C'est le titre de l'appel d'un collectif de
personnalités allemandes de premier plan, intellectuels, hommes
politiques, journaliste, responsables religieux, qui considèrent que
l'Europe vit « un moment de grand danger et que l’Allemagne
a une responsabilité particulière dans le maintien de
la paix ».
En effet, les
risques de voir le conflit ukrainien se transformer en un
affrontement armé entre les États-Unis, l'Europe et la Russie sont
grands.
La démocratie est
au point mort, et le fléau nationaliste conséquence d'un manque
d'Europe plutôt que d'un patriotisme dévoyé se répand partout.
Le nationalisme
russe est lui aussi la conséquence d'une Europe qui n'entend pas
laisser une place à la Russie.
Pourtant, cette
Europe ne s'arrête pas aux frontières des 28 et la Russie y a une
place géographique et historique essentielles.
Politiquement en
panne, ni fédérale, ni super étatique, l'Union Européenne est aux
mains des puissances économiques et financières, sous domination
américaine, elle est condamnée à se refonder ou à disparaître.
Elle ne doit pas être le jouet d'une Amérique qui cherche, avant tout, à préserver sa place de leader économique mondial et à asseoir son impérialisme.
En France, le
silence des médias et des hommes politiques sur les risques d'un
conflit généralisé est criminel car nous sommes dans une impasse
politique, et il n'est pire danger que ceux qui qui ne veulent pas
voir.
C'est la raison
pour laquelle nous publions, ci-dessous, le texte de ce collectif.
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux
« Une autre guerre en
Europe ? Pas en notre nom ! »
Personne ne veut la guerre. Mais
l’Amérique du Nord, l’Union européenne et la Russie se dirigent
tout droit vers une guerre si l’on ne met pas fin à la spirale
mortelle des menaces et contre-menaces.
Tous les Européens, y compris la Russie, partagent la
responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité. Seuls
ceux qui ne perdent pas de vue cet objectif peuvent éviter de nous
engager sur la mauvaise voie.
Le conflit en Ukraine montre que la soif de pouvoir et de domination sont des problèmes toujours bien réels. En 1990, à la fin de la Guerre froide, nous avions tous espéré le contraire. Mais le succès de la politique de détente et les révolutions pacifiques nous ont rendus imprudents et nous ont endormis. À l’est comme à l’ouest. Aussi bien les Américains que les Européens et les Russes, ont oublié le principe fondamental de bannir définitivement la guerre des rapports internationaux. Sinon, on ne s’explique pas l’élargissement occidental vers l’Est, menaçant pour la Russie, en l’absence totale d’une collaboration contextuelle plus approfondie avec Moscou ; ou encore l’annexion de la Crimée par Poutine, contraire au droit international .
Dans un moment de grand danger pour le continent comme celui
que nous sommes en train de vivre, l’Allemagne a une responsabilité
particulière dans le maintien de la paix.
Sans la volonté de réconciliation du peuple de Russie, sans
la clairvoyance d’un Mikhaïl Gorbatchev, sans le soutien de nos
alliés occidentaux et l’action prudente du gouvernement fédéral
d’alors, nous n’aurions jamais pu surmonter la fracture de
l’Europe. Le fait de rendre possible la réunification pacifique de
l’Allemagne fut un acte majeur et d’une grande sagesse de la part
des puissances sorties vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. De
la fin de cette fracture devait naître un ordre européen durable
fait de paix et de sécurité, allant de Vancouver à Vladivostok,
comme cela fut établi en novembre 1990 par tous les chefs de
gouvernement des 35 États membres de l’OSCE signataires de la
« Charte de Paris pour une nouvelle Europe. »
Sur la base des principes convenus ensemble et des premières
mesures concrètes mises en œuvre, il fallait construire une
« maison européenne commune », dans laquelle chaque État
membre pourrait jouir du même niveau de sécurité. Cet objectif
fondamental de la politique depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale jusqu’à aujourd’hui n’a pas été atteint. Les
Européens ont encore des raisons d’avoir peur.
Nous, signataires de ce texte, appelons le gouvernement fédéral
à agir de façon responsable pour la paix en Europe. Nous avons
besoin d’une nouvelle politique de détente en Europe. Celle-ci ne
peut exister que sur la base d’une sécurité égale pour tous, et
entre partenaires aux droits égaux et au respect réciproque. Le
gouvernement allemand serait dans son rôle si compte tenu de la
situation de blocage, il lançait un appel au calme et au dialogue
avec la Russie. Le besoin de sécurité des Russes est aussi vaste et
légitime que celui des Allemands, des Polonais, des Ukrainiens ou
des habitants des Pays baltes.
Nous ne pouvons pas chasser la Russie de l’Europe. Ce serait
contraire à l’Histoire, irrationnel et dangereux pour la Paix.
Jusqu’au congrès de Vienne de 1814, la Russie était reconnue
comme une des puissances dirigeante de l’action politique en
Europe. Tous ceux qui ont essayé de changer cet état de fait par la
violence ont failli et ont généré un immense bain de sang, comme
ce fut le cas avec la tentative meurtrière et mégalomane de
l’Allemagne d’Hitler qui s’aventura hors de ses frontières
pour tenter de soumettre également la Russie à son propre régime.
Nous exhortons tous les députés du Bundestag allemand,
en tant que représentants du peuple, à être à la hauteur de la
gravité de la situation, et à se faire les gardiens des engagements
de Paix du gouvernement fédéral. Ceux qui ne font que construire
l’image d’un ennemi, et manipuler les faits en lui attribuant
unilatéralement les fautes, exacerbent les tensions à un moment où
au contraire devraient prévaloir les signes de détente. Incorporer,
intégrer, ne pas exclure, devraient être le leitmotiv des
politiques allemands.
Nous en appelons aux médias, afin qu’ils se
conforment de façon plus convaincante à leurs obligations de
rapporter les faits sans a priori. Les éditorialistes et les
commentateurs diabolisent des nations entières, sans donner
suffisamment de crédit à leurs récits. N’importe quel
journaliste expert en politique étrangère comprendra facilement la
crainte des Russes, depuis que fin 2008, les membres de l’OTAN
invitent la Géorgie et l’Ukraine à entrer dans l’Alliance
atlantique. Il ne s’agit pas de Poutine. Les chefs vont et
viennent. Il s’agit de l’Europe. Il s’agit d’ôter aux gens
la peur de la guerre. Dans ce contexte, un compte-rendu responsable
des faits, basé sur des recherches solides, ne peut qu’être
bénéfique.
Le 3 octobre 1990, le jour de l’Unité allemande, le président Richard von Weizsäcker a dit : « La guerre froide est surmontée. Liberté et démocratie ont été rapidement appliquées à tous les États… Désormais ceux-ci peuvent intensifier leurs rapports et les consolider au niveau institutionnel, au point que pour la première fois, pourra se former un ordre commun de vie et de paix… »
Le 3 octobre 1990, le jour de l’Unité allemande, le président Richard von Weizsäcker a dit : « La guerre froide est surmontée. Liberté et démocratie ont été rapidement appliquées à tous les États… Désormais ceux-ci peuvent intensifier leurs rapports et les consolider au niveau institutionnel, au point que pour la première fois, pourra se former un ordre commun de vie et de paix… »
C’est ainsi que commence pour les peuples d’Europe un
nouveau chapitre de leur histoire. Son but est une union
paneuropéenne. C’est un objectif formidable. Nous pouvons
l’atteindre, mais nous pouvons aussi le rater. L’alternative qui
se présente à nous est claire : unir l’Europe, ou bien
retomber dans des conflits nationalistes dans la lignée d’autres
exemples historiques douloureux. »
Jusqu’au
conflit ukrainien, nous avions cru, en Europe, que nous étions sur
la bonne voie. Aujourd’hui, le discours de Richard von Weizsäcker,
prononcé voilà un quart de siècle, n’a jamais été plus actuel.
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