Le
titre d'un article en couverture de la dernière livraison du
trimestriel de la Ligue des droits de l'homme « Hommes et
Libertés » a, par son imprécision, attiré mon attention :
« RETRAITES, notre société a-t-elle le choix ? ».
Dans
son préambule, l'auteur annonce : « encore une réforme
des retraites avec toujours le même discours : pour sauver nos
retraites, pas d'autres solutions que de travailler plus longtemps.
Cette pseudo-évidence dissimule une réalité : c'est d'un
choix de société qu'il s'agit, et nous devons en débattre »
et il termine son article en écrivant : « Il est
urgent, sur les retraites comme sur la plupart des questions
sociales, de sortir la tête de l'eau et d'enfin penser ensemble. »
Je
partage totalement ces propos.
Alors
quand commence-t-on à réfléchir, à débattre, et surtout à
contraindre les gouvernants, empêtrés dans leur archaïsme, ainsi
que les « marionnettes » des financiers, à changer de
politique ?
Car
dénoncer c'est bien, mais agir, c'est mieux !
Je
ne peux pas imaginer que le citoyen d'aujourd'hui se contente
seulement de critiquer et de pleurer sur la fin de ses acquis. On
écrit beaucoup, on parle encore plus, mais la société civile a
renoncé et personne n'ose considérer le changement
radical de notre rapport au monde et le rêve même de la révolution
est devenu un slogan publicitaire des « marchands » pour
vendre leurs salmigondis.
Selon
l'antienne « there is no alternative » nous n'avons pas
le choix, seulement l'attente fataliste de la catastrophe finale et
le souvenir béat d'un passé révolu ; la
régression sociale est stupéfiante si on la regarde avec les yeux
de 1983. C'est comme si les citoyens étaient endormis sous l'emprise
d'anesthésiants.
Il
est pourtant temps de se réveiller avant qu'il ne soit trop tard !
Depuis
la fin du second conflit mondial, le recul des institutions
démocratiques est important et je crains qu’il n’y ait plus
d’espoir à attendre des gauches traditionnelles. Elles sont
convaincus des bienfaits d'un libéralisme qu'elles se croient
capables de dompter, quelle présomption !
Elles
n'ont pas compris, ou plutôt, par intérêt, elles n'ont pas envie
de comprendre qu'assagir le capitalisme est une mission impossible.
Depuis
les années 1970, un « féroce » capitalisme financier a
éliminé le capitalisme industriel. Il n'a pas d'éthique, pas
d'objectifs à moyen et long terme sinon ceux d'un profit maximum et
immédiat.
Si
le capitalisme se réforme, il se suicide, car par essence,
exponentiel, il ne peut qu'aller toujours plus loin dans le pillage
des ressources et l’exploitation du travail ; de plus ceux qui
décident agissent de manière à confisquer la capacité d'action de
ceux qu'ils dominent.
Les
autres partis politiques, dits de la gauche de gauche, ne jouent pas
non plus le jeu de la démocratie. Les Verts d'EELV, pourtant
particulièrement concernés par la crise, ne font que de la
politique politicienne au lieu de faire de l'écologie et ceux dits
de la gauche extrême restent dans une confortable critique non
constructive ne voulant surtout pas participer au pouvoir.
Les
syndicats qui devraient défendre les travailleurs ont abdiqué. Pour
s'en convaincre, Il suffit de regarder la position de la CFDT qui
joue depuis de nombreuses années le jeu du patronat. Le dernier
exemple en date est le ralliement du délégué Édouard Martin
d’Arcelor Mittal Florange au parti socialiste contre un fauteuil
doré aux élections européennes. Cette centrale syndicale est de
fait le syndicat sur lequel le pouvoir socialiste s’appuie pour
faire passer ses contre-réformes et faire avancer la sacro-sainte
« construction européenne ». La situation est
comparable dans les syndicats de l'éducation nationale où les
directions nationales protègent le gouvernement et refusent, malgré
les injonctions de leurs bases, d’organiser la riposte face aux
graves dangers qui pèsent sur l’école et sur les statuts des
personnels.
Cette
analyse devrait nous convaincre qu'il y a le feu à la maison et que
la priorité n'est pas dans la préservation de l'euro, dans la
réduction de la dette ou dans les accords économiques mondiaux mais
dans la défense des droits fondamentaux et donc de la démocratie.
Nous
avons besoin de nouveaux acteurs pour compenser la décomposition du
paysage politique, nous avons besoin que la société civile, les
citoyens qui ont perdu confiance en eux-mêmes comme citoyens, tant
ils se sentent impuissants face à des pouvoirs sur lesquels ils
pensent n'exercer aucune influence, reprennent leurs vraies places
dans la société et pèsent sur les décisions qui concernent
directement leur avenir.
Je
pense que des associations, comme la Ligue des Droits de l'Homme,
mais aussi d'autres, doivent aujourd'hui contribuer à sortir d'un
renoncement coupable et jouer, pour les plus anciennes, le rôle qui
fut le leur au cours de l'histoire et, pour les plus récentes, peser
sur la vie politique de nos pays.
Pourquoi
n'attaquent-elles pas, de front, le libéralisme qui est comme tous
les esprits sensés l'affirment, la cause de tous les maux dont
souffre aujourd'hui la démocratie ?
La
liste de ces maux est très longue : inégalité, absence de
dignité, injustice, paupérisation toujours plus importante,
perpétuation et accroissement du chômage, surveillance généralisée,
atteintes aux libertés, exploitation des minorités, etc. De plus,
la société qui nous est promise est celle de « l'interdiction »
: elle court d'interdit en interdit, de surveillance en surveillance,
de réduction des libertés en réduction des libertés ....
Des
décisions aux conséquences dangereuses et incalculables se prennent
en dehors des circuits démocratiques, les discussions sur les
différents traités de libre échange économiques –
transatlantique et transpacifique - sont emblématiques à ce sujet.
Elles donneraient les pleins pouvoirs aux financiers internationaux
et aux entreprises multinationales
Les
grands sujets qui traversent notre société, les révolutions
techno-scientifiques en marche – biotechnologie, génie génétique,
transhumanisme, nanotechnologie, internet des objets, robotique,
sciences cognitives, etc. - et qui bouleverseront notre quotidien,
auront des conséquences considérables sur les droits humains
fondamentaux. Elles ne sont pas à l'ordre du jour de la réflexion
de ces organisations qui ne semblent pas être suffisamment
concernées par les mutations de la société et leurs conséquences
sur la vie des citoyens. Une
connivence certaine s'est installée entre elles et le pouvoir
en place alors qu'elles affirment, - quelle
hypocrisie ! - ne pas vouloir se mêler de politique. Pourtant, tous
les jours, en permanence, les militants font de la Politique.
Aujourd'hui,
nous avons dépassé ce stade, nous ne pouvons plus laisser une
oligarchie décider pour nous. Il faut redonner sa place à la
société civile et à ses représentants et que les citoyens soient
écoutés et entendus. Ils ne veulent pas la révolution, seulement
exister dans le respect de la démocratie.
Il
est désespérant de constater que les associations et les
organisations dont le but est la défense des droits humains
fondamentaux, de la citoyenneté et de la démocratie ne remplissent
plus pleinement leur mission.
Il
est impératif pour notre avenir qu'elles se modernisent rapidement
et qu'elles assument leur rôle national, sinon elles deviendront des
monuments de la société et de l'histoire française, des pièces de
musée.
De
magnifiques outils sans utilité
incapables de préserver l'avenir de l'humanité.
Jean-Claude Vitran