mardi 3 septembre 2013

Viviane Forrester : résister à l'horreur économique.


Cet été 2013, courant août, l'éditeur Olivier Bétourné fait paraître, au Seuil, un opuscule qui aurait pu constituer la préface ou la postface de la réédition du célèbre livre de Viviane Forrester, L'horreur économique, paru chez Fayard, en 1996.

Le titre de ce très court manifeste, La promesse du pire, qui devait devenir celui d'un livre à part entière, donne à penser que l'auteure, à l'approche de sa mort, survenue le 30 avril 2013, voulait lancer un ultime cri d'alerte : « la Crise, la Dette et la Crise de la Dette », répète-t-elle, sont des épouvantails dressés pour nous paralyser et nous faire accepter que l'économie de marché devienne l'économie de la spéculation. L'homme et ses échanges sont eux-mêmes devenus des marchandises. Un nouveau système spéculatif « qu'on ne saurait nommer économie » est en train de succéder au capitalisme « mis à mort par ses spéculateurs mêmes »

Viviane Forrester n'aurait sans doute pas voulu laisser paraître telles quelles ces vingt huit pages qui auraient trouvé leur place dans la réédition, non conduite à son terme, de L'horreur économique. Elles n'ajouteront rien à sa célébrité d'écrivaine. Par contre, ce bref appel intuitif à un repérage immédiat des causes de l'installation d'un « empire omnipotent » est plus qu'un avertissement, c'est l'exigence d'une résistance à « l'idéologie globalitaire » qui s'en prend à son obstacle majeur : la civilisation.


Impossible d'ignorer ce message posthume ! Nous voici donc « à la charnière de deux âges » dit-elle. Un nouvel ordre s'établit qui succède à l'ordre établi. La Crise n'est pas une crise même si elle en crée : il s'agit de ligoter les habitants de la planète en les convaincant que ce qui les écrase est destiné à les sauver. Une civilisation de l'écran fait... écran entre entre le monde réel et le « fameux monde tel qu'il est », ce monde qui n'existe pas et qui nous est présenté comme ne pouvant être autre que ce qui nous en est montré par médias interposés.
L'appel à la conscience, à la lucidité est un appel à la résistance. Il s'agit de refuser cet escamotage, cette édulcoration verbale de l'horreur économique qui s'est prolongée et « où s'inscrivent en silence des ravages en regard desquels Attila ferait figure de touriste discret ». Ne plus se laisser décerveler est devenu l'extrême urgence. Ouvrons les yeux et ouvrons les à ceux qui se sont laissé endormir par des mensonges d'autant plus efficaces qu'ils sont plus gros, une fois chargés de leurs fausses évidences. Reprenons le pouvoir sur les mots. Faisons, une nouvelle fois, nous les humains, notre révolution intellectuelle.

Oui, un tout petit livre inachevé, insuffisant, peut délivrer un contenu qui donne à penser au moment où l'on s'acharne, précisément, à empêcher de penser les hommes-marchandises que nous devenons, moins que jamais maîtres de leur destin.

Qu'il suffise de se reporter à cette phrase fulgurante de Viviane Forrester qui, si on la prend au sérieux, nous conduit vers une nouvelle appréciation du champ économico-politique où il nous faut entrer et lutter : « Issu d'une idéologie l'empire spéculatif domine, qui destitue l'économie, se substitue au politique et gouverne les gouvernements sans y participer car, s'il détient la puissance, il n'a pas vocation à prendre le pouvoir officiel, identifié, mais à avoir tout pouvoir sur ceux qui le détiennent et à détenir ce qu'ils ont à gérer ».

Nous savons bien, à présent, ce qu'il nous reste à faire : résister. Agir, c'est penser pour mieux combattre l'idéologie globalitaire qui ruine la planète, y installe un échange marchand dévastateur, et tend à soumettre, fort concrètement, notre quotidien à une domination irréversible. Voici venue la suite de l'indignation de Stéphane Hessel : « Refusons les données telles qu'elles nous sont dictées, faussées de telle sorte que les solutions ne peuvent émaner que de ce qui les cause, ainsi perpétué ».

Il nous faut « changer de logiciel » (ou nous débarrasser de ceux qu'on à goutte à goutte distillés dans nos cerveaux). La guerre des idées fait rage et c'est la mère des guerres physiques. La lutte contre le capitalisme est devenue obsolète parce qu'il y a pire que lui. Viviane Forrester n'est pas disparue de notre horizon. Nous ne pouvons que nous dresser, avec elle, contre cette Promesse du pire.




Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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