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vendredi 23 septembre 2011

Une QPC d'un intéret exceptionnel

Quelle sera la décision du Conseil constitutionnel, qui devrait être rendue publique le 30 septembre 2011, concernant la question prioritaire de constitutionnalité, (ou QPC), déposée par l'avocat Cédric Lemoine devant le Tribunal de Pontoise et transmise à la Cour de Cassation laquelle a, finalement, acceptée de la soumettre à l’avis définitif du Conseil.

C'est le 14 Septembre que cette QPC a été examinée. Il s'agissait de savoir si le droit constitutionnel de propriété était prioritaire par rapport aux autres droits que la Constitution retient comme fondamentaux.

Le Conseil constitutionnel ne peut entrer dans la fausse logique d'une mise en hiérarchie des droits. Le droit de vivre en famille dans la sécurité ne peut être placé derrière le droit d'être propriétaire d’un sol ou de biens. L'inverse ne peut être, non plus, avancé. Le droit de propriété ne viendra jamais après les autres droits dans une société où dominent les propriétaires !

Que peut dire alors, le Conseil constitutionnel ? Il peut affirmer que la Constitution n’établit aucune hiérarchie entre les droits qu’elle proclame. Cela, cependant, laisserait la question sans véritable réponse. C’est de l’application de ces droits que le Conseil est, en fait, saisi. Tout donne à penser, et ce serait positif, que les juges auront à apprécier, dossier par dossier, quel droit prime, selon les circonstances du conflit arbitré par un tribunal.

S’agissant des Rroms, (puisque c’est à l’occasion d’un jugement d’expulsion à Sarcelles, à la demande de la Municipalité, que le Tribunal de Grande Instance de Pontoise a été placé devant une demande de transmission d’une QPC), il y a bien un conflit de valeurs, un conflit de principes.

En effet, chasser des familles d’un espace investi indûment signifie, en même temps, que la propriété doit être respectée et être utilisée par son légitime propriétaire, et que quiconque s’installe, seul ou en groupe, sans droit ni titre, pour élever un abri, ou organiser un regroupement d’habitats précaires, doit ou doivent être expulsé(s) par la force publique, en cas de maintien non fondé dans les lieux.

Autrement dit, si le motif de constitution d’un bidonville est la recherche d’un espace de vie quand on n’en a pas trouvé d’autres que les espaces délaissés, se pose une question qui n’est pas qu’annexe, mais bel et bien incorporée au constat du délit : la société peut–elle se soustraire à l’obligation de donner un toit à ceux qui n’en ont pas ?

Cette question est, bien entendu, politique. Ou bien la responsabilité de chaque individu est avancée et suffit à exiger qu’il respecte la loi (on ne s’établit pas, de force, chez autrui), ou bien l’on considère que les humains les plus fragiles et les moins fortunés ont besoin de l’intervention des pouvoirs publics pour vivre dans la dignité (laquelle dignité interdit, notamment, le recours à des solutions d’internement ou de "mise en camps").

Liberté contre dignité, donc ! Liberté de disposer de son bien (ne retenons là, du mot liberté, que son sens politiquement libéral, de protection de la propriété), d’un côté. Dignité humaine pour quiconque à le droit de demeurer, d' "habiter la terre" avec sa famille, (dont les enfants non encore maîtres de leur destinée), de l’autre.

La QPC posée par l'avocat des Rroms méritait bien l’examen puis la réponse du Conseil constitutionnel, mais il ne faut pas perdre de vue que la Constitution n’est que la loi fondamentale que se donne un État donné. L’introduction de la Charte de l’environnement, en 2004, dans la Constitution (en fait peu prise en compte encore ...) révèle que la loi des lois n’est pas immuable. Le Conseil ne peut que constater l’état du droit. Il ne proposera pas un nouveau droit, ni même, une interprétation du droit qui ne ferait pas consensus.

L’hospitalité qui, sans faire partie de la Constitution, ne lui est pas étrangère est incompatible avec l’abandon d’une partie de la population terrestre. Emmanuel Kant, en 1795, en a fait philosophiquement la démonstration, peu après la Révolution française de 1789, en écrivant Vers la Paix perpétuelle. La Terre est, si l’on peut dire, plus ronde encore qu’à la fin du XVIIIe siècle et nul ne peut s’en échapper que par la mort. Or, qui n’a nul bien, nulle place, nul espace où vivre en famille est semblable à un mort vivant.

Même le philosophe Kant aurait admis qu’un pays ne peut accueillir toute la misère du monde, mais il aurait sans aucun doute, considéré que chaque État concerné doit en prendre sa part, faute de quoi, les misérables seront toujours bannis.

La propriété est un droit, jusqu’ici inaliénable, sauf expropriation au nom de l’intérêt général équilibrée par d’importants dédommagements. Le tout est de savoir, aussi, quelle est l’utilisation de la propriété faite par le citoyen ou la collectivité qui en dispose. Là, peut-être, se glisse, pour les juges, une marge d’appréciation, dont le Conseil constitutionnel pourrait se saisir.

Une propriété inutilisée n’est pas intouchable. En faire bon usage, pour un temps, limité ou prolongé, sans ou contre l'avis du propriétaire, peut, en certaines circonstances, s’admettre.

Bien entendu, un tel compromis (entre le propriétaire laissant son bien vacant, et les squatteurs ayant trouvé vacant ce bien et l’ayant investi) suppose une négociation. Il est légitime que l'on exige, l'hygiène, un calme, un respect du voisinage et de l’environnement, de la part des occupants même temporaire, d’une propriété même délaissée. Inversement, il est nécessaire que rien ne fasse obstacle à ce comportement exigé ; l'accès à l’eau ne saurait être interdit ; des latrines doivent pouvoir être aménagées ; la collecte des déchets doit être effectuée comme pour tout autre résident ... Cela constitue le minimum dont aucun humain ne peut être privé.

Difficile équilibre donc, avec des échecs et des bascules d'un côté ou de l 'autre, des contraintes pour accéder à ses droits : le droit à vivre en famille « quelque part », autant que le droit d’utiliser sa propriété à sa guise.

Le pire c'est de ne tenir compte que d’un seul de ces droits, de toute façon, ou le plus souvent. Cela génère le désordre dont toute la société, y compris les propriétaires, souffrent. La propriété n’est pas le seul ni le premier des droits et il faut en tirer toutes les conséquences.

On comprendra que les Rroms ne sont pas les seuls, parce qu’ils s’invitent là où ils ne sont ni attendus ni bienvenus, à se trouver confrontés à cette problématique. C’est bien, du reste, ce qui peut freiner ou rendre opaque toute décision du Conseil Constitutionnel ! Relativiser la propriété, c’est mettre en question sinon à mal, l’organisation de la vie collective fondée sur un système économique qui n’incline pas au partage.

Le Conseil Constitutionnel n’affirmera pas, tout crûment, que tout homme a droit à vivre en famille quelque part quels que soient ses revenus. C’est pourtant bien ce dont il est question dans un monde où la misère est largement répandue. Le Conseil Constitutionnel, cependant, gardien d’un texte qui contient l’affirmation d’un droit à la solidarité bien présent dans la devise républicaine, trop oubliée, « liberté, égalité fraternité » ; ne peut non plus affirmer que seul à raison, en droit, celui qui dispose de la propriété !

Derrière ce travail juridique se cache – bien mal – une question philosophique . est–ce que naître, vivre et mourir sur cette Terre limitée, ronde et commune, oblige à s’approprier un sol par l’argent, ou par la force, pour y déployer à plein, toute son humanité ?

Il conviendrait peut–être, avec sept milliards d’humains, que la société du partage – obligatoire à défaut d’être souhaitée – se trouve, au XXIe siècle, de nouveaux modes d’occupation de la Terre, sans qu’il soit nécessaire de sacrifier tous ceux qui n’ont accès à aucun privilège.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran




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