Deux jeunes soldats français ont été, aussitôt arrivés, aussitôt tués. La précipitation du Gouvernement français pour intervenir à Bangui n’a pas fait reculer la violence. Répondre à la violence par la violence ne fait pas nécessairement reculer la violence, en Afrique comme ailleurs.
Quels constats font les citoyens
français avec les informations dont ils disposent (car tout ne leur
est pas dit !) ? Quelles questions se posent-ils ?
1 – La France est isolée. Son action
militaire n’est pas accompagnée. Ni par les autres États de
l’Union européenne, ni par les USA, ni par d’autres grandes
puissances. Pourquoi ?
2 – Le mandat de l’ONU est un
blanc-seing, pas un engagement international aux côtés de la
France, avec troupes, matériel et financements. La France peut-elle,
dans la situation économique qu’elle connaît, supporter ce
fardeau ?
3 – Voici une troisième action armée
de la France en Afrique : après la Libye, le Mali, maintenant
la République Centrafricaine. Il s’en est fallu de peu que la
France ne soit engagée en Syrie. En à peine plus de deux ans, et
quelle que soit la majorité présidentielle, les interventions
armées extérieures des troupes françaises se sont multipliées en
Afrique. Pourquoi ?
4 – L’argument humanitaire,
constamment employé dans les quatre cas précités, pourrait être,
hélas, sans difficulté, utilisé ailleurs. Faut-il que la France
intervienne militairement partout où il y a violation brutale des
droits de l’homme ?
5 – La « Françafrique »,
celle des territoires africains francophones, est-elle vraiment, à
présent, en recul, voire disparue, comme le soutient le Gouvernement
français, au profit des gouvernements locaux légitimes ayant
sollicité le soutien de la France ?
6 – Nous restons, pour quelque temps
encore, présents en Afghanistan. La France ne risque-t-elle pas
d'être vue par les peuples du monde comme un auxiliaire des
États-Unis, engagé, en divers lieux stratégiques, dans des
conflits tendant, d'abord, à s’opposer au développement de
l’influence islamiste ?
7- Les intérêts économiques de
l’occident sont engagés (ceux du pétrole, des minéraux, de
l'uranium notamment...). Les raisons principales ou concomitantes qui
fondent les interventions françaises ne sont-elles pas très liées à
la volonté de protéger, et d’élargir, des ressources auxquelles
nos grandes entreprises ont, ou pourraient, avoir accès ?
8 – Les anthropologues informés font observer que les conflits en Afrique ne sont pas nécessairement religieux. En Centrafrique, chrétiens et musulmans cohabitaient. Pourquoi insiste-t-on autant aujourd’hui, sur une opposition religieuse au lieu d’aider les responsables catholiques et musulmans qui veulent, ensemble, apaiser les conflits ? N’exacerbe-t-on pas les haines entre populations entraînées dans l’engrenage des exactions suivies de vengeances ?
9 – L’argument « ethnique »
qu’emploient aussi des commentateurs, influents mais peu
compétents, s’applique-t-il, en l’occurrence à la
Centrafrique ? Les luttes d’influence, pour le pouvoir ou
l’enrichissement, existent partout. Ont-elles besoin d’explications
pseudo ethnologiques (quand elles ne sont pas racistes !) ?
10 – La Centrafrique est plus vaste
que la France et peu peuplée. La forêt y gagne sur la savane. Les
routes n’y sont plus entretenues. Quel pays voulons nous
accompagner vers la paix : un pays occidentalisé où les Blancs
reprendraient la main, directement ou indirectement, dont le modèle
politique serait une démocratie à notre goût, ou bien un pays dont
la population, et donc son État, n’aurait que peu à voir avec nos
références françaises, appuyé sur un mode de vie spécifique ?
Toutes ces questions, et d’autres
encore, conduisent à douter de la pureté de nos intentions et de la
seule motivation humanitaire de notre action militaire ! Voici
des années et des années que des conflits autour de la Centrafrique
s’y étalent et y diffusent. Une simple consultation de la carte
régionale suffit à dresser la liste des États voisins où ont sévi
des guerres atroces : du Tchad au Nord, jusqu’à la
République démocratique du Congo au sud, en passant par le ou les
Soudan à l’est.

Le réveil français est tardif. Nos
mains ne sont pas propres dans cet univers ayant gardé les traces
profondes d’un passé colonial dont l’histoire ose encore à
peine dire l’horreur, une horreur égale, où pire, que celle des
exactions effectivement commises actuellement, mais « choisies et
montrées » pour susciter notre légitime épouvante.
Il est contestable que la France, de sa
seule initiative et de sa propre autorité, puisse s’autoriser à
intervenir, seule, pour conforter (au Mali) ou défaire (en
Centrafrique) des chefs d’État ! Elle ne peut choisir parmi
les assassins, bandits et autres tueurs qui encombrent la planète,
qui elle va tenir à sa merci ? Quoi qu’on objecte à cet
argument, la France est bel et bien entrée dans la peau et l’habit
du gendarme de l’Afrique. Ce ne peut être notre rôle
international !
Il est d’autres voies à explorer
pour lutter en Centrafrique, et ailleurs, contre la violence extrême.
Cela passe, (et tant pis si cette évidence est jugée - trop vite -
simpliste !), par de nouveaux rapports entre les dominants et les
dominés, par la limitation drastique du commerce des armes et par la
fin d’un néo-colonialisme redéployé, qui ne dit pas son nom et
qui reste générateurs d’appétits et de haines sans fin.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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