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lundi 20 janvier 2014

Centralisation et fausse décentralisation.

 
Décentraliser, c'est démocratiser, partager les pouvoirs.

Il ne faut évidemment pas les éparpiller, sous peine de donner raison aux centralisateurs. 


Moins de régions ? Pourquoi pas, si c'est pour diminuer le nombre de baronnies.
Moins de départements ? Pourquoi pas, si c'est pour commencer à sortir du système jacobin.
Moins de communes ? Attention, si cela doit conduire à la supracommunalité plus qu'à l'intercommunalité !
Dans un système constitutionnel présidentiel, il y a lieu d'être méfiant.

La centralisation est partout, camouflée ou pas.
La déconcentration n'est pas la décentralisation, on l'a vu avec la loi Defferre. L'État est confronté à une contradiction : il veut tout maîtriser et il y a trop de niveaux politiques.
La réforme que prépare Mme Lebranchu est la meilleure et la pire des initiatives. Elle se situe bien dans le projet de François Hollande qui, à peu près, est le même que celui de ces prédécesseurs. (cf. le projet Balladur, qui diminuait le nombre des échelons administratifs mais sans restituer des pouvoirs aux citoyens).

Car, à l'évidence, il n'y aura pas de réforme institutionnelle sans réforme constitutionnelle. La monarchie, royale ou républicaine, est centripète, peu ou prou.
 
Il n'y aura pas de réduction du nombre des collectivités locales sans annulation du cumul des mandats. 
Il n'y aura pas approbation citoyenne sans droit d'intervention par consultation référendaire quand des questions locales importantes sont en question. 
Il n'y aura pas renforcement des collectivités locales sans abandon progressif des délégations des services publics aux grandes entreprises privées prédatrices des collectivités locales.
Mais de cela, il n'est pas question ! Le seul argument affiché est celui de la meilleure efficacité et du moindre coût. Ce serait acceptable si... c'était vrai ! Il s'agit, en fait, de rendre les échelons administratifs français plus compatibles avec ceux des grands pays de l'Union européenne.


Le souci démocratique est absent car il conduirait à une réorganisation des compétences et à l'élimination des doublons administratifs. Ce serait recourir à l'intervention des citoyens au niveau de leur vie quotidienne et donc à la fin de la démocratie uniquement représentative.

Les élections municipales devraient fournir l'occasion de poser les questions fondamentales d'exercice de la démocratie, c'est-à-dire de la souveraineté populaire. 

Cela ne semble pas la préoccupation des leaders politiques en ce début d'année 2014 !

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

mercredi 15 janvier 2014

Une trahison politique historique

Inutile d'invoquer, à mots couverts, Jean-Baptiste Say (1767-1832) et donc ses idées passées, dépassées, comme le fit  François Hollande, hier, 14 janvier 2014, depuis son palais de l'Élysée !

"JBS", ce protestant (Dieu sait ce que le capitalisme doit au protestantisme !), républicain, girondin, proche de Mirabeau, très brillant intellectuel (2), qui fit affaire sous l'Empire, industriel du coton très lié à l'esclavage (1), est la référence française d'une pensée libérale assumée. Il soutint que l'économie se fondait sur la propriété privée, la libre concurrence et le rôle limité de l'État, ce que ses successeurs entrepreneurs n'ont cessé d'approuver depuis. Dans le même temps, il écrivit aussi, et là est apparue la contradiction innée entre le libéralisme et l'écologie : « Les richesses naturelles sont inépuisables, car, sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques » !

Cette perspective conduit à favoriser l'offre et non la demande. Autrement dit la production commande. Le consommateur achète ce qu'on lui offre. La satisfaction des besoins passe après la satisfaction des désirs que l'entrepreneur suscite. Le client n'est roi que s'il paie bien, cher et souvent. Sans croissance, il n'est pas d'économie durable. Le gouvernement vient de verser dans cette doctrine rétrograde et pourtant non encore éculée, puisqu'elle fonctionne.

Il est acquis, semble-t-il, dans les sphères où circulent les dirigeants officiels ou clandestins, que le socialisme est incompatible avec la démocratie capitaliste. Quel que soit le socialisme, il porterait atteinte à la liberté d'entreprendre et déboucherait sur une dictature franche, ou larvée, qui nuirait aux démocraties en place ou en construction. Les "socio-démocrates" qui ne s'avouent pas encore socio-libéraux, mais ça ne saurait tarder, conduiront donc des politiques économiques s'inspirant de Jean-Baptiste Say... Après Shroeder et Blair en voici, avec Hollande, la version française. Le patronat se réjouit. Ce que Sarkozy n'avait pas totalement réussi, Hollande va le faire. Il s'assure, ainsi, les soutiens nécessaires (bien que non suffisants) à sa réélection.

Les écologistes de parti, en avalant une couleuvre de plus, risquent de s'étouffer car le contenu de cette couleuvre c'est, tout simplement, l'abandon, de leur conviction fondamentale (l'inverse de celle de J-B Say) selon laquelle les richesses naturelles sont épuisables. Ils devront donc, tôt ou tard, accepter les OGM, le gaz de schiste, le maintien de l'industrie nucléaire, la poursuite de la production d'armements, la reconquête néocoloniale de marchés africains, la privatisation poursuivie des services publics, etc...

Il n'est, dès lors, plus question, pour qui conteste le système économique prédateur, où la demande est principalement produite par une offre publicitaire, toujours plus subtile ou/et massive, de rechercher un compromis politique avec les partis ex-socialistes : ils sont devenus l'équivalent, sur l'essentiel, des partis libéraux. 

Tel est l'enseignement majeur de ce début d'année 2014. Il n'est plus d'offre électorale anticapitaliste crédible. Nous vivons une trahison historique : le productivisme (qui a son ministère, en France) a envahi tous les esprits (y compris dans le monde syndical) et, en dépit de la certitude que l'illimité trouvera ses limites, on offre une croissance défaillante comme modèle économique incontournable. 

Il ne reste plus aux citoyens non convertibles à cette dynamique implacable qu'à refuser leur concours à ce monde libéral inhumain et, à terme, condamné. D'abord en votant blanc (et en luttant pour la prise en compte effective de cette expression politique), ensuite en votant "libre" (c'est à dire, ici ou là, en appuyant telle ou telle initiative clairement écologique et antilibérale) enfin, et surtout, en prenant des initiatives intellectuelles et pratiques préparant l'après capitalisme, que ce soit demain (comme nous l'avions un peu vite cru, en 2008) ou dans cent ans. Le vieux monde est mort et tous ceux qui le servent, quelle que soit l'étiquette de leur parti, doivent être abandonnés.

(1) La part dans la production mondiale du coton brut des plantations américaines est passée brutalement de 5 % à 70 % en moins de quinze ans, entre 1790 et 1805, les nouveaux États-Unis d'Amérique tentant difficilement de suivre l'explosion de la demande des fabriques de la région de Manchester où le coton est sur cette courte période le ferment de la première révolution industrielle. 

(2) Auteur, en 1803, du premier Traité d'économie politique. 

 Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

mardi 7 janvier 2014

Citoyenneté et démocratie.



Le titre d'un article en couverture de la dernière livraison du trimestriel de la Ligue des droits de l'homme « Hommes et Libertés » a, par son imprécision, attiré mon attention : « RETRAITES, notre société a-t-elle le choix ? ».

Dans son préambule, l'auteur annonce : « encore une réforme des retraites avec toujours le même discours : pour sauver nos retraites, pas d'autres solutions que de travailler plus longtemps. Cette pseudo-évidence dissimule une réalité : c'est d'un choix de société qu'il s'agit, et nous devons en débattre » et il termine son article en écrivant : «  Il est urgent, sur les retraites comme sur la plupart des questions sociales, de sortir la tête de l'eau et d'enfin penser ensemble. »

Je partage totalement ces propos.

Alors quand commence-t-on à réfléchir, à débattre, et surtout à contraindre les gouvernants, empêtrés dans leur archaïsme, ainsi que les « marionnettes » des financiers, à changer de politique ?

Car dénoncer c'est bien, mais agir, c'est mieux !

Je ne peux pas imaginer que le citoyen d'aujourd'hui se contente seulement de critiquer et de pleurer sur la fin de ses acquis. On écrit beaucoup, on parle encore plus, mais la société civile a renoncé et personne n'ose considérer le changement radical de notre rapport au monde et le rêve même de la révolution est devenu un slogan publicitaire des « marchands » pour vendre leurs salmigondis.

Selon l'antienne «  there is no alternative » nous n'avons pas le choix, seulement l'attente fataliste de la catastrophe finale et le souvenir béat d'un passé révolu ; la régression sociale est stupéfiante si on la regarde avec les yeux de 1983. C'est comme si les citoyens étaient endormis sous l'emprise d'anesthésiants.

Il est pourtant temps de se réveiller avant qu'il ne soit trop tard !

Depuis la fin du second conflit mondial, le recul des institutions démocratiques est important et je crains qu’il n’y ait plus d’espoir à attendre des gauches traditionnelles. Elles sont convaincus des bienfaits d'un libéralisme qu'elles se croient capables de dompter, quelle présomption !

Elles n'ont pas compris, ou plutôt, par intérêt, elles n'ont pas envie de comprendre qu'assagir le capitalisme est une mission impossible.

Depuis les années 1970, un « féroce » capitalisme financier a éliminé le capitalisme industriel. Il n'a pas d'éthique, pas d'objectifs à moyen et long terme sinon ceux d'un profit maximum et immédiat.

Si le capitalisme se réforme, il se suicide, car par essence, exponentiel, il ne peut qu'aller toujours plus loin dans le pillage des ressources et l’exploitation du travail ; de plus ceux qui décident agissent de manière à confisquer la capacité d'action de ceux qu'ils dominent.

Les autres partis politiques, dits de la gauche de gauche, ne jouent pas non plus le jeu de la démocratie. Les Verts d'EELV, pourtant particulièrement concernés par la crise, ne font que de la politique politicienne au lieu de faire de l'écologie et ceux dits de la gauche extrême restent dans une confortable critique non constructive ne voulant surtout pas participer au pouvoir.

Les syndicats qui devraient défendre les travailleurs ont abdiqué. Pour s'en convaincre, Il suffit de regarder la position de la CFDT qui joue depuis de nombreuses années le jeu du patronat. Le dernier exemple en date est le ralliement du délégué Édouard Martin d’Arcelor Mittal Florange au parti socialiste contre un fauteuil doré aux élections européennes. Cette centrale syndicale est de fait le syndicat sur lequel le pouvoir socialiste s’appuie pour faire passer ses contre-réformes et faire avancer la sacro-sainte « construction européenne ». La situation est comparable dans les syndicats de l'éducation nationale où les directions nationales protègent le gouvernement et refusent, malgré les injonctions de leurs bases, d’organiser la riposte face aux graves dangers qui pèsent sur l’école et sur les statuts des personnels.

Cette analyse devrait nous convaincre qu'il y a le feu à la maison et que la priorité n'est pas dans la préservation de l'euro, dans la réduction de la dette ou dans les accords économiques mondiaux mais dans la défense des droits fondamentaux et donc de la démocratie.

Nous avons besoin de nouveaux acteurs pour compenser la décomposition du paysage politique, nous avons besoin que la société civile, les citoyens qui ont perdu confiance en eux-mêmes comme citoyens, tant ils se sentent impuissants face à des pouvoirs sur lesquels ils pensent n'exercer aucune influence, reprennent leurs vraies places dans la société et pèsent sur les décisions qui concernent directement leur avenir.

Je pense que des associations, comme la Ligue des Droits de l'Homme, mais aussi d'autres, doivent aujourd'hui contribuer à sortir d'un renoncement coupable et jouer, pour les plus anciennes, le rôle qui fut le leur au cours de l'histoire et, pour les plus récentes, peser sur la vie politique de nos pays.

Pourquoi n'attaquent-elles pas, de front, le libéralisme  qui est comme tous les esprits sensés l'affirment, la cause de tous les maux dont souffre aujourd'hui la démocratie ?
La liste de ces maux est très longue : inégalité, absence de dignité, injustice, paupérisation toujours plus importante, perpétuation et accroissement du chômage, surveillance généralisée, atteintes aux libertés, exploitation des minorités, etc. De plus, la société qui nous est promise est celle de « l'interdiction » : elle court d'interdit en interdit, de surveillance en surveillance, de réduction des libertés en réduction des libertés ....

Des décisions aux conséquences dangereuses et incalculables se prennent en dehors des circuits démocratiques, les discussions sur les différents traités de libre échange économiques – transatlantique et transpacifique - sont emblématiques à ce sujet. Elles donneraient les pleins pouvoirs aux financiers internationaux et aux entreprises multinationales

Les grands sujets qui traversent notre société, les révolutions techno-scientifiques en marche – biotechnologie, génie génétique, transhumanisme, nanotechnologie, internet des objets, robotique, sciences cognitives, etc. - et qui bouleverseront notre quotidien, auront des conséquences considérables sur les droits humains fondamentaux. Elles ne sont pas à l'ordre du jour de la réflexion de ces organisations qui ne semblent pas être suffisamment concernées par les mutations de la société et leurs conséquences sur la vie des citoyens. Une connivence certaine s'est installée entre elles et le pouvoir en place alors qu'elles affirment, - quelle hypocrisie ! - ne pas vouloir se mêler de politique. Pourtant, tous les jours, en permanence, les militants font de la Politique.

Aujourd'hui, nous avons dépassé ce stade, nous ne pouvons plus laisser une oligarchie décider pour nous. Il faut redonner sa place à la société civile et à ses représentants et que les citoyens soient écoutés et entendus. Ils ne veulent pas la révolution, seulement exister dans le respect de la démocratie.

Il est désespérant de constater que les associations et les organisations dont le but est la défense des droits humains fondamentaux, de la citoyenneté et de la démocratie ne remplissent plus pleinement leur mission.
Il est impératif pour notre avenir qu'elles se modernisent rapidement et qu'elles assument leur rôle national, sinon elles deviendront des monuments de la société et de l'histoire française, des pièces de musée.

De magnifiques outils sans utilité incapables de préserver l'avenir de l'humanité.

Jean-Claude Vitran