dimanche 29 décembre 2019

LA RECONNAISSANCE FACIALE

Le système :

Par un décret, très discret de mai 2019, l'Agence des Titres Sécurisés (ANTS) ambitionne de créer une « identité numérique » pour chaque citoyen français afin de faciliter l'accès à certains services administratifs ou commerciaux sur internet à partir d'un passeport biométrique ou /et d'un titre de séjour électronique.

Une personne pourra grâce à son identité « virtuelle » se connecter à tous les sites reliés à FranceConnect1 (Impots.gouv, Ameli, l’assurance retraite, banques, entreprises privées, etc.). 

Pour se connecter, il faudra posséder un téléphone NFC sous Android, puis créer un compte en scannant la puce biométrique du titre électronique (passeport ou carte de séjour). Le système récupérera les données stockées sur la puce. La dernière étape consistera à bouger, face à l'écran de votre téléphone, pour que la caméra capture les traits de votre visage en mouvement et ainsi votre « identité numérique » sera créée.

Cette « identité numérique » comportera vos informations personnelles de base : nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, sexe, taille, couleur des yeux, adresse, photo du document d’identité, mais aussi la photo et vidéo enregistrée lors de la reconnaissance faciale, numéro de téléphone portable et enfin l’adresse mail, ainsi que les données administratives du document officiel d’identification (numéro du titre, autorité et lieu de délivrance, expiration, etc.)

Enfin, votre historique d’utilisation sera également stocké tant que le compte sera actif. S’il est inactif, il faut attendre six ans pour que ces données personnelles soient supprimées (??). Ces informations pourront être transmises aux fournisseurs de téléservices liés par convention à FranceConnect ou à l’ANTS.

Bien entendu, les services gouvernementaux insistent sur le haut niveau de sécurité qui garantira la confidentialité de vos données personnelles qui seront toutes chiffrées. On sait pourtant qu'en général, les voleurs courent plus vite que les gendarmes.


Ces systèmes sont conçus par le leader mondial de la reconnaissance faciale : la société allemande DERMALOG (Dermalog Identification Systems GmbH) qui se vante d'avoir développé la reconnaissance faciale la plus rapide au monde : « elle compare un milliard de visages parseconde. »


Une étude de juin 2016 estime qu'avant 2022, le marché mondial de la reconnaissance faciale devrait générer 9,6 Md de dollars de revenus, porté par un taux de croissance annuel moyen de 21,3% sur la période 2016-2022. En 2018, les secteurs les plus porteurs sont la Sécurité, la santé et le commerce.


Ces deux éléments ci-dessus expliquent certainement l'emballement macronien à mettre en place ce système dans notre pays : l'aide au développement mondial d'un fleuron2 européen sur un secteur en forte croissance.


Un peu d'histoire, la vidéosurveillance :

La vidéosurveillance connaît une croissance exponentielle, pourtant la légitimité du système n'a jamais pu être démontré en France depuis l'installation des premières caméras. On peut, d'ailleurs, suspecter des actions volontaires d'obstruction des responsables des politiques publiques qui se contentent de donner l'exemple des attentats du métro londonien, exemple manifeste d'inefficacité préventive du système.

Installée, dans la plupart des cas, sans aucun encadrement juridique, sans aucune transparence et sans débat public, la vidéosurveillance ne satisfait pas de nombreux acteurs publics et industriels. Pourtant, on a, au détriment des conséquences pour nos libertés, accéléré et facilité le déploiement de ces dispositifs.

Plus fort encore, pour essayer de supprimer l'image négative du système, on l'a rebaptisée « vidéoprotection », selon la stratégie marketing du renaming et la Commission Nationale de Vidéoprotection (CNV), initiatrice du basculement sémantique, institutionnalise le lobbying privé autour de la vidéosurveillance.

Pourtant, tout un chacun sait qu'elle surveille, mais ne protège pas.

Seulement quelques enquêtes d'opinion ont été réalisées. En 2008, la société IPSOS avait révélé que 71% des Français se disaient très ou plutôt favorables à l'installation de caméras de vidéosurveillance, cependant la validité de ce soutien n'a jamais été prouvée et plusieurs études ont démontré que les avis favorables reposaient souvent sur une méconnaissance du dispositif et de ses capacités, voire sur une manipulation des questions qui en orientant les réponses modifiait sensiblement les résultats.


Conclusions :

Avec la reconnaissance faciale, nous reprenons le même chemin obscur que pour la vidéosurveillance.
Au prétexte de sécurité et de confort, le gouvernement veut imposer la reconnaissance faciale.
Pas de transparence, pas de concertation, pas de débat public, alors que c'est une technique exceptionnellement invasive et déshumanisante qui permet, à plus ou moins court terme, la surveillance permanente de l'espace public. 
Elle fait des citoyens des suspects permanents. 
Elle attribue au visage non plus une valeur de personnalité mais une fonction de traceur constant, le réduisant à un objet technique. 
Elle permet un contrôle invisible. 
Elle impose une identification permanente et généralisée. 
Elle abolit l'anonymat.

Au-delà de quelques agréments anecdotiques : utiliser son visage plutôt que des mots de passe pour s'authentifier en ligne ou activer son téléphone, aucun argument ne peut justifier le déploiement d'une telle technologie.

Ses seules promesses effectives sont de conférer à l'État un pouvoir de contrôle total sur la population, dont il ne pourra qu'être tenté d'abuser contre ses opposants politiques et certaines populations, comme on l'a vu avec la loi sur l'état d'urgence.

Le Parlement et le gouvernement français doivent interdire tout usage sécuritaire de dispositifs de reconnaissance faciale actuels ou futurs.

De telles interdictions ont déjà été décidées dans plusieurs villes des États-Unis. 

La France et l'Union européenne doivent aller encore plus loin et, dans la lignée du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), construire un modèle européen respectueux des libertés.

Il faut aussi renforcer les exigences de protection des données à caractère personnel et limiter les autres usages de la reconnaissance faciale : qu'il s'agisse d'authentification ou d'identification privée, l'ensemble de ces dispositifs ne sont pas assez protecteurs des atteintes à la vie privée ; ils préparent, et banalisent une société de surveillance de masse.

Jean-Claude VITRAN



1.  Listes actuel des partenaires : https://partenaires.franceconnect.gouv.fr/references
2   Nous n'avons pas réussi à savoir si des financiers français sont au capital de DERMALOG.

mardi 17 décembre 2019

Le Gouvernement joue avec le feu



Où le gouvernement entend-il conduire le pays et dans quel état compte-t-il l’y amener ?

La France connaît un mouvement revendicatif d’une puissance exceptionnelle. Grèves et journées d’actions se succèdent pour refuser un projet de réforme des retraites qui n’a pas l’assentiment d’une écrasante majorité de la population. Fait rare et remarquable, malgré leurs différences d’approches et de propositions, toutes les organisations syndicales se rejoignent dans leur rejet et dans leur détermination à ne pas laisser faire. Pour autant, le gouvernement campe sur ses positions tandis que le président se réfugie derrière une « écoute attentive ».

En presque trois ans de mandat ce gouvernement a détruit des pans entiers des droits sociaux, avec des ordonnances réformant le Code du travail au détriment des salariés, en réduisant drastiquement les droits des chômeurs et maintenant en portant un projet de réforme des retraites que les syndicats et une très large partie de la population analysent comme une régression.

A chaque fois, les pouvoirs publics ont refusé et continuent de rejeter tout compromis social au travers d’un refus revendiqué de réelles négociations au profit de rencontres, discussions, points d’étapes, dialogue, concertation, toutes expressions qui ne peuvent cacher qu’il entend imposer et non négocier.

Cette politique a été d’autant plus ressentie comme du mépris social qu’elle s’est accompagnée de décisions fiscales ne bénéficiant qu’aux plus aisés sans que les mesures ponctuelles de rattrapage du pouvoir d’achat ne changent cette logique.

C’est dans ce mépris des attentes majeures d’égalité et de justice sociale qu’il faut trouver la source de la longue séquence dite des Gilets jaunes ou la très forte mobilisation des personnels hospitaliers auxquelles ni les postures ni les politiques gouvernementales ne répondent.

En s’abstenant de débattre publiquement de toutes les conséquences de la réforme envisagée, voire en en dissimulant les conséquences, le gouvernement accrédite l’idée qu’il demande un blanc-seing pour mieux porter atteinte, une nouvelle fois, à des droits sociaux fondamentaux.

Ce sentiment d’injustice est renforcé par les atteintes apportées au droit de manifester qui fait qu’on ne compte plus les yeux crevés, les mains arrachées, les manifestants, les journalistes, les observateurs et défenseurs des droits gazés, battus, humiliés ou sanctionnés.

Communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme






lundi 9 décembre 2019

La Démocratie est en danger.



Depuis quelques décennies, je pense que la démocratie n’est pas toujours synonyme de défense des libertés et du droit des minorités.

L’Etat libéral confronté aux problèmes de la croissance économique intervient de plus en plus dans la sphère sociale et le peuple, anesthésié, attend passivement la résolution de tous ses problèmes. En laissant les gouvernants régler leurs comportements et agir à leur guise, les individus abandonnent, progressivement, des parcelles de leurs libertés.

Confrontés à des revendications légitimes mais qui remettent en cause le fonctionnement du néolibéralisme et le capitalisme spéculateur, il semble que les gouvernements libéraux ont l'idée de promouvoir des systèmes de surveillance et de contrainte de plus en plus sophistiqués pour faire taire la contestation.

Nous sombrons dans une sorte de totalitarisme mou abordé par Hans Jonas dans son livre le « Principe responsabilité » et Hannah Arendt dans « Les origines du totalitarisme ».

Ce Système s'impose en Occident depuis la chute du communisme et incarne une forme nouvelle et singulière de totalitarisme qui s’exerce au nom de la « libération » de l’homme prônée par l’idéologie néolibérale de l’oligarchie.

Les Français, principalement, sont victimes d’une imposture qui déconstruit la société et les plonge dans la désespérance. Le Système, qui repose sur l’idéologie libérale/libertaire, et se fonde en apparence sur la liberté puisqu’il prétend « libérer » l’homme n'est en réalité d’une illusion.

Les prétendus libéraux sont en réalité des totalitaires et notre peuple est victime d’une supercherie. Ils veulent nous imposer leur idéologie par la contrainte, par la répression judiciaire et policière, par des mesures discriminatoires, par des réglementations liberticides, par la propagande médiatique ...
Leur tolérance s'arrête à ceux qui partagent leurs idées et adhèrent à leur projet. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » disent-ils en désignant, bien sûr, les ennemis en question.

Ces points précis, qui concernent, directement, nos libertés individuelles et nos droits fondamentaux confirment qu’il est légitime de se questionner sur la confiance en l’Etat que l’on peut avoir au regard du respect du droit et sur son glissement vers une dégradation de la démocratie.

On a pu le constater lors des affrontements des gilets jaunes avec des forces de police en surnombre, habillés en robocop, destinées à « combattre » comme on le ferai contre l'ennemi d'un pays hostile - 3830 blessés, 8700 gardés à vue, 13460 tirs de LBD 40, 1428 tirs de grenades - Une forme de maintien de l’ordre dont les dérives sont inquiétantes pour les libertés fondamentales et le droit de manifester.

Cette dernière décennie, sous prétexte de sécurité, on a partout développé la video surveillance, aussi hypocritement appelée vidéo protection mais qui ne protège pas. Maintenant, comme en Chine, « pays reconnu pour son respect des droits de l'Homme », le gouvernement d'Emmanuel Macron envisage de généraliser la reconnaissance faciale.

C'est une technique, particulièrement intrusive et liberticide qui permet d’authentifier ou d’identifier une personne à partir des traits de son visage. Les enjeux de protection des données et les risques d’atteintes aux libertés individuelles que de tels dispositifs sont susceptibles d’induire sont considérables, dont notamment la liberté d’aller et venir anonymement et qui violent les droits fondamentaux. (Propos de la CNIL)

Malgré que l'on sache depuis toujours que les gouvernements ont peur du peuple et qu'ils n'aiment pas la liberté, cela questionne de constater que le gouvernement d'Emmanuel Macron, plutôt centriste, même s'il penche à droite, envisage des systèmes de contrôles sociaux digne des pires dictatures. Il nous mène vers le monde, satisfaisant pour lui, mais avilissant pour nous, de la servitude administrative, comme le constate l'avocat constitutionnaliste François Sureau1 qui écrit, par ailleurs, : « Les lois liberticides prospèrent sur notre démission collective ».

On en arrive à se demander si l'amour de la liberté et de l'Etat de droit n'est plus simplement qu'un propos de comptoir.

Même si je suis septique d'un sursaut de mes contemporains, je préfère comme Georges Bernanos2 rester optimiste : « Que voulez-vous ? La liberté est partout en péril mais je l'aime. Je me demande parfois si je ne suis pas l'un des derniers à l'aimer, à l'aimer au point qu'elle ne me paraît pas seulement indispensable pour moi, car la liberté d'autrui m'est aussi nécessaire. »

Jean-Claude VITRAN



1  François Sureau – Pour la liberté – Editions Taillandier

2  Georges Bernanos – Le chemin de la Croix des Ames - 1943 - Editions du Rocher

jeudi 5 décembre 2019

Lettre ouverte ouverte de l’Observatoire de la liberté de création à l’attention du cinéma l’Utopie

D'ou qu'elles viennent les atteintes à la liberté d'expression sont insupportables  -  Jean-Claude Vitran

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Madame, Monsieur,

Nous avons été alertés, notamment par un communiqué de la société de distribution Les films des deux rives, ainsi que par la presse, des menaces d’incendie à l’encontre du cinéma l’Utopie de Sainte-Livrade (47) s’il maintenait la projection, programmée le samedi 23 novembre, du film documentaire Résistantes réalisé par Fatima Sissani.


Le directeur du cinéma a finalement décidé d’annuler la projection qui devait être suivie d’un débat en présence de la réalisatrice du film, privant les spectateurs de découvrir ce film et d’en parler librement à l’issue de la projection.


La manifestation était organisée dans le cadre des AOC de l’égalité, en partenariat avec la revue Ancrage.


Le directeur du cinéma l’Utopie a précisé pour expliquer la démarche du film : « Par la visite des camps de Bias, Sainte-Livrade et du Cafi, nous souhaitions, avec Fatima Sissani, donner la parole à des femmes d’hier à aujourd’hui. »


La société de distribution Les films des deux rives ajoute : « Les spectateurs de Sainte-Livrade ont été ainsi privés des témoignages d’Eveline Safir Lavalette, Zoulikha Bekaddour, Alice Cherki, résistantes engagées dans la lutte pour la libération de l’Algérie. »


Plusieurs associations* du département du Lot-et-Garonne, en région Nouvelle-Aquitaine, se sont réunies contre cet état de fait. S’ils tiennent « à reconnaître la souffrance des Harkis, victimes comme l’ensemble du peuple algérien de la politique coloniale de l’Etat français et qui ont été les oubliés de l’histoire après 1962 », les signataires demandent « que des poursuites soient engagées contre les individus ayant censuré la projection du film et que la liberté d’expression soit garantie dans les cinémas et les espaces culturels ».


Les signataires expliquent : « Avec clarté et pudeur, des femmes racontent l’Algérie coloniale, la ségrégation, le racisme, l’antisémitisme, la prison, la torture, les solidarités, la liberté… pour lancer un appel à la paix, (…). À Sainte-Livrade, la diffusion n’a pas été possible à cause d’une poignée d’individus se prétendant représentatifs de la communauté harkie et dénonçant un film insultant et la présence d’une supposée représentante du FLN. (…) Ces individus ne connaissaient pas le contenu du film mais cela leur importait peu. Même la cause harkie ne semblait pas les préoccuper car pour eux les femmes témoignant dans le film n’étaient pas des « résistantes » mais des « terroristes » et ils ont piétiné le drapeau algérien devant le cinéma.».


Au témoignage de ceux qui ont pu le voir, le film documentaire Résistantes n’évoque à aucun moment les Harkis.


L’expression de la violence devant les salles de cinéma pour y interdire les projections de films est non seulement inexcusable, car elle prive le public de débat, mais elle est réprimée par la loi.


L’Observatoire de la liberté de création, avec l’ensemble de ses partenaires, apporte son soutien au cinéma l’Utopie, à la réalisatrice Fatima Sissani, à la société de distribution Les films des deux rives et, en règle générale, aux cinéastes, aux sociétés de production et distribution de films indépendants, ainsi qu’à toutes les femmes qui ont témoigné dans ce documentaire, dans leur volonté à exposer leurs idées, leur parole, leur liberté et la mémoire de leurs actes.


Nous demandons que la projection du film Résistantes, au cinéma l’Utopie, soit reprogrammée.


Qu’un débat soit organisé à l’issue de la séance afin que les spectateurs présents, après avoir vu le film, puissent échanger leurs points de vue, fussent-ils éloignés, dans un climat d’écoute mutuelle et de discussion.


L’Observatoire de la liberté de création se tient, dans la mesure de ses moyens bénévoles, à la disposition des instances concernées et des structures de diffusion pour que la loi soit respectée.


 « Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »  II.-L’article 431-1 du Code pénal-LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016


Paris, le 4 décembre 2019


*L’écran livradais-Cinéma l’Utopie ; Les Montreurs d’Images ; Les Porteurs d’ID ; Repères ; la revue Ancrage ; Atel4 ; Solidarité Réseau d’éducation sans frontières 47 ; La Maison des Femmes ; Attac Villeneuve-sur-Lot ; la Ligue des droits de l’Homme de Villeneuve-sur-Lot ; le MRAP ; Palestine 47. Les AOC de l’égalité en Nouvelle-Aquitaine (collectifs d’associations) ; La courte échelle.ed Transit ; Hendaia Film Festival ; Syndicat des quartiers populaires de Marseille ; Approche culture et territoire ; 24images ; Mémoire en marche ; 360° et même plus (collectif de cinéastes) ; Les films des deux rives.