Il nous a semblé important de partager le texte d'alerte écrit par quatre, parmi les plus éminents chercheurs en virologie et en génétique.
Car, même si Albert
Einstein a dit : « Il est hélas devenu évident
aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité. », il
est vital, pour la survie de l'Homme, que la
recherche scientifique se fixe des limites.
Il faut se
mobiliser pour que les apprentis sorciers
et les sorciers jouant aux apprentis cessent de faire passer leurs
désirs de savoir avant la protection de leurs congénères.
Il faut que le principe de précaution que les
français ont fait figurer dans la Constitution ne soit pas un
concept inutile et vide de sens.
Il faut surtout que la recherche effrénée de la
croissance et du profit maximum n'entraine pas l'ensemble de
l'humanité vers une forme de suicide collectif.
Là aussi, il est urgent de changer de société.
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre
Dacheux
Pour le maintien du moratoire sur le virus H5N1
Le virus de la grippe aviaire H5N1 est, pour l'homme, l'un des
pathogènes les plus redoutables connus à ce jour. La mortalité
s'élève à 60% parmi les 600 cas rapportés. Au Royaume-Uni et au
Canada, il est considéré comme trop dangereux pour faire l'objet de
recherches en dehors de laboratoires de haute sécurité, nommés
BSL-4. Le virus est facilement transmissible chez les oiseaux, mais
n'est pas contagieux d'homme à homme. L'apparition d'une
transmissibilité interhumaine pourrait en revanche causer une
pandémie catastrophique qui pourrait décimer la population
mondiale.
C'est pourquoi il est très inquiétant que deux groupes de
chercheurs soient sur le point de reprendre leurs investigations pour
"voir ce qu'il faudrait" pour que le virus H5N1 devienne
transmissible chez l'homme comme le virus de la grippe saisonnière.
Quand, en décembre dernier, l'existence de ces expériences fut
connue, l'indignation fut telle que les deux équipes durent annoncer
un moratoire pour permettre à la communauté scientifique
internationale d'évaluer la légitimité éthique et les risques
sécuritaires de ces travaux.
Nombre de critiques n'ont pas trouvé de réponse, en particulier
sur le plan de la sécurité. Or, à la surprise générale, un des
dirigeants de NIH qui était jusqu'à récemment en faveur de la
poursuite du moratoire, et qui avait témoigné dans ce sens en avril
dernier devant le Sénat américain, a déclaré avec enthousiasme
qu'il était favorable à un consensus rapide pour la levée du
moratoire, et la reprise des recherches.
Pourquoi une telle précipitation?
Plusieurs scientifiques pensent que ce type de recherche force les
limites légitimes du questionnement scientifique. Certes, les
avancées dans la compréhension de la transmission des virus sont
très importantes, notamment pour la fabrication d'un meilleur
vaccin. La connaissance des mutations qui permettraient au virus H5N1
de devenir transmissible chez les mammifères est supposée être
utile au traçage du virus sauvage. Mais nous n'avons entendu aucune
argumentation réellement convaincante du bénéfice pour la société
- ni de la part de la direction de National Institute of Heath (NIH),
ni de la part des chercheurs qui ont conduit les travaux, ni de la
part des nombreux virologues qui, en privé, expriment beaucoup de
doute sur la valeur scientifique de ces études. Nombre de virologues
éminents sont d'avis que ce travail ne permettra pas de prédire une
pandémie, la nature étant infiniment plus ingénieuse quand il
s'agit de créer des hybrides.
Il est faux de penser que toute recherche est légitime. La
création d'un virus plus mortel que le virus sauvage présent dans
la nature tombe dans cette catégorie. Il y a toujours eu des
expériences considérées comme hors limites et que les
scientifiques civils ne font pas. Si les travaux en question avaient
été financés par les militaires, n'auraient-ils pas provoqué un
incident diplomatique avec questionnement aux plus hauts niveaux ?
N'est-ce pas la voie pour fabriquer une arme biologique ?
Pourquoi avoir autorisé et financé une telle recherche ? Parmi
les Institutions qui ont financé ces recherches, n'y a-t-il eu
personne pour considérer les implications éthiques liées à la
création d'un pathogène plus mortel que le virus naturel ?
Pourquoi s'apprêter à lever le moratoire alors que nombre de
scientifiques y restent encore opposés ?
Si on autorise la reprise de ces travaux dangereux, l'échappement
accidentel du virus H5N1 mutée paraît presque inévitable. En
effet, il est probable que de nombreux autres laboratoires voudront
s'engager dans cette voie, ce qui augmentera de manière
exponentielle le risque d'accident et d'échappement du virus.
En fait, il suffit de considérer le passé récent pour constater
la réalité de cette menace. Par exemple, la réémergence du virus
H1N1 en 1977 après un hiatus de 20 ans, à l'origine d'une épidémie
de "grippe russe", a pu être attribuée à un accident
survenu dans un laboratoire russe qui travaillait sur un vaccin
contre une forme atténuée de virus H1N1. Pas plus tard qu'il y a 2
mois, un jeune technicien de laboratoire a été contaminé par une
souche très virulente de Neisseria meningitidis, une bactérie
responsable de méningites et de septicémies. Le malheureux qui
travaillait sur un vaccin contre cette bactérie, mourut en moins de
48 heures. La rétrospective des contaminations de laboratoire n'est
pas non plus encourageante. Entre 1978 et 1999 - date du dernier
décompte - on dénombre 1200 contaminations accidentelles à partir
de laboratoires BSL-4 dans le monde. Vingt-deux ont été fatales.
Ainsi à partir des seuls laboratoires BSL-4, le rythme des
contaminations est de 57 par an. Et cela dans des laboratoires dits
de haute sécurité où les accidents sont supposés ne pas
survenir ! Depuis 1999, des chercheurs ont été tués par de
nombreux microbes, y compris le virus Ebola et celui du Syndrome
Respiratoire Aigu Sévère (SRAS).
Dans le scénario catastrophe où le virus viendrait à s'échapper
d'un laboratoire et à provoquer une épidémie localisée, voire une
pandémie, le NIH, l'Etat américain et les laboratoires porteraient
une très lourde responsabilité. Il serait aisé d'apporter la
preuve de la source de la contamination. Aucune compagnie d'assurance
n'accepterait de prendre en charge ce risque, et les citoyens.
Il
est de la responsabilité morale des scientifiques de s'interroger
sur la justification éthique et "l'intérêt social" de
conduire ces recherches. Le moratoire sur ce type de recherche sur
H5N1 doit être maintenu jusqu'à ce que la communauté scientifique
ait eu le temps d'établir des lignes de conduite reconnues par tous
les pays, ainsi qu'un consensus sur les conditions matérielles de la
poursuite des travaux. Ces recommandations doivent établir les
règles minimales de sécurité, et s'appuyer sur un mécanisme de
contrôle efficace qui doit être en place avant la levée du
moratoire. Parallèlement, une discussion plus large doit s'établir
avec les experts de tous les domaines des sciences humaines, et avec
le public sur l'opportunité de poursuivre des recherches
biomédicales dont le but est de créer des agents potentiellement
mortels pour l'homme, et sur les conséquences en cas de succès.
Pour obtenir un consensus international, il est indispensable
d'élargir le débat. Finalement, la levée prématurée du
moratoire, ainsi que le redémarrage des travaux donneront une image
désastreuse de la science. Les fondations caritatives, les mécènes
privés ainsi que les donateurs individuels, ne comprendront pas.
Bien que la proportion de recherche biologique "problématique"
ne représente qu'une infime partie, l'ensemble de la recherche
biomédicale en souffrira lourdement.
Signataires :
Pr. Patrick Berche, chef de service de microbiologie, Hôpital Necker-Enfants-Malades
Pr. François Bricaire, chef de service d'infectiologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière
Axel Kahn, généticien, Institut Cochin.
Simon Wain-Hobson, professeur de virologie à l'Institut Pasteur et membre fondateur de la Foundation for Vaccine Research.
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