996.

Il est profondément triste de voir la classe politique mondiale s’approprier la mémoire de Nelson Mandela, même la tyrannique Corée du Nord y va de son communiqué. Beaucoup de ces responsables politiques qui pleurent sa disparition ont soutenu le régime de l’apartheid pour des raisons aussi bien économiques que politiques. Le monde occidental a été du côté du pouvoir d’apartheid sud-africain pendant plusieurs décennies, l’Afrique du Sud était alors considérée comme un élément essentiel de la surveillance maritime de la route des pétroliers de l’époque, et comme une source vitale de certains minerais indispensables à l’industrie militaire. Le gouvernement sud-africain avait installé une station d’écoute et de surveillance des mers du sud, en collaboration avec les services de renseignement occidentaux.

En 1964, lors du procès de Nelson Mandela pour haute trahison et actes de sabotage, personne ne s'était inquiété de son sort, seule Marie-Claude Vaillant-Couturier, députée communiste, résistante déportée à Auschwitz, s’était indignée du haut de la tribune de l’Assemblée  Nationale. Par la suite le parti communiste français est la seule formation politique avec les jeunes communistes et l'Humanité à mener campagne pour sa libération et contre l’apartheid. Des Manifestations devant l'ambassade sud-africaine sont durement réprimées.

Dans les années 70, la France qui collaborait étroitement avec le régime de l’apartheid, a vendu à l’Afrique du Sud sa première centrale nucléaire, contribuant à la prolifération nucléaire que Pretoria a officiellement abandonné à la fin de la domination blanche.

Au début des années 80, alors que la situation intérieure de l'Afrique du Sud évoluait, la droite française a aidé le gouvernement de Pretoria à chercher une voie médiane en la personne d'un Noir « présentable » : Buthelezi. Il a été reçu par Ronald Reagan, Margaret Thatcher, et, en France, par Jacques Chirac; alors maire de Paris.

 

Il faut attendre, l'élection de François Mitterrand en mai 1981, et surtout les bons offices joués par Danièle Mitterrand, pour voir le début d’une position plus tranchée vis-à-vis de l’Afrique du Sud. En 1985, la France adopte des sanctions économiques et l'ANC (Congrès National Africain), parti de Nelson Mandela, ouvre un bureau à Paris. En 1988, l'assassinat tragique à Paris de Dulcie September, militante de l'ANC, rassemble tous les hommes politiques autour de la cause anti-apartheid.


Néanmoins, en 2001, choisir « Mandela » pour nom d'une promotion de l'ENA pose encore de sérieux problèmes.

Mandela, lucide, disait, acceptant l'hypocrisie de certains de ceux qu'il visitait ou qui venaient lui rendre visite : « Il faut passer par là pour le bien de notre pays. ». Il avait, d'ailleurs, réservé son premier voyage de chef d'Etat à l’étranger à Cuba et Fidel Castro pour le remercier de l’aide fournie au peuple sud-africain, affirmant que « les internationalistes cubains ont apporté une contribution à l’indépendance, la liberté et la justice en Afrique sans précédent ».

Il est juste lorsque l'on parle de la réhabilitation de Nelson Mandela et de sa sortie de prison le 11 février 1990, de mentionner le rôle joué, même si c'est dans une moindre mesure, par Frederik de Klerk, président de l'Afrique du Sud de 1989 à 1994. C'est lui qui mena les réformes qui mirent fin à la politique d'apartheid en 1991 et négocia avec Nelson Mandela pour aboutir au premier gouvernement multiracial du pays dans lequel il a exercé les fonctions de vice-Président. En 1993, avec Nelson Mandela, il a reçu le prix Nobel de la paix.

Nelson Mandela était le ciment de la société multiraciale sud-africaine et il reste maintenant à espérer que sa disparition de ne va pas déstabiliser le pays qui est dans une situation particulièrement difficile sur le plan économique.

Il a réussi l'abolition de l’apartheid politique, mais pas celui de l’apartheid économique et social. Les inégalités sont très importantes, le taux de chômage est de près de 30%, il touche seulement 4% des blancs mais 42% de la population noire. On ne sait pas ce qui peut se passer dans ce pays encore vulnérable, les vieux démons, les vieilles rancunes, insuffisamment oubliés, peuvent resurgir et saper la cohésion fragile entre les blancs, les noirs des différentes ethnies et les métis. Les déséquilibres économiques et sociaux sont importants et menacent la stabilité du pays où 80% des richesses sont contrôlées par la minorité blanche, alors que 80% de la population est noire, dont près de 60% vit dans la misère.

Après 19 ans de gouvernement de l'ANC, un apartheid de fait se maintient et la situation est pire. Le chômage est endémique, la répartition des terres n'a pas eu lieu car seulement 3% appartient à la population noire dont une grande partie vit encore dans des bidonvilles par un manque cruel de logements décents. Les rivalités ethniques sont très prégnantes au sein des populations noires et métis et la situation pourrait malheureusement devenir explosive.

Face à ce contexte difficile, plutôt que de déverser des louanges de circonstance, est-ce utopique d'appeler à ce que la communauté mondiale unisse ses efforts pour aider l'Afrique du Sud à conserver le cap indiqué par Nelson Mandela ?

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

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