dimanche 11 mai 2008

De l’athéisme des religions ou du détournement du pouvoir.



On n’agit pas de la même manière selon qu’on pense que Dieu – le nom qu’on donne au tout-pouvoir– est avec nous, est pour nous ou encore est en nous.


La praxis (« l’ensemble des activités humaines susceptibles de modifier le milieu naturel ou de modifier les rapports sociaux ») dépend de l’idée qu’on se fait de la nature et de la place que l’homme y occupe .

Baruch Spinoza fut chassé de la Synagogue parce qu’il fut déclaré athée, ou panthéiste ce qui, dans l’esprit des petits esprits, était tout un, si j’ose dire. En réalité, le philosophe juif ne concevait pas qu’on puisse penser l’homme, ni Dieu, en dehors de la nature (pas la nature verte et animale, mais le tout du Monde étant).

L’a-thée est celui qui se dit sans Dieu. Spinoza ne disait rien de tel. Il démontrait seulement que Dieu ne peut être ce qu’on en dit, un être à part, créateur de ce qui est !

Cette vieille controverse est très actuelle. Elle contient des explosifs intellectuels. Si les religions se réfèrent à un Dieu qui n’est pas, elles prêchent l’athéisme ! Si Dieu n’est pas hors de la Nature mais au sein de son sein, nous sommes non plus devant Dieu mais en lui. Et le vaste savoir des théologiens n’y peut rien retrancher.

Quand les Princes se croyaient, ou se disaient, détenteurs d’un pouvoir de droit divin, ils ne faisaient rien d’autre que de se déclarer acteurs de Dieu, ce que les prêtres se gardaient bien de condamner comme blasphématoire. Au reste, le prêtre, l’intermédiaire entre Dieu et les hommes est installé dans des conduites deux fois mensongères : parce que, si Dieu est, tout homme conscient de sa relation à Dieu, peut se dire prêtre ; parce que parler de Dieu, c’est le définir, le finir, et alors Dieu n’est plus.

Les religions tuent l’idée même de Dieu. Les libres penseurs, qui nient Dieu, si libre est réellement leur pensée, devraient convenir que le Dieu qu’ils nient est un Dieu caricatural, réduit à n’être que le Tout puissant, comme si le tout était dans la puissance !

Spinoza n’est pas panthéiste. Il ne dit pas que Dieu est le tout nature ! Il distingue la nature naturante (natura naturans), qui "peut" être Dieu, de la nature naturée (natura naturata) qui en est les effets. Cette conception non transcendantale de Dieu a fait accueillir Spinoza parmi les athées, par Deleuze ou Negri, ce qui n’est possible qu’à condition d’enfermer Dieu dans la transcendance, au-dessus, à côté, ailleurs. Certes, un Dieu impossible n’est pas.

La multitude, selon Spinoza (et Negri le reprend déjà, dès 1997, dans son livre sur Le pouvoir constituant ) est siège du seul pouvoir possible, celui du seul souverain, le peuple en sa totalité, sa complexité, sa diversité. Peuple ou foule ? Spinoza ne fait pas de la multitude un concept intégralement positif, mais il donne, à la démocratie, un outil pour l’exercice du pouvoir : c’est la multitude qui est finalement déterminante.

Nous voici parvenus au cœur de l’action, l’action de l’homme sur lui-même, l’action de l’homme sur son environnement. À ceci près : il n’y a pas d’environnement. Rien n’est autour. La Terre est indissociable de ceux qui l’habitent et inversement. L’homme ne peut sans se contredire et détruire, penser les rapports sociaux comme si l’autre n’était pas lui. À partir de là, toute praxis qui n’est pas infidèle à elle-même, conduit à ce que Jean Malaurie appelle « la révolution philosophique », celle qu’opère la conscience écologique amenée à respecter Terre Mère (Natura Naturans), qui, si elle n’est pas Dieu, est, de toute façon, porteuse de toute vie physique et spirituelle. La religion est dangereuse pour le religieux. C’est bien connu. Le religieux relie. La religion sépare.

Nous vivons un temps qui marque non pas le retour du religieux mais son émergence laquelle n’interdit rien, même pas l’agnosticisme. Les «peuples-principes», comme l’explique Malaurie, sont tous des peuples «branchés» sur la complexité de la nature et qui manifestent, de mille façons différentes, cet attachement aux esprits, aux ancêtres, au mystère de l’être. Les superstitions y trouvent place, mais moins qu’en ces pays de la modernité où tout fait culte, et où le pouvoir magique de l’argent entraîne vers les plus vastes aberrations.

Les religions s’opposent à cette prise de conscience du seul sacré possible : celui qui sort du temple et découvre que le temple, c’est le monde entier.

Les politiques, ceux qui savent accaparer les lieux de décision, commencent à s’affoler de cette conscientisation universelle. L’enjeu est, en effet, que la multitude cesse d’être une foule pour devenir un peuple, c’est-à-dire le souverain s’occupant de ce qui le concerne. Dès lors que le sort de l’espèce est en jeu, surgissent des forces imprévisibles que d’aucuns diront mystiques, que d’autres diront vitales. Qu’importe, c’est tout un : le temps du sacré-profane est arrivé.
Jean-Pierre Dacheux


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