mercredi 11 septembre 2013

D'un onze septembre à l'autre.




Du coup d'État qui renversa Allende, le 11 septembre 1973, on sait à peu près tout. L'accès à des archives sonores, devenues accessibles, permettent de comprendre la trahison de Pinochet (qui avait la confiance d'Allende, comme lui un franc-maçon, devenu chef de l'armée de terre, réputée loyaliste !).

Il était inadmissible pour le camp de la liberté (comprendre les anticommunistes fanatiques) que le gouvernement du Chili ait pu être confié à un marxiste, par la voie des urnes, de façon démocratique.

Allende devait mourir. À 65 ans, qu'il se soit suicidé ou non, peu importe, il devait être politiquement éliminé. Ce qui fut fait à la grande satisfaction du gouvernement des USA. Les ravages causés par la vague maccarthyste, dans les années 1950, ont laissé des traces qui, du reste, apparaissent encore au XXIe siècle.

On a simplement changé de diable : après le 11 septembre 20011, ce ne fut plus le communisme qui demeura le premier ennemi du « monde libre », mais l'islamisme politique qui s'en était pris au symbole même de l'économie américaine mondialisée : les tours jumelles du World Trade Center.

Moins de 30 ans séparent les deux 11 septembre. Le premier fut d'inspiration américaine ; le second une conspiration antiaméricaine. En 1973, le Chili fut victime d'un attentat anti démocratique ; en 2001, les USA furent douloureusement frappés au cœur, à New York même. Dans les deux cas, il s'agit d'événements chargés d'une extrême violence politique.

Avec le recul, tout nous donne à penser que nous ne sommes pas encore sortis de ce qui fut cause de ces attentats contre la démocratie, mais avec des nuances (et quelles nuances !) qui aboutissent à remettre en questions les idées toutes faites sur la démocratie ! Au Chili, les tenants de la démocratie étatsunienne se sont satisfaits de la fin d'un régime politique très démocratiquement élu. Aux USA, des ennemis de la démocratie étatsunienne, issus de la nébuleuse Al Qaïda, ont réussi à meurtrir le régime politico-libéral le plus puissant qui soit, accusé d'écraser les pauvres de la Terre. Dans un cas la démocratie est violée ; dans l'autre cas, c'est la démocratie elle-même qui est mise en accusation. Mais s'agit-il de la même ?

Soyons clairs : il faut condamner et les sbires de Pinochet et les assassins d'Al Qaïda. Mais il ne faut pas tout confondre : Allende n'est pas coupable de ce qu'il a subi tandis que les USA ont beaucoup fait pour attirer sur eux la foudre. Les USA ont voulu la fin du socialisme démocratique, en 1973, et ils ont été les victimes de ce qu'on a appelé, depuis, une entreprise terroriste, en 2001. Laissons de côté, écartons les thèses conspirationnistes selon lesquelles les attentats auraient été fomentés par les services secrets américains eux-mêmes !

Seize ans après la mort d'Allende s'écroulait l'empire soviétique. Douze ans après l'écroulement des tours jumelles, nous vivons des temps où l'on voit se succéder des guerres successives qui ne viennent pas à bout « du jihâd par l'épée », ( l'islam compte quatre types de jihâd, pacifiques ou violents : par le cœur, par la langue, par la main et par l'épée). Il est des jusqu'auboutistes, des fous, des cyniques et des fanatiques dans toutes les religions. Le «  jihâd par l'épée » cause grand tort à l'Islam et ne le représente pas. C'est un extrémisme politique.

Les criminels qui, au Chili, dix-sept années durant, ont semé la mort et infligé des tortures, étaient comparables aux jihadistes fanatisés, des « croisés de l'occident chrétien » prêts à tuer y compris des chrétiens si on les découvrait proches des théologiens de la libération2. De même, la mort de Pablo Neruda, le 23 septembre 1973 à Santiago du Chili, si proche du 11 septembre (due à un cancer ? au chagrin ? à un assassinat ?), peut-elle être associée à la fin d'Allende. Neruda, prix Nobel de littérature en 1971, écrivain politique et poète influent, constituait, bien que malade, un grand danger pour la nouvelle junte.


Il ne suffit pas de se souvenir d'Allende mort debout, dans l'exercice de sa fonction, en 1973. Il ne suffit pas de déplorer le drame qui a secoué le monde entier, à New York, en 2001. Il faut saisir que ce qu'on a appelé le « socialisme démocratique » (au Chili, mais aussi en Hongrie avec Imre Nagy, en Tchécoslovaquie avec Dubcek) ne convenait ni à Moscou, ni à Washington. Il faut saisir que la fin de la coupure du monde en deux « blocs », a mis, curieusement, l'occident capitaliste, à première vue, sans adversaire, en état de fragilité. L'exaspération affreuse qui est apparue avec la résistance violente à la mondialisation visée par les USA, sous leur égide, est à l'origine du 11 septembre 2001. À vouloir briser dans l'œuf toute velléité socialiste démocratique, finalement plus inquiétante que le modèle soviétique, l'occident capitaliste a engendré son bourreau, un bourreau contre lequel il a engagé une vaine guerre perpétuelle.

Au contraire, dans La paix perpétuelle, un livre écrit en 1795, Kant offrait l'hospitalité universelle, celle qui veut que l'on reconnaisse l'humanité en tout homme que l'on rencontre sur la surface du globe. Cette proposition reste actuelle. Elle suppose le partage, le partage des avoirs, des savoirs et des pouvoirs. Le partage, c'est une autre dénomination du socialisme authentique. Le 11 septembre 1973, on a interrompu une tentative de « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » qui réapparaitra ailleurs, sans doute d'abord en Amérique latine. Le 11 septembre 2001 s'est trouvé brisé, dans les pires conditions, un rêve d'hégémonie économique et politique qui continue d'engendrer des violences multiples sur toute la terre.

Il serait temps de tirer tous les enseignements possibles de ces tragédies inoubliables auxquelles on commet l'erreur de ne plus vouloir penser. Cela n'a pas été fait.

 Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

2 - L’expression « théologie de la libération » fut utilisée une première fois par Gustavo Gutierrez lors du congrès de Medellin du Conseil épiscopal latino-américain, en 1968. Il développa et articula sa pensée dans un livre Théologie de la libération, paru en 1972, qui est largement considéré comme le point de départ de ce courant théologique.

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