dimanche 24 janvier 2021

Entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, La France prend le risque de l’apocalypse nucléaire

 

Communiqué commun signé par la LDH et Ican, dont la LDH est membre

L’entrée en vigueur, ce 22 janvier 2021, du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) ouvre une nouvelle ère : ces armes de destruction massive sont illégales au regard du droit international. La France — à l’égaldesautres puissances nucléaires — tourne le dos à la paix, à la démocratie et au droit international. En refusant ce traité, ses responsables politiques favorisent une accoutumance des citoyens aux périls possibles d’une apocalypse nucléaire. Un non-sens pour un Etat qui se veut « responsable », et souhaite renforcer la sécurité internationale, garantir la préservation de la biodiversité et de l’environnement jusque dans sa Constitution. 

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) est le premier traité juridiquement contraignant qui interdit notamment la possession, la fabrication, l’usage, la menace d’utilisation, le commerce, le financement des armes nucléaires. Ce traité complète les engagements du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et assure la mise en œuvre de son article 6. 

Le Tian est la démonstration que l’ONU peut bien fonctionner. Une majorité écrasante des États membres, à travers des conférences (de 2010 à 2017) et cycles de négociations est ainsi parvenue à adopter le 7 juillet 2017 cet accord. Ouvert à la signature le 20 septembre 2017, le Tian a atteint le 24 octobre 2020 les 50 ratifications requises pour son entrée en vigueur 90 jours plus tard (selon son article 15) : soit le 22 janvier 2021. De nouvelles ratifications et adhésions au Tian sont attendues dans les semaines qui viennent.

Le Tian comporte des obligations positives (déclarations, garanties, élimination, vérification, retrait, mesures d’application nationale, assistance aux victimes et remise en état de l’environnement, coopération et assistance internationales, universalité) pour permettre la mise en œuvre de l’interdiction des armes nucléaires et leur élimination progressive.

La France a un bilan très négatif sur ces dix dernières années concernant le Tian : 

  • Politique de la chaise vide lors des négociations à l’ONU, critiques virulentes du ministre Le Drian (« la politique de l’incantation confine à l’irresponsabilité » 18/09/2017), de diplomate (M. Miraillet par tweet « Fake money » en parlant du TIAN 05/01/2018) ou encore des déclarations inquiétantes (« Une prohibition internationale des armes nucléaires ne nous rapprochera aucunement de l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires », Ambassadeur Guitton, 26/10/2016), sont quelques exemples des pratiques de la diplomatie française pour contrer un traité dont le but est d’éliminer la menace nucléaire, laissant à penser que l’interdiction de systèmes d’armes ne sert à rien pour favoriser la sécurité.
  • La pression de la diplomatie française ne s’est pas uniquement exercée sur les États. Le Président a ainsi affirmé, tel un dirigeant autoritaire, contrefaisant la réalité, que ce « traité ne créera aucune obligation nouvelle pour les acteurs privés sur son territoire » (discours du 07/02/2020). 

Désormais, la question est ouverte : les acteurs financiers poursuivront-ils leur financement  des systèmes d’armes illégales qu’ils qualifient déjà de « controversées » pour la BNP, « de destruction massive » pour le CIC et le Crédit mutuel ou encore « d’arme sensible » pour le Crédit agricole ? Les clients de ces établissements vont être attentifs aux choix de ces banques. Des institutions financières (Deutsche Bank, fonds de pension hollandais ABP, Japan Post Bank Co, Bank Australia) ont déjà inscrit le refus du financement des armes nucléaires dans leur politique d’investissement.

La France a su renforcer sa sécurité et celle de la communauté internationale en participant à l’interdiction des armes biologiques (1975) et chimiques (1997) et à l’interdiction des essais nucléaires (1996). Notre campagne Ican France demande l’adhésion de la France à ce traité pour éliminer la menace nucléaire, renforcer la lutte contre la prolifération nucléaire et promouvoir la sécurité collective.

Nous engageons les parlementaires — et notamment les présidentes des commissions de la Défense et des Affaires étrangères, restées jusqu’à présentes muettes sur ce sujet —, à organiser au plus vite un débat sur la pertinence de poursuivre l’investissement de 23 milliards d’euros entre 2022 et 2025, pour des armes désormais illégales.

Ce 22 janvier, des millions de personnes à travers le monde vont célébrer « le début de la fin des armes nucléaires » (www.icanw.org). En France aussi de nombreuses initiatives sont prévues (www.icanfrance.org) dans les villes de Bordeaux, Carhaix-Plouguer, Lyon, Marseille, Paris, Privas, Tours, Vénissieux, Brest, Manosque, …

Citations des organisations membres de Ican France :

Abolition des armes nucléaires—Maison de Vigilance, Thierry Duvernoy : « Le traité d’interdiction est une remise en cause de la politique de dissuasion présentée comme facteur de sécurité, alors qu’elle favorise la prolifération et renforce l’insécurité des populations. »

AMFPGN, Abraham Behar : « Si notre association internationale IPPNW, est fondatrice de la campagne Ican, c’est uniquement pour des raisons de santé publique, pour prévenir une catastrophe irréversible atomique. Le seul geste possible reste l’éradication de l’arme nucléaire, et le moyen actuel est la mise en service du Tian. »

ICAN France : « Trois jours avant l’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, le Président, lors de ses vœux aux armées s’est livré à une nouvelle ode à la bombe, vantant la fierté de disposer d’une force militaire qui s’entraine dans l’objectif de pouvoir éliminer des populations civiles. Le 22 janvier 2021 le président Macron n’a donc aucun scrupule à placer le pays des droits de l’homme en marge du droit international et de renoncer au droit international humanitaire »

Négajoule ! Jean-Marc Louvet : «Les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU — dont la France — possèdent la bombe qui est l’instrument de domination par la terreur nucléaire. Le premier devoir du pouvoir est d’assurer la sécurité des populations et non de les mettre délibérément en danger. L’effort international doit à présent se consacrer à sauver l’humanité de l’apocalypse des changements climatiques. » 

Mouvement pour une alternative non-violente, Serge Perrin : « Il est illusoire de croire que ces armes nucléaires coûteuses puissent être efficaces face aux menaces que font peser le terrorisme, les cyberattaques et le changement climatique ; sans compter que leur éventuelle utilisation dans les conflits à venir serait catastrophique. »

Observatoire des armements, Patrice Bouveret : «Le Tian, pour la première fois dans un traité international prend en compte la souffrance et les dégâts provoqués par les essais nucléaires et demandent réparation pour les victimes, ce qui représente une réelle avancée pour les populations impactées. »

Pugwash France : « Le Tian est une victoire majeure du multilatéralisme mais nous devons encore relever des défis diplomatiques et scientifiques pour sa mise en œuvre et arriver au désarmement nucléaire total effectif et vérifiable. La France doit y participer ».

Réseau Sortir du nucléaire : « Capables d’annihiler des millions de vies, les armes nucléaires sont dénuées de toute pertinence géopolitique et demeurent polluantes et dangereuses même si elles ne sont pas utilisées. En conservant ces engins de mort alors que le Tian vient d’entrer en vigueur, la France est désormais dans l’illégalité. » 

Organisations signataires : Abolition des armes nucléaires – maison de Vigilance ; ADN Franche-Comté ; AMFPGN, Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire ; Attac ;  Ican France ; Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; Le Mouvement Utopia ; Négajoule ! ; MAN, Mouvement pour une alternative non-violente ; MNLE, Mouvement national de lutte pour l’environnement ; MIR, Mouvement international de la réconciliation ; Observatoire des Armements ; Pugwash France ; Réseau Sortir du nucléaire.

Paris, le 21 janvier 2021

mardi 19 janvier 2021

Nouvelles entraves au droit de manifester : on connaît la musique !

 


Communiqué de la coordination #StopLoiSécuritéGlobale, dont la LDH est membre

48 heures après les Marches des libertés, qui ont réuni 200 000 personnes dans 88 mobilisations recensées par la coordination, un autre bilan doit être dressé. Celui de l’arbitraire policier et judiciaire.

Si l’écrasante majorité des cortèges a pu s’ébranler dans le calme et la détermination, Paris, Montpellier, Lyon, Limoges et Toulouse ont connu des entraves graves à la liberté de manifester.

À Paris, l’accès au cortège a été interdit à plusieurs véhicules sonorisés de l’Union des collectifs LGBTQ+, du Syndicat des Organisateurs Cultures Libres et Engagés, du Collectif des Sound Systems d’Ile-de-France et du Comité de Soutien IDF aux inculpé-e-s de la Maskarade. Ces camions visaient à porter nos discours revendicatifs avant même de jouer la moindre musique. D’abord dispersés dans les avenues adjacentes au point de rassemblement, les véhicules ont ensuite été saisis. Selon les déclarations de la préfecture de Police, l’interdiction avait pour « prétexte que le style de musique qui allait être joué ne correspondait au style habituel des manifestations. » Ainsi donc, non seulement la police souhaiterait décider qui peut filmer quoi, avec l’article 24 de la loi Sécurité globale, mais elle prétend désormais également jouer les arbitres des élégances musicales. Bientôt les slogans devront-ils être déposés avant les manifestation ?

Tandis que 10 conducteurs étaient emmenés au commissariat (au motif d’« agression sonore »), après plusieurs charges policières violentes, préfet de Police et ministre de l’Intérieur se félicitaient sur les réseaux sociaux d’avoir empêché une « rave party » illégale dans la capitale. Nouveau et pur mensonge au sommet de l’Etat : jamais il n’a été question d’en tenir une à l’occasion de ce défilé, mais bien d’appeler à la convergence des luttes, autour des libertés publiques. La séparation des véhicules avait pour objectif de diviser les organisateurs de la manifestation. Ce lundi après-midi, certains camions ont été restitués, pas tous, pour d’obscures raisons, deux organisations ont reçu un rappel à la loi, d’autres ont vu leur affaire classée sans suite; et les dernières sont convoquées ce mardi. Nouvelles illustrations de l’arbitraire policier à géométrie variable.

A Montpellier, d’autres camions, du matériel de sonorisation et un drone géant symbolique ont également été saisis, et cinq manifestants placés en garde. Sans motif, ni récépissés réclamés pour les saisies. Des gaz lacrymogènes ont été lancés ainsi qu’une charge alors qu’il ne restait plus qu’une cinquantaine de manifestants paisibles au milieu des badauds et des familles qui profitaient de la fin de journée sur une esplanade du centre ville. La musique avait été arrêtée et rien ne permet de justifier un tel déploiement de force.

À Limoges également, deux véhicules souhaitant participer à la marche se sont vu interdire de manifester et ont été saisis.

À Lyon, les 5 000 manifestants ont dû brutalement interrompre leur marche à mi-parcours, sous un déluge de grenades lacrymogènes, alors que l’ambiance était à la fête et à la paix. Rue89 Lyona écrit : « Depuis près de 10 ans que [nous] couvrons des manifestations à Lyon, c’est la première fois que nous constatons qu’un cortège, sur un parcours déclaré en préfecture, est dispersé une heure seulement après son départ. »

À Toulouse, la manifestation s’est terminée avec des gaz lacrymogènes suite à l’intervention de la Bac alors que la demande de dissolution venait d’être prononcée par les organisateurs. Cela a provoqué l’incompréhension des participants qui quittaient les lieux dans le calme, créant un mouvement de foule.

Plus déterminée que jamais, la Coordination nationale #StopSécuritéGlobale, qui se voit rejointe chaque semaine par de nouveaux acteurs du monde social, culturel, syndical, associatif, partout en France, n’entend pas se laisser intimider par ces nouveaux coups de boutoirs faits à la liberté de manifester en France. Elle poursuivra ses actions jusqu’au retrait des articles 21, 22, 24 de la loi « Sécurité globale » et du nouveau schéma national du maintien de l’ordre.

La Coordination nationale #StopLoiSécuritéGlobale fédère plus de 80 organisations implantées dans toute la France : syndicats et associations de journalistes, sociétés, collectifs de réalisateur-ices, de documentaristes, confédérations syndicales, organisations de défense de droits humains, comités de victimes de violences policières, collectifs de quartiers populaires, d’exilé·es, de Gilets jaunes, et soutenue par des teufeur-ses, des acteur-ices du monde culturel et de la fête, et des représentant-es du monde LGBT.

Paris, le 18 janvier 2021


samedi 9 janvier 2021

Le Conseil d’Etat ne suspend pas l’extension du fichage des militants

Communiqué LDH

Par ordonnances du 4 janvier 2021, le juge des référés du Conseil d’Etat vient de rejeter le référé-suspension contre trois décrets en date du 2 décembre 2020 modifiant les fichiers EASP, PASP et GIPASP[1], recours initié par des organisations syndicales et le Gisti, et auquel la Ligue des droits de l’Homme était intervenue, ainsi que la section française de l’Observatoire international des prisons, la Quadrature du net et le Syndicat national des journalistes.

La Cnil avait indiqué que ces décrets permettaient de régulariser des pratiques existantes, ce qui n’est guère rassurant quant à l’extension continue de la surveillance policière, sans aucun contrôle et en toute opacité.

Pourtant, le juge des référés a choisi de croire aux déclarations d’intention du ministre de l’Intérieur, qui affirme qu’il ne sera pas procédé à un fichage automatique et massif des militants ou opposants.

Il a admis que l’extension des données conservées dans les fichiers PASP et GIPASP aux opinions syndicales, politiques, religieuses ou philosophiques, ait pu être décidée sans que la Cnil en ait été préalablement saisie, puisque le gouvernement a ajouté ce point postérieurement à l’avis que celle-ci avait rendu.

Le juge a précisé (et c’est heureux !), que la seule appartenance syndicale (ou politique…) ne permettrait pas le fichage des personnes et qu’il fallait la relier à des activités portant atteinte à la sécurité ou à la sûreté de l’Etat. Il a rappelé la nécessité de respecter les règles permettant de lever le secret médical pour pouvoir enregistrer les troubles psychologiques ou psychiatriques. Et il a également précisé que seules des condamnations judiciaires définitives pourraient être enregistrées.

Il n’en demeure pas moins que l’extension du but du fichage aux cas de risque d’atteinte à la sûreté de l’Etat, ou à l’intégrité du territoire ou à des institutions de la République ou lorsque des personnes sont susceptibles « d’être impliquées dans des actions de violence collectives, en particulier en milieu urbain ou à l’occasion de manifestations sportives » a été admise. Or, dans la pratique, les manifestants connaissent désormais l’application très large de l’infraction de participation volontaire à un groupement formé en vue de la préparation de violences ou de dégradations (art. 222-14-2 CP). Il est à craindre qu’une simple garde à vue sur ce fondement, sans poursuites faute d’une quelconque preuve d’une telle intention, suffise ensuite à caractériser le fait que ce manifestant soit « susceptible d’être impliqué » et donc fiché.

Ce d’autant plus que désormais, il est possible d’établir une connexion avec d’autres fichiers, dont le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) dans lequel les personnes ayant fait l’objet d’un rappel à la loi (qui n’est pourtant pas une déclaration de culpabilité) sont inscrites.

Or, ce dernier fichier permet de retrouver une personne grâce à une simple photographie et les décrets sur les fichiers PASP et GIPASP ont opportunément supprimé l’interdiction qui était posée auparavant d’une reconnaissance faciale.

De plus, le fichage peut désormais concerner outre les personnes physiques, des groupements. On peut imaginer qu’un groupe Facebook de manifestants ou de syndiqués ou de militants associatifs, pourrait faire l’objet d’un fichage avec une amplitude des données collectées telle que toute la vie privée d’une personne est concernée puisqu’il est même possible d’enregistrer « les comportements et habitudes de vie », les « déplacements ; pratiques sportives » ou les « activités sur les réseaux sociaux » etc.

Ajoutons à cela que le procureur de la République peut désormais consulter ces fichiers…

Et le fichier EASP sert pour les enquêtes administratives sur les personnes briguant certains emplois tant publics que privés (dans le domaine de la sécurité ou de la défense, ou pour l’accès à certaines zones, comme dans les aéroports…) ou pour l’obtention de titre de séjour pour les étrangers : le nombre de personnes concernées est donc conséquent.

Se dessine ainsi un Etat tentaculaire, qui veut renforcer les possibilités de contrôle de la population.

Rappelons que la forte mobilisation citoyenne contre les décrets sur les fichiers Edvige ou Cristina avait permis qu’ils soient retirés. Autre temps, autre mœurs et, en tout cas, révélateur de la dégradation des principes de sauvegarde de nos libertés fondamentales et de l’évolution des institutions qui en sont les garantes.

Nous continuerons donc le combat contre tous ces textes liberticides.

Paris, le 9 janvier 2021

[1] EASP (Enquêtes administratives liées à la sécurité publique), PASP (Prévention des atteintes à la sécurité publique) et GIPASP (Gestion de l’information et Prévention des atteintes à la sécurité publique).