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samedi 4 août 2012

Les limites de la science et des technologies


Il nous a semblé important de partager le texte d'alerte écrit par quatre, parmi les plus éminents chercheurs en virologie et en génétique.

Car, même si Albert Einstein a dit : « Il est hélas devenu évident aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité. », il est vital, pour la survie de l'Homme, que la recherche scientifique se fixe des limites.
Il faut se mobiliser pour que les apprentis sorciers et les sorciers jouant aux apprentis cessent de faire passer leurs désirs de savoir avant la protection de leurs congénères.
Il faut que le principe de précaution que les français ont fait figurer dans la Constitution ne soit pas un concept inutile et vide de sens.
Il faut surtout que la recherche effrénée de la croissance et du profit maximum n'entraine pas l'ensemble de l'humanité vers une forme de suicide collectif.
Là aussi, il est urgent de changer de société.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux



Pour le maintien du moratoire sur le virus H5N1


Le virus de la grippe aviaire H5N1 est, pour l'homme, l'un des pathogènes les plus redoutables connus à ce jour. La mortalité s'élève à 60% parmi les 600 cas rapportés. Au Royaume-Uni et au Canada, il est considéré comme trop dangereux pour faire l'objet de recherches en dehors de laboratoires de haute sécurité, nommés BSL-4. Le virus est facilement transmissible chez les oiseaux, mais n'est pas contagieux d'homme à homme. L'apparition d'une transmissibilité interhumaine pourrait en revanche causer une pandémie catastrophique qui pourrait décimer la population mondiale.
C'est pourquoi il est très inquiétant que deux groupes de chercheurs soient sur le point de reprendre leurs investigations pour "voir ce qu'il faudrait" pour que le virus H5N1 devienne transmissible chez l'homme comme le virus de la grippe saisonnière. Quand, en décembre dernier, l'existence de ces expériences fut connue, l'indignation fut telle que les deux équipes durent annoncer un moratoire pour permettre à la communauté scientifique internationale d'évaluer la légitimité éthique et les risques sécuritaires de ces travaux.
Nombre de critiques n'ont pas trouvé de réponse, en particulier sur le plan de la sécurité. Or, à la surprise générale, un des dirigeants de NIH qui était jusqu'à récemment en faveur de la poursuite du moratoire, et qui avait témoigné dans ce sens en avril dernier devant le Sénat américain, a déclaré avec enthousiasme qu'il était favorable à un consensus rapide pour la levée du moratoire, et la reprise des recherches.

Pourquoi une telle précipitation?
Plusieurs scientifiques pensent que ce type de recherche force les limites légitimes du questionnement scientifique. Certes, les avancées dans la compréhension de la transmission des virus sont très importantes, notamment pour la fabrication d'un meilleur vaccin. La connaissance des mutations qui permettraient au virus H5N1 de devenir transmissible chez les mammifères est supposée être utile au traçage du virus sauvage. Mais nous n'avons entendu aucune argumentation réellement convaincante du bénéfice pour la société - ni de la part de la direction de National Institute of Heath (NIH), ni de la part des chercheurs qui ont conduit les travaux, ni de la part des nombreux virologues qui, en privé, expriment beaucoup de doute sur la valeur scientifique de ces études. Nombre de virologues éminents sont d'avis que ce travail ne permettra pas de prédire une pandémie, la nature étant infiniment plus ingénieuse quand il s'agit de créer des hybrides.

Il est faux de penser que toute recherche est légitime. La création d'un virus plus mortel que le virus sauvage présent dans la nature tombe dans cette catégorie. Il y a toujours eu des expériences considérées comme hors limites et que les scientifiques civils ne font pas. Si les travaux en question avaient été financés par les militaires, n'auraient-ils pas provoqué un incident diplomatique avec questionnement aux plus hauts niveaux ? N'est-ce pas la voie pour fabriquer une arme biologique ? Pourquoi avoir autorisé et financé une telle recherche ? Parmi les Institutions qui ont financé ces recherches, n'y a-t-il eu personne pour considérer les implications éthiques liées à la création d'un pathogène plus mortel que le virus naturel ? Pourquoi s'apprêter à lever le moratoire alors que nombre de scientifiques y restent encore opposés ?
Si on autorise la reprise de ces travaux dangereux, l'échappement accidentel du virus H5N1 mutée paraît presque inévitable. En effet, il est probable que de nombreux autres laboratoires voudront s'engager dans cette voie, ce qui augmentera de manière exponentielle le risque d'accident et d'échappement du virus.
En fait, il suffit de considérer le passé récent pour constater la réalité de cette menace. Par exemple, la réémergence du virus H1N1 en 1977 après un hiatus de 20 ans, à l'origine d'une épidémie de "grippe russe", a pu être attribuée à un accident survenu dans un laboratoire russe qui travaillait sur un vaccin contre une forme atténuée de virus H1N1. Pas plus tard qu'il y a 2 mois, un jeune technicien de laboratoire a été contaminé par une souche très virulente de Neisseria meningitidis, une bactérie responsable de méningites et de septicémies. Le malheureux qui travaillait sur un vaccin contre cette bactérie, mourut en moins de 48 heures. La rétrospective des contaminations de laboratoire n'est pas non plus encourageante. Entre 1978 et 1999 - date du dernier décompte - on dénombre 1200 contaminations accidentelles à partir de laboratoires BSL-4 dans le monde. Vingt-deux ont été fatales. Ainsi à partir des seuls laboratoires BSL-4, le rythme des contaminations est de 57 par an. Et cela dans des laboratoires dits de haute sécurité où les accidents sont supposés ne pas survenir ! Depuis 1999, des chercheurs ont été tués par de nombreux microbes, y compris le virus Ebola et celui du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS).
Dans le scénario catastrophe où le virus viendrait à s'échapper d'un laboratoire et à provoquer une épidémie localisée, voire une pandémie, le NIH, l'Etat américain et les laboratoires porteraient une très lourde responsabilité. Il serait aisé d'apporter la preuve de la source de la contamination. Aucune compagnie d'assurance n'accepterait de prendre en charge ce risque, et les citoyens.

Il est de la responsabilité morale des scientifiques de s'interroger sur la justification éthique et "l'intérêt social" de conduire ces recherches. Le moratoire sur ce type de recherche sur H5N1 doit être maintenu jusqu'à ce que la communauté scientifique ait eu le temps d'établir des lignes de conduite reconnues par tous les pays, ainsi qu'un consensus sur les conditions matérielles de la poursuite des travaux. Ces recommandations doivent établir les règles minimales de sécurité, et s'appuyer sur un mécanisme de contrôle efficace qui doit être en place avant la levée du moratoire. Parallèlement, une discussion plus large doit s'établir avec les experts de tous les domaines des sciences humaines, et avec le public sur l'opportunité de poursuivre des recherches biomédicales dont le but est de créer des agents potentiellement mortels pour l'homme, et sur les conséquences en cas de succès. Pour obtenir un consensus international, il est indispensable d'élargir le débat. Finalement, la levée prématurée du moratoire, ainsi que le redémarrage des travaux donneront une image désastreuse de la science. Les fondations caritatives, les mécènes privés ainsi que les donateurs individuels, ne comprendront pas. Bien que la proportion de recherche biologique "problématique" ne représente qu'une infime partie, l'ensemble de la recherche biomédicale en souffrira lourdement.
Signataires :
Pr. Patrick Berche, chef de service de microbiologie, Hôpital Necker-Enfants-Malades
Pr. François Bricaire, chef de service d'infectiologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière
Axel Kahn, généticien, Institut Cochin.
Simon Wain-Hobson, professeur de virologie à l'Institut Pasteur et membre fondateur de la Foundation for Vaccine Research.

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