Par 164 voix contre 146, le Sénat vient d'adopter en seconde lecture la loi de programmation militaire pour la période 2014 / 2019. Cette loi a pour objet la mise en œuvre des orientations de la politique française de défense. Elle définit le cadre juridique de la politique du renseignement et de la cyberdéfense.
Cette
loi, qui pose de nombreuses questions en matière de protection de la
vie privée, survient après les révélations de Edward Snowden sur
la surveillance généralisée des citoyens par l'agence de
renseignement américaine NSA et ne favorise pas au rétablissement
d'un climat de confiance entre la société civile et les autorités.
L'article
13 du projet de loi, devenu article 20 dans la loi1
définitive, soulève une levée de boucliers des acteurs de la
société civile, économique et politique qui expriment
les plus vives inquiétudes devant un texte qui étend les dérives
du régime d'exception de 2006 sans garantir les protections des
droits et libertés civils.
Cette
loi prévue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme mais
élargie à la défense du potentiel scientifique et économique de
la France, à la prévention de la criminalité et de la délinquance
organisées permettra d'accéder aux données de connexion, aux
informations concernant les utilisateurs, sans que le pouvoir
judiciaire puisse intervenir
dans les décisions. Ces finalités sont suffisamment imprécises
pour permettre des abus possibles par les services de l'Etat
(ministère de l'économie, par exemple). Elle représente une
atteinte grave aux principes fondamentaux de notre démocratie et au
respect des libertés individuelles.
Que
la Commission nationale informatique et libertés (CNIL)
soit saisie par le gouvernement avant la parution des décrets ne
change rien à l'affaire, puisque depuis 2004, cette Autorité
Administrative Indépendante n'a plus qu'une voie consultative et
l'État s'en affranchit toujours.
Le
délégué général de l'Association française des éditeurs de
logiciels affirme : « On
pourrait aboutir à un inquiétant paradoxe : que nos données
soient davantage en sécurité hors de nos frontières … C'est
regrettable.
L'affaire Prism avait permis aux acteurs français de l'informatique
de mettre en avant la sécurité des données pour attirer les
clients. Cela ne sera plus vraiment possible… »
Les
sénateurs rapporteurs du projet, Jean-Pierre Sueur (président de la
commission des lois du Sénat) et Jean-Jacques Hyest2
(UMP) ont défendu âprement le projet du Gouvernement en affirmant
que les autorisations seraient données par une
personnalité qualifiée, placée auprès du Premier ministre, sous
le contrôle - a posteriori - de la Commission nationale de contrôle
des interceptions de sécurité3
(CNCIS) et que pour la géolocalisation en temps réel, les
conditions seraient encore plus strictes puisqu’elle nécessitera
une autorisation écrite et motivée des ministres concernés et une
réponse écrite du Premier ministre après avis de la CNCIS.
Les
sociétés humaines ne sont pas à l'abri de changement de régimes
politiques qui peuvent être plus ou moins autoritaires, aussi la
garantie d'un membre du Gouvernement, voire d'un Ministre et même,
au delà, du Premier d'entre-eux n'est pas
une garantie suffisante du respect des principes fondamentaux
de la démocratie et des libertés individuelles.
En
ce sens, par son article 20, la loi de programmation militaire qui
vient d'être voter par le parlement n'est pas une loi démocratique.
En effet, rien ne permet d'interdire à un homme politique qui en a
les moyens, d'aller espionner un « opposant » et rien ne
permet d'affirmer que le régime ne changera pas. Cette loi est
dangereuse, car dans le droit fil de la Constitution de la Véme
République, elle élargit encore les pouvoirs de
l'exécutif.
La
séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, est
un principe démocratique fondamental que la Constitution de 1958
confisque aussi bien au parlement qu'au peuple. Notre nation qui déjà
malade d'un excès de domination de l'exécutif a, au contraire,
besoin de rééquilibrer les pouvoirs de ses institutions. Les
décisions de surveillance des citoyens, qui peuvent effectivement
dans certain cas être légitimes, doivent être laissées à
l'appréciation et sous le contrôle du pouvoir judiciaire.
Dans
le cas contraire, notre pays glisse, sans s'en apercevoir, vers le
totalitarisme où tous les pouvoirs sont concentrés en un seul lieu
et dans une seule main.
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux
1 http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2013-2014/196.html
2 Jean-Jacques HYEST n'est d'aiilleurs pas à un paradoxe près. il a affirmé en octobre 2013 : "Libertés
publiques et sécurité vont de pair. Je ne souhaite pas que notre
pays vote, un jour, un Patriot Act",
(Le Patriot Act est une loi d'exception des USA votée à la suite
des événement du 11 septembre 2001) pour se contredire il y a
quelques jours : "Les
associations n'ont rien compris, franchement" et
en définitive voter contre la loi.
3 La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est composée d'un Président, d'un Délégué général et seulement de deux membres : J.J. Hyest, sénateur UMP, et J.J. Urvoas, député PS.
http://lannuaire.service-public.fr/services_nationaux/autorite-administrative-independante_172128.html
Post-scriptum :
J.J Urvoas, député PS, défend la position du gouvernement
dans un communiqué paru sur son blog1,
il affirme : " Les craintes d’une atteinte aux libertés
individuelles sont compréhensibles mais elles paraissent peu
légitimes quand elles proviennent d’organismes, de personnalités
ou de groupes d’influence qui ne servent que des intérêts privés.
"
Non, M. Urvoas, il ne s'agit pas de la défense d'intérêts privés, mais de celle de la démocratie ; quand l'exécutif surveille l'exécutif, la démocratie n'existe plus.
Non, M. Urvoas, il ne s'agit pas de la défense d'intérêts privés, mais de celle de la démocratie ; quand l'exécutif surveille l'exécutif, la démocratie n'existe plus.
M.Urvoas est Président de la Commission
des lois et membre de la CNCIS
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