dimanche 31 octobre 2010

La réduction du temps de travail reste un droit humain


Nous reprenons, ici, la chronique parue dans Politis parce qu'elle pose bien deux questions totalement masquées dans l'actuel débat :

1 - Faut-il, oui ou non, que toutes les ressources de financement contribuent à la prise en charge des dépenses liées à la vie des hommes, de leur naissance à leur mort, dans l'équité et le partage, sans privilège pour quiconque ? Autrement dit le financement des retraites ne doit-il pas être rattaché au financement de toutes les activités humaines sans faire peser sur le salariat le principal effort ?

2 - Faut-il, oui ou non, que le travail humain soit modulé en fonction des forces physiques des individus afin que chacun puisse trouver place dans la société sans épuiser ses énergies vitales ? Autrement dit, est-ce que la diminution du temps de travail salarié ou contraint ne constitue pas un objectif de civilisation dans une société hautement technologisée, indépendamment de l'augmentation de la durée de la vie?


http://www.fnath.org/upload/image/Phototheque/divers/marteau_piqueur.jpg

Le dilemme des retraites en 8 chiffres

Chronique publiée dans Politis, n° 1124, 28 octobre 2010 par J M Harribey

Le hiatus devient insupportable. D’un côté, une mobilisation sociale qui, en six mois, a déjoué tous les plans du gouvernement, décortiqué une réforme des retraites aussi injuste que cynique et démenti la langue de bois médiatique dominante. De l’autre, une absence de réponse institutionnelle et politique face à une détermination obtuse d’un pouvoir qui joue son va-tout dans cette bataille.

L’unité syndicale construite par les confédérations et l’unité citoyenne autour de l’appel « Attac-Copernic » ont remis le débat sur les retraites sur les bons rails. Le financement des retraites est une question de répartition des revenus engendrés par le travail. Dès lors que la proportion de personnes âgées dans la population augmente, il faut accroître parallèlement les cotisations sociales. Celles-ci, toutes branches réunies, s’élèvent à 395 milliards d’euros, soit 39 % des 1005 milliards de la masse salariale (INSEE, TEE 2009). De même que tous les revenus devraient être imposés de façon égale, ils devraient cotiser au même taux. Pour donner une idée, les ménages ont reçu 130 milliards nets de revenus de la propriété (dividendes, intérêts, revenus des assurés) en 2009 ; en faisant cotiser ces revenus dans la même proportion que les salaires, 50 milliards seraient réunis, bien plus que tous les déficits sociaux, et notamment plus que les 32 milliards de déficit de tous les régimes de retraite prévus pour 2010. Ce prélèvement représenterait 2,5 % du PIB, à comparer avec le détournement dont a bénéficié le capital aux dépens du travail : 5 % si on se réfère à 1973.

Mais si 70 % de la population désapprouve la réforme de Sarkozy, c’est aussi parce qu’il n’y a aucune loi naturelle qui condamnerait les humains à travailler toujours davantage. Le gouvernement a lui-même désigné les fondamentaux de son projet : reculer l’âge de la retraite et augmenter la durée de cotisation, jusqu’au moment où la santé des individus commencera à décliner (63 ans pour les hommes, 64 pour les femmes) et les aura rendus inemployables. Or, la réduction du temps de travail à l’échelle de la vie s’inscrit dans la continuité de l’histoire ouvrière pour arracher un temps libéré de l’exploitation et de la domination. On comprend mieux l’hostilité irréductible de la bourgeoisie depuis deux siècles à la RTT sous toutes ses formes, sauf celle de la mise au chômage total ou partiel.

Derrière la place et le sens du travail se profilent les finalités de la production, c’est-à-dire le mode de développement humain à promouvoir. Le versement des pensions ne peut provenir que d’une répartition de la productivité ; raison de plus d’en penser un contenu qui soit soutenable pour une société solidaire et écologique.

En contradiction avec le bourrage de crâne néo-libéral, ces enjeux apparaissent progressivement à la majorité de la population et notamment aux jeunes qui ont bien saisi qu’on leur promet la galère au travail et la retraite aux calendes grecques. Que manque-t-il pour transformer cette avancée sur le plan des idées en victoire politique ? Des perspectives stratégiques qui posent ouvertement la question institutionnelle et politique, c’est-à-dire celle du pouvoir. Tant dans la plupart des syndicats que des partis des gauches, la question est évitée parce qu’elle supposerait de mettre en débat un modèle social alternatif et les alliances sociales et politiques à construire.

Au moment où j’écris ceci, il ne reste que deux issues : la défaite ou un saut qualitatif de la mobilisation pour paralyser l’économie jusqu’à ce que le gouvernement cède. Pour rendre possible la seconde issue, n’est-il pas temps de constituer un Front populaire de transformation sociale qui allie toutes les forces engagées dans cette bataille ? La retraite catalyse autour d’elle le refus de trois décennies de dégradations sociales. À crise globale, réponse globale, c’est-à-dire à la conscience sociale des classes populaires doit correspondre d'urgence une traduction politique à la hauteur de l’enjeu : jeter le capital hors de la protection sociale, des services publics et du bien commun, afin d’amorcer un processus de transformation ouvrant la voie vers un dépassement du capitalisme.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran


jeudi 28 octobre 2010

Alternative politique

Le changement dont nous avons besoin ne peut être le résultat d'une simple alternance. Autrement dit, la possible défaite électorale de Nicolas Sarkozy, de plus en plus impopulaire, ne saurait suffire, en 2012. Son remplacement par DSK (un cauchemar !) ou par Martine Aubry (un moindre mal !) ne ferait que retarder les réformes, les vraies réformes, sans lesquelles la France s'enfoncerait dans la médiocrité.

À en juger par l'évolution des "gouvernances" en Europe, un consensus se construit, en effet, sur la nécessité de recourir à plus brutale des austérités (1). Une austérité que les États sont chargés de mettre en œuvre soit disant pour relancer la compétitivité des entreprises, la dynamique économique, bref la croissance.

On aurait tort de penser qu'il s'agit d'une simple purge qu'on imposerait aux classes laborieuses par volonté des riches de faire rendre gorge aux humbles afin d'augmenter encore les profits des actionnaires. En réalité, il s'agit de la très mauvaise réponse donnée à une véritable gageure : le recul des possibilités de produire davantage dans un monde saturé. L'Europe est entrée dans une période où elle n'est plus compétitive face à ses concurrents au sein de la mondialisation. Chaque pays occidental semble devenir un État en voie de sous-développement. Afin de maintenir pour les actionnaires les mêmes niveaux de rémunération, il faut réduire les salaires, diminuer les prestations sociales, supprimer des subventions, détruire ce qui reste de l'État-providence. Par refus farouche du partage, on concentre les efforts à faire sur les plus faibles, ceux qui, croit-on, n'auront pas les moyens de protester longtemps contre les mesures qui les frappent. Maggy Thatcher (2) est revenue et triomphe en Europe.



Les USA avaient pris une longueur d'avance sur l'Europe, après l'énorme choc de la crise financière, en élisant un symbole même du changement : Barack Obama. La réalité a vite rattrapé le nouveau Président des États-Unis qui risque, à présent, de perdre ses soutiens donc les élections, dès lors que les causes de la misère de masse, qu'il dénonçait, n'ont pu être traitées. Aucun chef d'État, du reste, n'est en mesure de résister, en occident, à la pression idéologique et politique exercée par les grands détenteurs du pouvoir économique, ceux à qui l'on n'a rien à refuser parce qu'ils ont la maîtrise absolue du fonctionnement et du financement des entreprises.

L'alternative politique ne peut être qu'une alternative économique doublée d'une alternative culturelle. Il ne s'agit de rien d'autre que d'un renversement idéologique, d'une révolution beaucoup plus radicale que ces révolutions violentes qui ne changent que le personnel politique sans changer la nature même du pouvoir. "Vaste programme" eut dit De Gaulle !

La cécité du gouvernement français actuel qui ne veut pas voir que le pays l'abandonne, le cynisme des gouvernants européens, qui font assaut de propositions toujours plus drastiques et donc impopulaires crée une situation qui multiplie et continuera à multiplier les conflits sociaux.

La quadrature du cercle, en politique, consiste à faire accepter par le peuple, et à lui faire demander (!) ce qui produit sa souffrance. Il est de très nombreux politiciens pour qui cette éventualité devient une évidence, dès lors qu'ils ne peuvent former aucune autre hypothèse.



Là commence l'alternative politique. Former d'autres hypothèses puisque le monde où nous vivons n'est pas celui où l'on prétend nous faire vivre. Et cela commence par quelques affirmations fortes et en particulier celles-ci, fort anciennes mais jamais prises en compte :

• un pays qui se dit démocratique ne l'est pas s'il se laisse gouverner par un autocrate.
• les institutions sont à changer avant de changer les élus : les causes précèdent les effets.
• tout socialisme ou communisme n'est qu'un leurre s'il n'est fondé sur le plus large partage.
• vivre sans limites dans un monde limité conduit inévitablement dans une impasse planétaire.
• la représentation fait de l'élu non le substitut du peuple mais son exécutant.
• tout cumul de mandat dans l'espace ou dans le temps est une injure à la démocratie.
• produire plus ne garantit pas de vivre mieux et le contraire se peut : vivre mieux avec moins.
• aurait-il raison, celui qui prétend faire le bonheur d'un peuple malgré lui est un criminel.
• le travail nécessaire n'est pas principalement dans l'activité salariée mais dans le service public.
• la civilisation consiste à ne contraindre personne à vivre sous la domination d'autrui.
• l'économie fondée sur le profit oblige à exploiter, ici ou ailleurs, une partie de l'humanité.
• un peuple est volontairement asservi s'il tolère son exploitation et ne saurait alors se plaindre.
Etc...

On peut allonger, ainsi, la liste des principes, aussi connus que méprisés, sans lesquels la République s'effondre pour ne laisser apparaître que sa caricature. Afficher l'image en taille réelleL'alternative politique n'est donc pas approchée par des hypothèses savantes mais par des hypothèses expérimentales. C'est la volonté politique sur laquelle il convient de travailler auprès des citoyens et non des élites politiciennes. Elle consiste, pour commencer, à apprendre comment désobéir à l'injuste. La démocratie véritable, l'organisation politique dans laquelle les privilèges sont abolis, peut s'ensuivre alors. Avec la "fin de la partie", comme dit le premier ministre, maintenant que le Parlement a voté, comme l'entendait le gouvernement, toute une série de lois injustes, débute l'action citoyenne par quoi, comme le disait Rousseau, s'exprime le souverain.


(1) - Déclaration du FMI du 30 juillet 2010, dont DSK est le Président : Les pays développés avec des déficits publics élevés doivent commencer dès aujourd'hui à préparer leurs opinions publiques aux mesures d'austérités qui seront nécessaires à partir de l'an prochain, des "efforts supplémentaires" doivent notamment porter sur la mise en oeuvre de la réforme des retraites, une limitation plus forte des dépenses de sécurité sociale et de santé ainsi que sur un encadrement "strict" des dépenses des collectivités locales. Parallèlement, le FMI conseille au gouvernement français de renforcer ses recettes fiscales et juge "important d'élargir les bases de la TVA et de l'impôt sur les sociétés",

(2) -
"There is no alternative" est devenue l'une de ses phrases les plus célèbres, un concept qui est même devenu un acronyme : TINA. Ce syndrome TINA - Il n'y a pas d'autre alternative - vient d'être repris par F. Fillon lors du débat sur les retraites.


Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran


samedi 23 octobre 2010

Rancœur ?


Où est passé le socialisme de Jaurès ?


Comment sortir du bras de fer engagé entre le gouvernement Sarkozy et une partie des classes populaires qui ne veulent pas entendre parler de sa réforme des retraites et, au delà, de sa politique inégalitaire, injuste et xénophobe.


On se croirait revenu en 1968 quand le pouvoir était exécré par une majorité de la population sans que l’opposition d’alors ne soit prête à ramasser ce pouvoir qui, pendant quelques semaines, était en lambeaux. L’élection d’après révolution donna une majorité trop confortable au Général de Gaulle qui trébucha moins d’un an plus tard.


L’histoire ne se renouvelle pas dit-on.


C’est vrai, des années de socialisme sont passées par là, enfin, plutôt deux ans de socialisme, de 1981 à 1983, puis, ensuite, une lente dérive vers une société libérale-socialiste, à tendance économie de marché qui, dans ses actes, commença à privilégier le monde financier, ouvrant un boulevard à la droite décomplexée d’aujourd’hui.


Dans le conflit présent, les sondages ne sont pas défavorables à la gauche mais, où est le pouvoir de gauche, capable de créer l’alternative ?


Le parti socialiste, en retard d’une bataille, n'a toujours pas élaboré de projet avec une position claire sur les retraites, sur les questions de sécurité et d'immigration et il n’est plus porteur d'idéal.


Cette droite décomplexée a compris notre époque consommatrice et individualiste. Elle s'est associée au grand capital national et international, aux chefs d'entreprise, comme aux médias, pour promouvoir une société de défense des intérêts de court terme, réduisant le contrôle de l'État et les services publics, méprisant la culture et la pensée, prêchant pour une idéologie de la réussite individuelle, cherchant à soumettre l’opposition et contournant la démocratie, en un mot une droite populiste.

Nous sommes arrivés à la réalisation de la prophétie d’Alexis de Tocqueville qui, dans De la démocratie en Amérique, décrit une nouvelle forme de domination qui transformerait les citoyens qui se sont battus pour la liberté en "une foule innombrable d'hommes semblables (…) qui tournent sans repos pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, (…) où chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée des autres".


La clef du système, l’unique postulat de l’époque est de consommer.


Cette droite décomplexée, appelant à gagner toujours plus d'argent, défendant les petits propriétaires, décrétant désuètes les idées d'égalité et de solidarité, méfiante et violente envers les pauvres et les immigrés, semble plus proche des intérêts immédiats des « gens ».


Face à cette droite-là, la gauche semble n'avoir rien compris au véritable bouleversement de la société. Défendre les idées de justice, de solidarité, d'aide aux démunis et se préoccuper du long terme et de l'avenir de la planète apparaît, aujourd'hui, comme une attitude contraire à l'intérêt égoïste du court terme. Elle a laissé les ouvriers et les salariés sans défense et l'on n'y trouve plus rien des partis populaires. Elle s’est reniée en flirtant avec l’économie de marché et le capitalisme. Elle a gaspillé son patrimoine, pourtant très important.


L’occident moderne lui devait pourtant, au prix de luttes souvent dramatiques : les droits des travailleurs, la liberté d'association, les libertés publiques, les congés payés, l'assurance-maladie, les retraites, l'enseignement obligatoire, la laïcité républicaine, le suffrage universel, les droits des femmes, les services publics, l'égalité devant la loi, etc.


Unis, les petits ne se font plus dévorer par les gros.


Mais, depuis des années, elle ne sait plus où elle est et elle n'a rien proposé de neuf. Elle s'est contentée de pitoyables querelles de pouvoirs entre petits nobliaux et de répéter ses formules archaïques toutes faites en remettant toujours à demain sa reconstruction.


Dénoncer les excès du marché et mettre un coup d’arrêt au capitalisme financier. Recréer des services publics forts. Protéger la laïcité des ingérences religieuses. Assurer durablement et sans faiblesse la sureté des citoyens. Inciter à l'émancipation de chaque individu sans oublier personne, en supprimant les inégalités sociales par l'entraide et le partage.


"Faire du socialisme", voilà l’attente de beaucoup de citoyens et le challenge, et elle est simple. Mais, que sont devenus entraide et partage, ces mots de gauche, ces gros mots qui n’ont plus court ? Il est temps, comme disait Jaurès de "rallumer tous les soleils" !




A lire : Raffaele Simone, Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ? " Le Débat ", Gallimard.
Jean Jaurès, Rallumer tous les soleils, Paris, Omnibus,
réédition 2006.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

jeudi 21 octobre 2010

Rien ne se passe sans casse

Elle est bientôt finie cette nuit du Fouquet’s ?
dit le Peuple
...

Les frelons ne sucent pas le sang des aigles
mais pillent les ruches des abeilles
Shakespeare


"Puisque nous sommes dans la merde, foutons la merde" entend-on dire, par ces jeunes enragés qui n'en peuvent plus de survivre sans savoir ce qui les attend. Les "jeunes " (et les moins jeunes !) qui, dans les banlieues de nos villes, ne connaissent que l'inaction, le chômage et la méfiance, naviguent entre la révolte et les trafics, au risque de sombrer dans la délinquance.

La délinquance met tout un environnement en péril et pourtant, c'est là le résultat qu'obtiennent les pouvoirs publics quand ils n'offrent, à cette population en déshérence, que l'abandon, le mépris et la brutalité. Mais les casseurs ne font rien casser du tout ! Ils vivent une colère sans but. Ils contribuent à l'événement mais ne le créent pas.

Pour que ça casse, et il faudra que ça casse si l'on veut que le système obsolète et générateur de violences soit remplacé, on ne peut surtout pas compter sur les casseurs. Le régime a de quoi résister à toutes les hordes de casseurs. Ce qui peut le briser, c'est le poids d'une collectivité nombreuse, très décidée et que rien ne décourage.

La colère populaire grandit jour après jour. Mieux vaut qu'elle couve lentement. L'oiseau qui sort du nid s'est tenu longuement au chaud avant de s'envoler. Ensuite, rien ne permet de le rattraper. Mais colère n'égale pas violence. La colère, patiente, déterminée, va plus loin. Elle est, de fait, plus radicale. Elle ne s'en prend pas aux personnes mais aux causes.

Depuis le référendum de 2005, le peuple a un compte à régler d'abord avec tous ceux, partis et médias, qui ont semé de fausses évidences et taxé les électeurs d'incultes, parce qu'ils votaient mal, et ensuite, avec le Chef de l'État qui a imposé au pays les décisions qu'il avait repoussées. À présent, il ne s'agit plus des institutions européennes (encore que...), mais il s'agit de savoir si un gouvernement, quel qu'il soit, peut "faire le bonheur" du peuple contre lui. Cela finit, un jour, dans une impasse et nous vivons ce passage de la résignation à la détermination infrangible.

Le mouvement social actuel, et ses défilés, manifestent une volonté impressionnante. Tout se passe comme si les opposants aux contre-réformes (car il n'y en a pas qu'une !) avaient le temps. Ils sont entrés dans un champ de luttes dont ils ne sortiront pas sans résultat. Même momentanément et apparemment défaits, ils conserveraient un ressentiment dont les effets seront ravageurs, dans les mois et années à venir.

La "connectivité" dans la collectivité s'est emparée de la communication. Radios, télés et presse écrite ne sont plus déterminantes. L'information circule aussi par d'autres vecteurs. Les plus dynamiques des citoyens ont appris à se servir d'outils nouveaux qui les mobilisent vite.

Alors, oui, ça va casser. Pas comme en 1830, pas comme en 1870, ni même 1968, pas davantage sous le choc des casseurs, désespérés ou avides de jouir de ce dont ils sont privés ! Non, ça va casser comme une branche sous le poids de la neige ! Comme un arbre sous la charge de la glace, ça va casser ! La pesée de l'opinion, dès qu'elle est éclairée, dès que les Lumières l'éblouissent, est trop lourde pour que les structures d'un pouvoir, déjà vacillant, y résistent. Et nous irons bien au-delà du débat sur les retraites...

On a de tout avec de l’argent,
hormis des mœurs et des citoyens.
Jean-Jacques Rousseau


C'est le "théâtre du Soleil" qui est dans la rue, cite les maîtres de la pensée et fait admirer la justice sans majuscule, la vraie.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

samedi 16 octobre 2010

Jeunesse, jeunesse quand tu nous tiens.

http://www.lexpress.fr/pictures/76/39190_des-centaines-de-lyceens-manifestent-contre-la-reforme-des-retraites-le-7-octobre-2010-a-toulouse.jpg

La jeunesse est dans la rue.
Sarkozy n'est pas foutu.

La "jeunesse" existe-t-elle en elle-même, du reste, ou n'est-t-elle que notre propre humanité en son temps de plein épanouissement ? Les jeunes sont des vieux en puissance et sont bien fondés à s'intéresser à tous les âges de l'existence.

Ce serait trop simple ! Et du reste injuste ! Encore une fois Sarkozy est le symbole d'une politique. Il ne suffirait pas qu'il recule, voire qu'il s'efface, pour que la politique qu'il sert disparaisse. Et puis, une fois encore, dépersonnalisons la vie politique. C'est le mal profond de la société française, enfermée dans des institutions structurellement antidémocratiques.

Ce qui mérite l'attention, c'est la signification politique de l'émergence des jeunes dans le débat public. Il ne s'agit nullement d'un engagement politicien. Ce n'est jamais le cas quand la jeunesse manifeste. C'est, le plus souvent, l'expression angoissée de ceux qui ne voient plus de quoi leur avenir sera fait. Le feu couve des années durant puis, tout à coup, il jaillit.

Car il y a motifs à s'inquiéter quand on a de 15 à 25 ans ! Travail incertain, formation ou pas, voire impossible dans certains quartiers des villes, logement trop cher et manquant, tant pour les étudiants que pour les jeunes ménages, menaces écologiques auxquelles les jeunes sont beaucoup plus sensibles que leurs ainés, absence d'alternative politique heureuse. Bref, horizon bouché ! Pour sortir de cette incertitude, de cette impasse ou de cette désespérance pour certains, il faut bouger et parfois même avant de savoir comment et avec qui bouger ! Le pire étant, un matin, de continuer à laisser faire, de se résigner.

Les adultes ne peuvent ni donner des leçons aux jeunes, ni passer à côté d'eux. Comprendre est le plus difficile et le plus nécessaire. Le tumulte sans violence, voire la violence, elle-même c'est de l'énergie incomprimable, et rien n'est plus urgent que d'en rechercher les causes secrètes. Les causes évidentes sont connues : nous les citons plus haut. Les causes secrètes appartiennent au mystère de l'évolution des sociétés humaines et, on l'a vu en maintes circonstances, les organisations, enfermées dans leurs convictions et leurs savoirs, ne les voient pas toutes venir. Ce fut flagrant en mai 1968 ou en 1995, mais jamais de tels événements ne se répètent. Ils prennent d'autres formes.

Ce qui nous semble préoccupant, c'est que les motivations, au sein de la jeunesse, convergent mais ne sont pas du tout les mêmes. Entre ne savoir quel sera son avenir et savoir qu'on n'a aucun avenir devant soi, il y a un abîme. Se retrouver au fond du trou et avoir peur d'y tomber ne conduit pas aux mêmes actions et réactions. Les uns protestent véhémentement. D'autres cassent désespérément.

Depuis des années, après ce qu'on a appelé "les émeutes des banlieues", on a attendu des réponses de la société politique. En vain. La répression seule n'a jamais permis de contenir une rage, une "haine", une colère, souvent justifiées, bien qu'inacceptables dans leurs effets sur les voisinages innocents, eux-mêmes touchés par la précarité permanente.

Il y a risque de voir atteinte "la masse critique" et pas seulement par le nombre des manifestants jeunes, mais par le rapprochement d'énergies pas toujours orientées dans le même sens. La police et les autorités politiques en prennent conscience. La décision du préfet de Paris d'inviter à ne pas faire usage du flashball en est le signe. On ne réprime pas les jeunes en masse comme les jeunes en groupes dispersés. Quant discriminer entre les lycéens et les "casseurs" comme on dit, vient un moment où cela devient très difficile.



Oui, les jeunes nous tiennent parce qu'ils obligent à prendre en compte la revendication supplémentaire, la revendication des revendications : "que faites-vous de nos vies ? Sortez-nous de là ! Cessez de supporter qu'on ait moins de perspectives d'avenir que vous ! La retraite c'est l'aboutissement de toute une vie; ce n'est pas la fin du processus d'emploi qu'il faut regarder, c'est ce qu'est, ce que sera le travail, tout au long de nos existences." Tout est dit. Et une fois encore, les jeunes se mêlent de ce qui les regarde au premier chef.

Toute autre tentative d'explication, qu'elle vienne de droite (les jeunes sont "instrumentalisés), ou qu'elle vienne ... d'ailleurs (attention aux casseurs) ne rend pas compte de ce qui motive et les justes revendications et les excès. Pour "casser la casse" et faire face aux désespoirs, ce n'est pas par la brutalité policière qu'on y parviendra mais par une justice tout autre que la Justice des tribunaux.

Sauf à entrer dans une société du partage effectif, nous n'échapperions pas à une violence que nourrirait la dynamique des jeunes générations.

http://www.philippetastet.com/contenu/ados/crs-contre-lyceens.jpg

vendredi 15 octobre 2010

Les deux France



Non, il n'y a pas une France de gauche et une France de droite. Il n'y a pas deux forces électoralement aux prises. Il n'y a pas le clan Sarkozy-Coppé contre le clan Aubry-DSK. Les médias nous le font accroire mais, comme en 2005, au moment du référendum, avec tous les porte-parole des principales organisations politiques, ils radotent et chantent sur des rythmes et avec un accompagnement instrumental différent, la même chanson. Il n'y aurait rien d'autre à faire que de tenir compte de ce que les économistes nous disent : sans croissance pas d'emplois, sans emploi pas de revenus, etc... Bla-bla-bla, Bla-bla-bla...

Les manifestants, dont le nombre augmente à chaque fois, sont en dehors de cet affrontement-là. Eux s'en tiennent à un constat : il y a la France des privilégiés face à la France des travailleurs de moins en moins protégés. Ce n'est même pas la France des riches contre la France des pauvres. C'est la France qui profite contre la France qui subit, structurellement. Et donc la France qui n'arrive plus à faire fonctionner son économie comme auparavant fait subir aux sans pouvoir les conséquences de cette entrée progressive dans la voie d'un sous-développement pour n'avoir pas à les faire supporter aussi par les dirigeants des entreprises, de la finance et des institutions aux ordres.

Est-ce là une analyse "gauchiste" ? Ah si une gauche radicale pouvait relayer une gauche défaillante comme on aurait plaisir à la suivre ! Mais non seulement il ne faut jamais suivre personne et aller son chemin librement, mais encore les chemins de l'ultra gauche sont encore, assez souvent, de vieilles sentes embroussaillées où les panneaux indicateurs n'indiquent qu'une direction : "Y a qu'à". La réalité est autrement complexe.



Non, les deux France sont des entités culturelles assises sur des positions de classe. "Je lutte des classes" arborent les manifestants. Et de rechanter l'Internationale... Sauf que nous ne sommes plus en 1936, en 1945 ou en 1968. La nécessité de la lutte ne s'accompagne pas de l'espoir d'une alternative politique porteuse des idéaux des salariés. DSK plutôt que Sarkozy ? Non merci.

L'affrontement politique est bien radical mais pas d'abord partisan. C'est en cela qu'il est culturel. Dans quel monde allons-nous vivre ? "Le même" disent les profiteurs. "Un monde meilleur" disent les rêveurs et les menteurs sans dire lequel. Débat de mots avant le débat de coups, comme dans toutes les querelles sans fin. Les écologistes, de nouveau silencieux et spectateurs, comptent ces coups avant même qu'on ait commencé à les distribuer.

La crise ou les crises sont cachées mais sous-jacentes et elles reviendront. La lutte des nantis contre les dépourvus n'est pas nationale. L'analyse de la situation économique mondiale est faite. Les effets locaux de ce bouleversement non maîtrisé, et seulement contenu, pour le moment, se font sentir partout. La France est bloquée entre deux solutions : celle de ceux qui pensent impossible de sortir du système (et le PS, l'UMP, comme une parti des écologistes s'y tiennent, différemment, mais s'y tiennent) et celle de ceux qui pensent indispensable de sortir du système (sans savoir comment s'y prendre, soit par référence à des idéologies révolues, soit parce que ce qu'il faut faire n'est l'application d'aucune doctrine).

Merveilleuse et terrifiante entrée dans le siècle ! Merveilleuse parce qu'enfin il y du neuf à faire. Terrifiante parce que l'urgence d'avoir à sortir des vieilles routes est là, mais pas encore les repères pour emprunter de nouveaux chemins, tracés ou non. Le conflit social sur les retraites s'alourdit, tâtonne, se cherche parce qu'on a fait le pas en avant qui ne permet plus de revenir en arrière, mais pour aller où ? Il faut marcher et défiler, sans perdre de vue, certes, la République, en passant toujours par la Bastille où l'on repense, chaque fois, à faire choir les privilèges.



Nous voici condamnés à inventer une solution qui n'apparait nulle part, sous peine de retomber dans le marasme sarkozien (qui n'est jamais que l'application d'une politique économique implacable qui ne se cache plus !)

Comment sortir de l'épure, du convenu, du modèle passé, sans abandonner ce que l'histoire du peuple nous a enseigné, mais sans chercher à renouveler ce qui ne sera plus ? Le Gouvernement compte sur cette incertitude fondamentale pour ne rien céder.

La France est un vieux pays légitimiste et conformiste en même temps que le pays des droits de l'homme et de la créativité politique. Ces deux France ne se feront aucun cadeau. L'une des deux va plier mais laquelle ? La fin du conflit laissera des traces bien au-delà de nos frontières de plus en plus transparentes.

À notre modeste place, nous cherchons un chemin de justice et de respect du droit à vivre dans la dignité et la paix, pour tout homme, ici et ailleurs. Nous savons que cela ne se peut plus dans le système capitaliste. Nous voici bien avancés ! Ce n'est pas une raison pour subir. De la convergence des pensées libres, des acteurs libres, voulant échapper à la servitude, il sort toujours une force et jaillit une lumière, avec ou sans douleurs. Nous ne "voulons" pas le croire. Nous le savons. Il en fut toujours ainsi dans l'histoire de l'humanité.

Pour cette enfance qui interroge l'avenir...

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran





mercredi 13 octobre 2010

Stéphane Hessel antisémite ?

Stéphane Hessel est né à Berlin en 1917 et a des origines juives. Arrêté par la Gestapo pour ses activités dans la Résistance, il a été déporté à Buchenwald. Au nom de la France, il a occupé divers postes diplomatiques. Secrétaire de René Cassin, il participa à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l'ONU en 1948. Il a été ambassadeur de la France en Israël. Il est engagé pour les droits des Palestiniens et pour la paix, tout en respectant la légitimité d'Israël.



Stéphane Hessel risque, à 93 ans, de connaître l'humiliation d'une condamnation pour "incitation à la haine raciale" à cause des fanatiques du Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNCVA) qui ont porté plainte contre lui, suite à son soutien à la campagne BDS (boycott des produits d'Israël). Le BNVCA ( dont le président a été décoré de la Légion d'Honneur, cet été, par Brice Hortefeux...) prétend avoir déposé 80 plaintes en France, contre des gens qui participent à cette campagne "BDS".

Il s'agit d'actions d'infos aux consommateurs, les incitant à ne pas acheter des "produits non-éthiques" israéliens (preuves matérielles et jugement commercial européen à l'appui : il s'agit de produits issus des illégales colonies israéliennes, marqués "made in Israël", mais provenant, en réalité, de ce que le Droit international nomme "Territoires palestiniens occupés"). C'est une "fraude à l'origine" , une fraude couverte par certains douaniers interprétant mal l'accord UE / Israël (faute que ne font pas les douaniers de Hambourg).

Le BNVCA se sent conforté par une circulaire adressée aux procureurs par la Ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie. Elle assimile, très faussement, ces actions à des appels au "boycott des produits casher" . La ministre y incite ses procureurs à qualifier cette campagne comme une "provocation à la discrimination raciale" et à poursuivre ses participants.

Afficher l'image en taille réelleDemain, 14 octobre, à Pontoise, Alima Boumedienne-Thierry, sénatrice, sera accusée du même "crime". Elle aussi pousse au boycott des produits provenant des territoires occupés. Elle aussi est taxée d'antisémitisme puisqu'hostile à la politique de l'État d'Israël ! En réalité, c’est le monde à l’envers, " le noir est blanc et le haut est en bas" : le boycott arme non-violente devient l'outil des terroristes ! Les motivations du boycott sont passées sous silence ou assimilées à du racisme, et l'on ne retient que le faux argument : on veut nuire à Israël, donc aux Israéliens, donc aux Juifs . La leçon est lourde de sens ! Toute la politique de l'État français actuel est dans cette dualité sans nuances : les bons d'un côté (comme disait Bush) et les méchants de l'autre (tous les adversaires des amis de Nicolas Sarkozy).

En réalité, le gouvernement a besoin du vote juif, du vote juif de droite, pas du vote des Juifs hostiles à l'actuelle politique d'Israël. Et là encore, il ne fait pas dans la demi-mesure ! Qui n'est pas avec moi est contre moi, donc criminel. Qui critique l'État d'Israël n'est pas loin d'être un négationniste, approbateur de la Shoah ! Plus c'est gros, plus ça marche.

Stéphane Hessel, par sa seule personnalité, démontre le contraire de ce que l'on veut nous faire croire. Israël, dit-il, en menant une politique discriminatoire, se met en danger ! Voilà bien pourquoi ce vieux fou doit être achevé, pensent et disent les excités du BNVCA, en lui renvoyant la discrimination au visage et en le trainant devant les tribunaux. Le condamner constituerait la preuve que la France a cessé d'être la France. Mais il ne sera pas condamné. On se contentera de l'avoir sali.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran