vendredi 27 février 2009

Quand la fraternité régénérée vivifie la politique.


Régis Debray nous interpelle...

Régis Debray, philosophe incernable, nous invite à renouveler notre réflexion sur la fraternité. Invité, ce jour, sur les ondes de France-Inter, il présentait son dernier livre Le mouvement fraternité, avec clarté et conviction. L'avantage d'avoir à ramasser son propos en quelques phrases est double : on va à l'essentiel quand on a déjà travaillé sur le fond, et l'on peut renvoyer l'auditeur à une analyse personnelle, en lui faisant connaître l'existence d'un essai plus complet, récemment édité, et servant d'appui ou de référence.

J'ai immédiatement été attiré par cette volonté de redonner vie à ce vocable que Régis Debray qualifie de « fané » ! Dépasser le machisme des fraternités de combat, inclure la sororité (ou la fraternité des sœurs) dans la fraternité universelle, redynamiser le « nous », raccrocher la fraternité à la poétique telle qu'elle vient de ressurgir aux Antilles, préciser en quoi l'énergie spirituelle mobilise les peuples..., Régis Debray, qui ne dissimule pas son agnosticisme, propose, en quelque sorte, de revisiter la fraternité en tant que valeur laïque, constitutive de la République.


La fraternité, grande oubliée de la République?

Cette approche, qui n'est pas nouvelle, mais qui revient, opportunément, au devant de la scène politique, permet de préciser quelques notions qui avaient été soit oubliées, soit minorées. Ainsi, dit Régis Debray, la solidarité est-elle la fraternité moins l'imaginaire ? Ce disant, il ne dévalue pas la solidarité ! Au contraire, il rappelle que la solidarité devrait être quotidienne, banale et nécessaire en toute société humaine, vivifiée sans cesse par l'élan, la force, l'exigence de la fraternité mise en actes.

Là où il y a peuple, il y a fraternité. La nation, telle que la Révolution Française l'avait révélée, n'a pas été d'abord l'État-nation ! La nation est un peuple en marche conscient de lui-même. Son ciment, c'est la fraternité.

La fraternité suppose le dépassement de soi. Il y a, dit encore Régis Debray, une incompatibilité structurelle entre la fraternité et la quête du profit personnel. Que réapparaisse le concept de fraternité, alors que surgit l'une des plus graves dépressions économiques qu'aient connue les sociétés humaines, ne saurait étonner ! Quand une catastrophe frappe (accident, incendie, inondation, tremblement de terre) solidarité et fraternité se superposent : à l'organisation des secours s'ajoute la puissance de l'action de soutien, de l'engagement des survivants. Le sacrifice de soi-même, de ses intérêts, au profit... d'autrui, et cela au nom de ce que c'est qu'être un Homme : ainsi se manifeste alors la fraternité.

Sacrifice renvoie à sacré, mais pas à un sacré divin nécessairement ! Il est un sacré laïque. Ce qui est sacré, pour l'homme fraternel, c'est son frère, non comme enfant d'un commun Dieu-le-Père (encore que rien n'interdise de le penser), mais comme semblable, comme égal en humanité, comme alter ego. La fraternité, dit encore Régis Debray est hostile à toute tribalisation, autrement dit, tout enfermement dans des castes, des nationalismes (qui tuent la nation), des communautarismes (qui dévaluent les communautés), des replis identitaires (qui font perdre l'identité), des religions
totalisantes (qui anéantissent le questionnement religieux), des régimes politiques autoritaires, etc.

Il était temps que revienne la possibilité de penser la destinée humaine autrement que comme la réalisation et la juxtaposition de réussites individuelles, de succès obtenus dans des compétitions acharnées, de «peopleïsations » nombrilistes, bref, on attendait le retour de la personne au détriment de l'individu. S'épanouir personnellement dans un vivre ensemble où tout ne s'articule pas autour de vedettes médiatisées redevient pensable. La fraternité se réjouit du bonheur des voisins et ne le déplore pas !

Il y a peu, et l'on mesure alors à quel point de déshumanisation nous étions parvenus, parler de fraternité faisait sourire. Bien sûr, fallait-il être aimable et correct dans ses paroles et dans son apparence, de là à promouvoir la société du partage et de la coopération, il ne fallait pas rêver ! Ce qui meut le plus l'homme, c'est l'intérêt et la compétition, disait-on, et de ce dogme libéral nous ne pouvions sortir.

Nous ne sommes pas, du reste, encore sortis de cette idéologie fondant le capitalisme. Et nous n'en sortirons ni rapidement ni facilement, mais une donnée essentielle est apparue : non seulement il n'est plus insensé de déclarer qu'on en peut sortir, il est devenu évident qu'il est inéluctable qu'on doive en sortir. Car l'avenir de l'espèce humaine est en jeu...

Bref, tout change et rien ne change ! La réalité du monde se transforme plus vite que les hommes ne le peuvent concevoir, car modifier des comportements et des convictions accumulées pendant des décennies ne saurait aller de soi. Nous entendrons donc encore longtemps parler, avant tout, de croissance, d'investissement, de consommation, de produits, de relance... Fraternité, solidarité, échange, coopération, partage et - ô malheur ! - gratuité restent des mots que beaucoup voudraient voir rangés au magasin des antiquités ! Ces concepts qu'on peut admirer ne sont pas utilisables pensent les faux penseurs, ceux pour qui il n'est d'avenir que dans « l'économie de marché » (comprendre précisément : société où les marchés, et surtout ceux qui les impulsent, font et défont librement la loi).



Repenser la fraternité, c'est repenser toute la politique. C'est accepter d'envisager, de mettre des visages, sur la démocratie coopérative qui, mieux encore que la démocratie participative, fait prendre au peuple son destin en mains. Les hommes et femmes politiques, installés dans un système qu'ils n'ont pas tous conçu ni approuvé, mais dont ils constituent les pièces, les rouages, ne sont pas en situation de modifier en profondeur des régimes qui fonctionnent (mal, mais qui fonctionnent) et où ils ont un rôle à jouer. Si le peuple ne s'en mêle, si la poussée ne vient pas des citoyens (dans la rue, sur Internet ou tout autrement...), nous continuerons d'entendre d'habiles discours convenus où la fraternité en œuvres ne tiendra qu'une place restreinte.

C'est une révolution culturelle - oh là, là, quel mauvais souvenir chinois ! - qui est devenue urgente. Ce n'est nullement de la violence du Parti, du Prolétariat, de la Nation dont il pourrait être question, mais c'est de la manifestation de la volonté populaire dont aucun gouvernement ne peut, tôt ou tard, faire l'impasse. Inutile de changer de Président - encore qu'on se demande comment celui qui « dirige » la France, actuellement, pourrait encore tenir trois ans face à son impopularité sans égale - si ce n'est pas pour changer de... logiciel politique ! Si les opposants restent enfermés dans un cercle étroit de références dépassées, ils n'auront rien à offrir.

La fraternité, au sens habituel du mot, c'est-à-dire la bienveillance, est la chose du monde la moins partagée dans les milieux politiques où triomphe la loi du plus fort (en gueule, en argent ou en culot). On le constate chaque jour dans l'univers présidentialisé où le pouvoir sur autrui passe le pouvoir sur l'événement et où la haine suppure de façon de moins en moins dissimulée. On l'a constaté dans les congrès récents de plusieurs partis et notamment celui du PS à Reims ; c'est palpable dans les allées du pouvoir et les palais de la république. En fait de révolution, il en est une de première importance : dé-présidentialiser l'ensemble de la vie politique française de chaque hôtel de ville jusqu'à l'Élysée. Au sein de la représentation parlementaire, on n'y est prêt ni à droite ni, le plus souvent, à gauche.

Régis Debray donne à penser. La fraternité comme concept politique, et non comme concept humanitaire ou charitable, nous est représentée, et reprend des couleurs dans la devise républicaine. Elle rend compréhensible la réconciliation entre politique et poétique. Elle rappelle que seul le peuple est constituant. Elle prouve que l'énergie politique décisive est spirituelle et que le nombre de divisions ne suffit plus à installer la force d'un pouvoir. Osera-t-on parler d'amour en politique ? Il est des utopies qui finissent par triompher de façon inattendue.!La fraternité reprend sens.


Le drapeau de la fraternité.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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