Le scrutin des 10 et
17
juin 2012 aura été, curieusement, banal et historique. Banal par
sa
simple amplification du phénomène majoritaire présidentiel;
historique parce qu'il bouleverse la donne économique et
institutionnelle. Il n'y aura pas de deuxième chance pour le PS
qui
réussit ce qu'il avait raté, en 2002. Il se retrouve dans tous les
lieux d'exercice du pouvoir sans disposer pourtant de l'ensemble
des
pouvoirs qui permettent de faire triompher à coup sûr sa
politique.
1 – Historique est
cette participation très faible d'environ 56% de votants alors
que,
quelques semaines auparavant, 81% des Français avaient choisi
leur Président de la République ! Depuis 1958, jamais on n'avait
relevé un tel apparent et brutal désintérêt. Cela ne peut avoir
qu'une seule signification : il n'y avait plus d'enjeu ! Il
suffisait
de « donner au président les moyens de gouverner ».
Placer les législatives immédiatement derrière les
présidentielles, c'est les minorer, les banaliser, les
« dépolitiser » en quelque sorte. L'hypothèse d'une
cohabitation était exclue. La page du sarkozisme devait être
tournée. Il faudra remédier à cette erreur constitutionnelle
commise par Lionel de Jospin qui aura conduit de trop nombreux
citoyens à abandonner leur responsabilité en s'en remettant, en
tout, au nouveau Président. Mais attention, il n'y aura pas
d'excuse
en cas d'échec. Terrible enjeu dans un contexte planétaire en
cours
de bouleversement.
2 - Le
présidentialisme français est de nouveau renforcé. Le
bipartisme est à peine tempéré par des entrées minuscules à
l'Assemblée nationale de représentants de familles politiques
pourtant non négligeables si l'on tient compte du nombre de
suffrages recueillis. Le mode de scrutin a renforcé cette césure
entre les petits partis et les deux grands. Le Parlement aura, du
coup, fatalement, pour fonction non de contrôler le gouvernement
mais de le soutenir en toutes circonstances. La majorité absolue
accordée au PS en fait l'unique décideur de la politique française
aux ordres d'un unique Chef de la majorité. La démocratie
parlementaire est de plus en plus atteinte dans son rôle
historique.
La monarchie constitutionnelle républicaine est, plus que jamais,
souveraine, en France.
3 – Des
personnalités de premier plan quittent la scène politique.
Quiconque a aspiré à la plus haute fonction de l'État ne retrouve
jamais, une fois battu, une place majeure et, progressivement, il
perd pied. Ce fut le cas de Valéry Giscard d'Estaing. C'est, à
présent celui de François Bayrou et de Ségolène Royal. Jack Lang
s'en va, lui, comme si le dernier symbole de la période
mittérandienne devait s'effacer. Parmi les anciens ministres de
Sarkozy, Nadine Morano et Claude Guéant, deux personnages qui ont
accompagné ses échecs et ses excès droitiers, n'entreront pas au
Parlement. Symbolique aussi la défaite de Michèle Alliot-Marie qui
fut, un moment, la honte de la France au plan international. Des
pages se tournent qu'il faudra relire, seulement pour mieux
comprendre l'histoire du pays, mais il n'y a aucun regret à avoir.
Dans cette élection décevante, y compris pour ceux qui se
réjouissent d'une part de ses résultats, quelques lumières
vacillantes éclairent encore une évolution inéluctable.
4 – Les
écologistes
ont gagné leur pari et perdu leur dignité. Embarqués
au-dessus de la vague rose, ils s'échouent au Parlement, avec le
désir de faire entendre une chanson qu'ils n'auront pas la force
d'entonner, même s'ils constituent un groupe parlementaire. Ils
resteront sous la coupe de leur puissant allié. Alliés au PS,
ils
ont plus d'élus que le Front de Gauche ! Ils feront un excellent
travail, n'en doutons pas, mais inutile politiquement car ils ne
modifieront pas les rapports de force. La mise sous tutelle de
l'écologie politique : on ne pouvait rien craindre de pire !
5
–
Le Front national pèsera, avec ses deux élus, plus qu'on ne
peut
croire. Peu ou prou, l'entrée au Parlement, malgré un
scrutin
majoritaire très défavorable, est une reconnaissance de la
présence
et de l'influence de ce mouvement politique dans le pays. Peu
importe
pour le FN de ne pas gouverner. Ce qui compte, pour lui, c'est
d'influencer l'ensemble des Français. En ce sens, le FN est un
véritable parti politique qui ne confond pas le pouvoir avec les
places où on l'exerce. Le danger est donc immense : le tribun
Collard aura une tribune et sa benjamine, Le Pen-Maréchal (ça ne
s'invente pas !) incarnera l'avenir. Nous n'avons pas fini de
payer
la confusion installée par Sarkozy entre la droite extrême et
l'extrême droite.
6
–
Le Front de Gauche, qu'on a eu le... front d'assimiler
avec le Front national (sous prétexte de populisme : les croquis
dévastateurs de Plantu associant Marine Le Pen et Jean-Luc
Mélenchon
auront été, pour une fois, bien plus que mal venus) perd
son pari. Il gagne des voix et n'aura pas même un groupe
parlementaire si le fonctionnement et le règlement de l'Assemblée
nationale ne sont pas modifiés ! On constate, là, une injustice,
un
dysfonctionnement et une leçon à tirer. L'injustice, elle est tout
entière dans l'absence, complète ou partielle de proportionnelle
en
France. Le dysfonctionnement, il est dans la façon dont les médias
confondent « les extrêmes » les petits-enfants ou
arrière petits-enfants du Front populaire, avec les petits-enfants
ou
arrière petits-enfants de la France vychiste, restée sans
République entre
1940 et 1945. La leçon, elle est pour Jean-Luc Mélenchon lui-même
; il s'est tout entier donné ; il est trop intelligent pour rester
longtemps dans le fossé où il s'est retrouvé poussé ; il vient
d'apprendre douloureusement deux choses qu'il n'oubliera pas :
d'une
part, on ne fait pas alliance avec ce qui reste du parti
communiste,
qui ne lâche jamais rien, sans en payer le prix fort et, d'autre
part, la gauche est à réinventer (elle sera anticapitaliste et
écologique ou ne sera pas).
7
–
La fin du centrisme est la fin d'une confusion pas la fin d'une
idée. On ne peut être à gauche et à droite, même si
l'on peut contester que droite et gauche deviennent des concepts
obsolètes. On ne peut vouloir une République démocratique et
soutenir l'économie de marché telle qu'elle s'est imposée ces
derniers temps. On verra vite que la gauche qui se retrouve « aux
affaires » n'est pas à gauche ou ne peut y rester parce que,
comme pour les Grecs, il faudra, un jour, s'incliner devant la
toute
puissance des banques et des marchés. François Bayrou, d'instinct,
a senti que droite et gauche parlementaires sont dans une même
impasse : il n'y a pas d'austérité sans autoritarisme ; il n'y
aura
pas de liberté maintenue sans Europe ; il n'y aura pas d'Europe
sans
l'abandon d'inégalités monstrueuses. Il a vu juste, mais il était
sans réponse ; on ne se fait pas élire dans un no man's land.
Reste
à éliminer les traces de cet entre deux, qui n'existe pas, mais
sans accepter que la société se coupe en deux. L'unité n'est pas
l'unicité. L'une est diverse. L'autre est totalitaire.
En
conclusion,
les législatives, par leur succès (elles ont révélé
ce qui est à transformer dans le fonctionnement de nos
institutions)
et leur échec (elles laissent les Français dubitatifs, sans
vouloir
autre que de se débarrasser de ce qu'ils ne supportent plus)
marquent la fin d'un temps politique. Ce qui va se passer, à
présent, n'est pas directement fonction de ce qui est sorti des
urnes. Des événements, encore imprévisibles mais déjà en
gestation, vont modifier des équilibres politiques que les
rapports
de force au sein des deux Chambres du Parlement ne pourront
fixer.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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