Depuis des années, les
gouvernements successifs ont promis aux Français l'inversion de la
courbe du chômage. Pourtant, en novembre 2014, 27 400 nouveaux
demandeurs d'emploi se sont ajoutés aux listes de Pôle Emploi. Le
nombre total de chômeurs de catégorie A1
est, à ce jour, de 3 488 300, soit près de 10 % de la population
salariée avec, pour conséquence, une modification sensible de la
structure de l'emploi avec, notamment, une augmentation spectaculaire
des contrats à durée déterminée (CDD)2.
Nos dirigeants s'entêtent
à vouloir nous faire croire que seule la croissance économique nous
sortira de la spirale descendante et nous permettra de faire baisser
le chômage.
Il
est temps, comme le propose Serge Latouche de « renverser nos
manières de pensée »3.
Qu'est-ce que cette croissance, jugée un temps nécessaire, et qui
disparaîtrait, comme par malchance, entraînant nos sociétés dans
une régression estimée inévitable ? Entre l'austérité sans
croissance et « la prospérité sans croissance »4,
il faut choisir. La
mutation ne pourra s'opérer sans une rupture car plusieurs
analyses prouvent que le mythe de la croissance n'est qu'une
affabulation.
La
Loi d'Okun5,
à laquelle se réfèrent les économistes, établit une relation
entre le taux de croissance (calculé d'après le PIB) et la
variation du taux de chômage. Elle énonce qu'il faut une croissance
supérieure à 3%, en moyenne, pour faire baisser le chômage. Dans
notre pays, compte tenu des hausses de productivité, de la
démographie et de la baisse de la durée du travail, il faudrait que
la croissance du PIB soit supérieure à 1,9% pour que la courbe du
chômage s'inverse de manière durable. On est loin de cette
progression ... Le chômage est donc chronique et l'utopie du plein
emploi a bel et bien vécu.
Les
thuriféraires du capitalisme, inventeurs de la « crise
économique », ne veulent surtout pas du retour de la
croissance dont ils n'ont que faire pour maintenir et augmenter les
profits. Le niveau zéro de la croissance économique, qui engendre
un profond pessimisme, une désespérance en l'avenir et une
paralysie revendicative, permet d'asseoir la domination des
puissances d'argent sur l'ensemble de la société.
L'argument
de la crise sans fin sert d'alibi pour :
- faire pression sur les salaires,
- assécher les caisses d'assurances chômage, de la sécurité sociale et de l'assurance vieillesse pour les remplacer par des institutions privées génératrices de profits,
- détricoter les accords salariaux avec l'assentiment des gouvernants, (la future loi « Macron » en est l'exemple le plus caricatural, avec le retour sur les 35 heures, les attaques contre la justice prud’homale, l'affaiblissement des syndicats, etc …)
- remplacer la main d'œuvre humaine par des systèmes automatisés et des robots, (un robot ne se plaint jamais, travaille 24 h sur 24, ne prend jamais de vacances, n'attend pas d'enfants, ne tombe pas malade et ne fait jamais grève).
- faire croire, grâce à la servilité des médias qui appartiennent aux détenteurs du capital, qu'il n'y a pas d'alternatives.
L'absence
de croissance est donc devenu le plus sûr moyen, pour l’oligarchie
dominante, de continuer à s'enrichir sans scrupule et de manière
éhontée, à engendrer un nouveau prolétariat et à creuser un
abîme entre les classes. Car il s'agit bien, comme l'a dit Warren
Buffet6
dans une interview, d’une lutte des classes en précisant :
« c’est ma classe, les riches, qui a déclaré cette guerre et
c’est elle qui est en train de la remporter » !
Warren Buffet est bien présomptueux et trop sûr de son fait, car si sa classe est actuellement dominatrice, nous ne sommes pas, contrairement à l'affirmation de Francis Fukuyama, à la fin de l'histoire, si tant est qu'il y ait une fin à l'histoire !
Comme
toujours, au cours de cette histoire humaine, il est probable que le
vent tournera. On ne peut acculer continuellement l'homme à la
désespérance sans qu'il réagisse. Malheureusement, la révolution,
car s'en est une, peut se produire de manière très violente, et les
souffrances n'atteindront pas que les responsables de ce désastre
économique et humain.
1 Les
différentes catégories selon l'INSEE - http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/categor-demandes-emploi-anpe.htm
2 http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20140724trib000841494/76-le-nombre-d-embauches-en-cdd-a-explose-entre-2000-et-2012.html
3 Serge
Latouche, Renverser nos manières de penser, métanoïa pour le
temps présent, Mille et une
Nuits, 2014.
4 Tim
Jackson, Prospérité sans croissance, La transition vers une
économie durable,Bruxelles, De
Boeck, 2010.
5 http://www.andlil.com/la-loi-dokun-6078.html
6 En
2012, il est considéré comme le quatrième individu le plus riche
du monde.
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux