jeudi 12 décembre 2013

Loi de programmation militaire : oui, cette loi liberticide est dangereuse pour la démocratie !


Par 164 voix contre 146, le Sénat vient d'adopter en seconde lecture la loi de programmation militaire pour la période 2014 / 2019. Cette loi a pour objet la mise en œuvre des orientations de la politique française de défense. Elle définit le cadre juridique de la politique du renseignement et de la cyberdéfense.


Cette loi, qui pose de nombreuses questions en matière de protection de la vie privée, survient après les révélations de Edward Snowden sur la surveillance généralisée des citoyens par l'agence de renseignement américaine NSA et ne favorise pas au rétablissement d'un climat de confiance entre la société civile et les autorités.

L'article 13 du projet de loi, devenu article 20 dans la loi1 définitive, soulève une levée de boucliers des acteurs de la société civile, économique et politique qui expriment les plus vives inquiétudes devant un texte qui étend les dérives du régime d'exception de 2006 sans garantir les protections des droits et libertés civils.

Cette loi prévue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme mais élargie à la défense du potentiel scientifique et économique de la France, à la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées permettra d'accéder aux données de connexion, aux informations concernant les utilisateurs, sans que le pouvoir judiciaire puisse intervenir dans les décisions. Ces finalités sont suffisamment imprécises pour permettre des abus possibles par les services de l'Etat (ministère de l'économie, par exemple). Elle représente une atteinte grave aux principes fondamentaux de notre démocratie et au respect des libertés individuelles.

Que la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) soit saisie par le gouvernement avant la parution des décrets ne change rien à l'affaire, puisque depuis 2004, cette Autorité Administrative Indépendante n'a plus qu'une voie consultative et l'État s'en affranchit toujours.

Le délégué général de l'Association française des éditeurs de logiciels affirme : « On pourrait aboutir à un inquiétant paradoxe : que nos données soient davantage en sécurité hors de nos frontières … C'est regrettable. L'affaire Prism avait permis aux acteurs français de l'informatique de mettre en avant la sécurité des données pour attirer les clients. Cela ne sera plus vraiment possible… »

Les sénateurs rapporteurs du projet, Jean-Pierre Sueur (président de la commission des lois du Sénat) et Jean-Jacques Hyest2 (UMP) ont défendu âprement le projet du Gouvernement en affirmant que les autorisations seraient données par une personnalité qualifiée, placée auprès du Premier ministre, sous le contrôle - a posteriori - de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité3 (CNCIS) et que pour la géolocalisation en temps réel, les conditions seraient encore plus strictes puisqu’elle nécessitera une autorisation écrite et motivée des ministres concernés et une réponse écrite du Premier ministre après avis de la CNCIS.

Les sociétés humaines ne sont pas à l'abri de changement de régimes politiques qui peuvent être plus ou moins autoritaires, aussi la garantie d'un membre du Gouvernement, voire d'un Ministre et même, au delà, du Premier d'entre-eux n'est pas une garantie suffisante du respect des principes fondamentaux de la démocratie et des libertés individuelles.

En ce sens, par son article 20, la loi de programmation militaire qui vient d'être voter par le parlement n'est pas une loi démocratique. En effet, rien ne permet d'interdire à un homme politique qui en a les moyens, d'aller espionner un « opposant » et rien ne permet d'affirmer que le régime ne changera pas. Cette loi est dangereuse, car dans le droit fil de la Constitution de la Véme République, elle élargit encore les pouvoirs de l'exécutif.

La séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, est un principe démocratique fondamental que la Constitution de 1958 confisque aussi bien au parlement qu'au peuple. Notre nation qui déjà malade d'un excès de domination de l'exécutif a, au contraire, besoin de rééquilibrer les pouvoirs de ses institutions. Les décisions de surveillance des citoyens, qui peuvent effectivement dans certain cas être légitimes, doivent être laissées à l'appréciation et sous le contrôle du pouvoir judiciaire.

Dans le cas contraire, notre pays glisse, sans s'en apercevoir, vers le totalitarisme où tous les pouvoirs sont concentrés en un seul lieu et dans une seule main.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

1    http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2013-2014/196.html

2   Jean-Jacques HYEST n'est d'aiilleurs pas à un paradoxe près. il a affirmé en octobre 2013 : "Libertés publiques et sécurité vont de pair. Je ne souhaite pas que notre pays vote, un jour, un Patriot Act", (Le Patriot Act est une loi d'exception des USA votée à la suite des événement du 11 septembre 2001) pour se contredire il y a quelques jours : "Les associations n'ont rien compris, franchement" et en définitive voter contre la loi.

3   La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est composée d'un Président, d'un Délégué général et seulement de deux membres : J.J. Hyest, sénateur UMP, et J.J. Urvoas, député PS.

   http://lannuaire.service-public.fr/services_nationaux/autorite-administrative-independante_172128.html

   

Post-scriptum : J.J Urvoas, député PS, défend la position du gouvernement dans un communiqué paru sur son blog1, il affirme : " Les craintes d’une atteinte aux libertés individuelles sont compréhensibles mais elles paraissent peu légitimes quand elles proviennent d’organismes, de personnalités ou de groupes d’influence qui ne servent que des intérêts privés. "
Non, M. Urvoas, il ne s'agit pas de la défense d'intérêts privés, mais de celle de la démocratie ; quand l'exécutif surveille l'exécutif, la démocratie n'existe plus.

     M.Urvoas est Président de la Commission des lois et membre de la CNCIS

 

 

 

 

 

 

 

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