Les
législatives, inséparables des présidentielles
Le
point au 29 mai 2017. Note 72 à J-14 et J-21.
par
Jean-Pierre Dacheux
Nous
continuons d'analyser l'évolution de la situation politique. Aux
notes antérieures, datées, numérotées et modifiables,
s'ajouteront les suivantes jusqu'au 18 juin. La lecture complète du
résultat des présidentielles ne s'effectuera qu'après les
législatives. Fin juin 2017, nous regrouperons, en un seul et même
document, toutes ces notes, que nous voudrions utiles pour effectuer
cette activité politique chronologique.
On
peut « amuser la galerie » tant qu'on veut, « faire
du buzz », commenter plutôt qu'analyser, il n'en reste pas
moins que la situation politique se résume à une opposition entre
les libéraux, réunis dans toutes leurs diversités, et les autres :
« les partageux ». Les tenants de la mondialisation
libérale contre les tenants de la mondialisation solidaire en
quelque sorte. C'est brutal ! On se croirait revenu au temps de
« la lutte des classes », me dira-t-on. Eh bien oui, mais
il ne s'agit pas, cette fois, que de classes. Nous sommes plongés
dans un différend planétaire : l'avoir contre l'être.
1
- Quel que soit le résultat des législatives, deux conceptions du
monde et des relations entre les Terriens s'affronteront, et ce n'est
qu'un début.
Avoir
ou être ? L'antithèse posée par Erich Fromm n'est pas nouvelle.
Gabriel Marcel, dès 1935, dans une étude philosophique restée
célèbre, soulignait que « Plus nous nous identifions à
nos possessions, plus nous sommes en proie à une sorte d'esclavage
incompréhensible et intolérable ». Pour Erich Fromm, du
choix que l'humanité fera entre ces deux modes d'existence dépend
sa survie même.
Cf. Erich Fromm, Avoir ou être ? Un choix dont dépend l'avenir de l'homme ,éditions Poche, 1er mars 1996.
Cf. Gabriel Marcel, Être et avoir, éditions universitaires, Paris, 1935, réédité en 1991.
Cf. Erich Fromm, Avoir ou être ? Un choix dont dépend l'avenir de l'homme ,éditions Poche, 1er mars 1996.
Cf. Gabriel Marcel, Être et avoir, éditions universitaires, Paris, 1935, réédité en 1991.
Cette
simplification de l'affrontement politique a de quoi étonner. Nous
pensions que, la complexité des relations humaines, étendue à la
planète tout entière, nous éloignerait des bipolarisations mais
il n'en est rien. Quelle qu'en soit les formes, le rapport entre les
dominants et les dominés, entre les possédants et les « possédés »,
bref entre les riches et les pauvres, détermine, encore et toujours,
les conditions de vie des humains. Nous ne sommes ni égaux, ni
semblables, ni frères, ni voisins, ni prochains dès que ce qui est
en jeu est le pouvoir par conséquent
l'argent et la force.
Les
inégalités dépassent tout ce qu'on a connu et la loi du plus fort
régit les relations entre les peuples mais aussi au sein des
peuples. Bref, il y a conflit planétaire entre ceux qui ont et ceux
qui sont. Mon hypothèse est que « la révolte de Gaïa »
qui n'est pas une conscience de la Terre passant à l'action pour se
venger des blessures qu'on lui inflige, mais la résultante violente
des erreurs que nous avons commises, depuis que nous ne savons plus
contenir nos appétits de profits, relance notre prise de conscience
sous la pression d'un sentiment d'urgence. Il n'est plus que deux
voies possibles : celle qui tue, où nous sommes poussés
(posséder, s'enrichir et accumuler) et celle qui laisse ouvertes
les portes de la vie (partager, mettre en commun et donner).
C'est
sous cet éclairage qu'il faut se placer pour juger de la situation
électorale en France et ailleurs. Une minorité de possédants ne
peut maintenir sa domination ad vitam aeternam ! La démocratie
est un moyen ce n'est pas une fin. Elle peut être détournée et
elle l'est. Etienne de
la Boétie
l'a montré et l'a dit : « Soyez
donc résolus à ne plus servir et vous serez libres »
Le mode de scrutin, tant pour les législatives que pour les
présidentielles, est conçu de façon à convaincre les électeurs
de voter pour leurs tyrans ? Notre servitude est volontaire
parce que nous croyons que notre intérêt est de marcher dans les
pas du Prince. En 2007, Nicolas Sarkozy avait gagné la bataille
idéologique : en convaincant un majorité de Français que l'on
peut gagner plus en travaillant plus. On sait ce qu'il en est
advenu ! Emmanuel Macron est en passe d'user d'un autre
stratagème idéologique, tout aussi pervers : dépassons le
clivage gauche/droite, dit-il et nous réussirons tous ensemble. En
un mot comme en cent, ne croyons pas à la fable qui ferait passer
les loups pour des moutons ! Le toujours actuel La Fontaine
avait déjà prévenu dans la morale de sa fable Les
Loups et les Brebis
( Livre III, fable 13) :
La
paix est fort bonne de soi :
J'en conviens ; mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi ?
J'en conviens ; mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi ?
2
- Qui sont, de nos jours, « les ennemis sans foi » dont
parle La Fontaine
Un
ennemi n'est pas nécessairement un mauvais homme. C'est seulement le
contraire d'un ami. Il est celui qui ne peut vous aimer car il est,
de fait, votre rival. Ses intérêts ne sont pas les vôtres !
On ne peut « aimer son ennemi » que lorsqu'on est
persuadé que les divergences, une fois comprises et les buts
redéfinis, des convergences peuvent apparaître. L'histoire nous
enseigne que l'ennemi héréditaire
peut devenir un véritable ami.
L'opposition
entre les 1% les plus riches et les 99% des autres humains est
brutale. L'ONG Oxfam avait prédit que les 1% posséderaient plus que
le reste du monde en 2016. Cette prédiction s'est en fait réalisée
dès 2015, un an plus tôt ! « 62 personnes
possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population
mondiale », c'est-à-dire plus que 3,6 milliards d'individus sur la
planète. Elles étaient encore « 388 il y a cinq ans »,
affirme l'ONG. Même si la méthode de calcul peut être contestée,
elle va dans le même sens que d'autres, utilisant d'autres démarches
et qui montrent, elles aussi une concentration des richesses aux
mains d'un petit nombre. Qui ne trouve rien à redire à cela ou qui,
pire, le considère comme inévitable et « dans l'ordre des
choses », est un ennemi de l'humanité.
Là
est la césure, là est le clivage. Les siècles s'écoulent et il
n'est apporté aucun remède à cette injustice historique et qui va
s'aggravant. Nos ennemis sont, dès lors, ceux qui prospèrent dans
un monde fait pour eux. Ne perdons pas notre temps à les haïr.
C'est inefficace. Peu importe, dans ces conditions, les joutes
électorales, ce qui compte, c'est de savoir où l'on se place.
Voter, ensuite devient plus simple. Il suffit de ne pas se trahir
soi-même. Et si un choix n'est pas offert qui porte au moins une
partie de ce qu'on pense, et surtout qui échappe aux diverses
candidatures néo-libérales, il convient de s'abstenir ou de ne
utiliser des bulletins sans valeur.
3
– Les législatives sont elles, d'ores et déjà, bouclées et
« macronisées ?
Ce
serait à craindre si ... Si la France n'était pas la France,
c'est-à-dire le pays de l'incertitude et de l'imprévisibilité.
Tout est certes fait, dit, et mis en images pour donner à penser
que, législatives ou pas, « nous en avons pris pour cinq ans »
..., au moins. Après une période de calme et de silence, les
professionnels du conditionnement de l'opinion se sont remis au
travail. Et c'est reparti :
#
Pour quoi voter puisque Macron a gagné ? Les députés n'ont
qu'à lui donner de quoi agir !
#
Nous avons, enfin, un vrai Président « à poigne » :
on l'a vu, face à Trump ou Poutine.
#
Les Français sont légitimistes : La
République en marche ne
peut donc que l'emporter.
#
Sa victoire est sûre : 300 députés ou plus. Seule nous
manque l'ampleur de la majorité.
#
Les Républicains devraient limiter les dégâts avec150 sièges
environ.
#
À potentiel électoral égal, le FN et la France insoumise
auraient de 20 à 30 sièges ...
On
pourrait allonger la liste. Et pendant ce temps, du Louvre à
Versailles, Macron s'intronise ... Ne lui manque plus que le sacre en
la cathédrale de Reims ! La République royale a retrouvé
(pour combien de temps ?) son lustre et ses ors. C'est anachronique ?
Qu'importe. Il faut réussir le spectacle avant le 18 juin. Après on
avisera : qui a le pouvoir a les mains libres, croit-on.
Soyons
réalistes. Nos institutions auront permis que, sauf surprise, les
oppositions contradictoires (le Front National et la France
Insoumise) soient marginalisées. La République en Marche -
Modem et « Les Républicains » ( ces derniers
ayant la même philosophie politique libérale que le Président)
finiront par s'entendre. Ils disposeraient (si l'on suit les
sondeurs) de 300+150 = 450 députés sur 577, (la majorité absolue
se situant à 289 sièges ...). Aux autres les miettes ...
Faut-il
pour autant se résigner ou attendre du ciel ce qui ne sortirait pas
des urnes ? Sûrement pas ! Le renouvellement attendu (206
députés ne se représentent pas et 362 se représentent - sans être
tous certains d'être réélus) n'est pas négligeable et va
engendrer un temps d'adaptation voire des perturbations. Mais,
surtout, les questions posées à tout le pays, et pas au
gouvernement seul, ne vont pas disparaître. Au contraire, elles vont
ressurgir et la majorité néo-libérale « multi composante »,
n'est pas équipée pour les traiter. Les principales me semblent
être :
•
Le réchauffement climatique dont les productivistes du monde entier
n'ont cure (et pas seulement Donald Trump) ! L'accord de Paris
sans une volonté politique très forte est mal parti.
•
Le recul du nucléaire civil en période de fin de vie de plusieurs
centrales. Arrêter et démanteler Fessenheim ne suffit pas. Le rôle
du nucléaire en Europe, dans l'Union et hors d'elle (comme
le vote de la Suisse le révèle) n'est plus à considérer du
seul point de vue français.
•
De quelle Europe voulons-nous ? Le débat avorté des présidentielles
va reprendre. Une Europe dominée par l'Allemagne et la France,
n'ayant d'autre ambition que son avenir économique, perdra le
soutien des peuples qui la constituent. La citoyenneté européenne
est à repenser.
•
La France est désormais, en Europe, la seule puissance militaire
dotée de l'arme nucléaire. Au moment où l'ONU prépare un traité
d'interdiction des armes nucléaires, il est temps de sortir
l'Europe, donc la France, des zones nucléarisées. Les 9 États
dotés de la Bombe ne peuvent tenir l'avenir de la planète entre
leurs mains !
•
La réforme du droit du travail effectuée par ordonnances ne peut se
faire sans un abandon de notre modèle social mis en place à la
Libération. C'est ce que veut le patronat. C'est ce à quoi il faut
s'opposer et pas uniquement au Parlement !
•
Le recours aux scrutins proportionnels fait partie de notre
approbation du projet européen, tout comme l'abolition définitive
de la peine de mort. Ce ne sera pas une question de « dose »
mais d'effectivité. Il y va de la démocratie elle-même.
•
La venue de nouveaux arrivants, au péril de leurs vies, fuyant le
malheur, la guerre, la famine, ne peut plus être traitée comme une
gestion de flux migratoires. Les réfugiés nous montrent à quel
point s'est installé un désordre sans nom sur une planète qui peut
nourrir tous les Terriens. Les réfugiés climatiques vont augmenter
encore le nombre des familles en fuite.
Sans
en dire plus (on le pourrait !), on se rend compte que s'ouvre une
période politique déterminante où il ne s'agit pas seulement de
voter ! Habiter la Terre n'est plus la juxtaposition de
populations résidant dans des États-nations. Le monde dans lequel
nous sommes entrés, sans toujours l'avoir voulu, rend nos soucis
locaux secondaires, même s'ils sont restés, à nos yeux très
importants. Les législatives se situent dans ce contexte. Il faut y
prendre part pour tenter de freiner la dérive libérale, mais la
mutation de civilisation va bien au-delà. Et c'est, peut-être, la
grande utilité de la période électorale que traverse la France.
Nous avons à nous adapter à une réalité mondiale qui nous oblige
à sortir des fausses évidences dont se sont nourris et qu'ont
propagé les dirigeants politiques de notre pays depuis (cela
devient, historiquement de plus en plus flagrant) ... la guerre
d'Algérie.
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