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jeudi 26 juillet 2012

La question qui tue !

Les êtres humains peuvent-ils vivre sans armes ? Pour que ce soit possible, il faudrait bel et bien, cette fois, "changer de société". Armes "civiles" et armes militaires obéissent à la même logique stupide :  "Tue pour ne pas être tué". C'est, disait Rudyard Kipling, la loi à laquelle obéit la jungle.

50% des armes vendues dans le monde le sont par les USA. Ce pays s'arc-boute sur le droit de chaque citoyen américain à disposer d'une arme chez soi. La conquête de l'Ouest et le mythe du western font partie de la culture étatsunienne. Sans arme, au XIXe siècle, sans colt, on ne vivait pas longtemps. Avec aussi d'ailleurs.

On a plus coupé de têtes et poings, sur les échafauds, pour se protéger des assassins que n'en ont pu couper les criminels eux-mêmes. Nous sommes-nous demandés si, pour assurer la sécurité des peuples, on n'a pas, ainsi, davantage tué que si les peuples menacés avaient été "sans défense" (comprendre, sans disposer de machines à détruire la vie d'autrui) ? Nous voici réinstallés dans les champs d'Utopie.

Armes privés, armements publics, le prix à payer pour avoir la paix est-il de se trouver à la merci de fous ou de dictateurs ? La libre circulation des armes, la possibilité de les acquérir sur ce marché (très "juteux"), peu ou pas contrôlé, qu'organisent les producteurs, commerçants et autres diffuseurs de mort, a pour résultats des drames privés, des meurtres collectifs comme il en est arrivé en Norvège, voici un an, ou aux États-Unis, dans le Colorado, il y a peu.

Mais il y a pire, si l'on se livre à l'affreuse comptabilité des victimes : les guerres permanentes, constamment condamnées par le Conseil de sécurité, sont approvisionnées en armes toujours plus sophistiquées et "efficaces", produites à 80% par quelques-uns des États siégeant au sein de ce Conseil dit de "sécurité" ! "Est-ce ainsi que les hommes vivent" chantait le poète.

Qu'on ne puisse, à moins de passer pour un inconscient doublé d'un irresponsable, affirmer que l'on en est parvenu à un point où le savoir-faire des ingénieurs de l'armement, quel que soient ceux qui les instrumentalisent, produit plus de destructions, de malheurs et de souffrances que n'en peuvent commettre des agresseurs, individuels ou collectifs, nous semble interpeller toute société se voulant civilisée.

Il y a davantage de "chair à canons" disponible depuis qu'a été largement franchie la barre des cinq milliards de Terriens. Dans le même temps, la capacité d'éradication de l'humanité, en tout ou parties, n'a jamais été aussi grande. Nous vivons, les yeux fermés, pour ne pas être dominés par nos peurs, avec cette effarante nouveauté historique devant nous. Pouvons-nous continuer, au XXIe siècle, à rester enfermés dans cette fausse évidence : "si tu veux la paix, prépare la guerre" ? En 2012, préparer la guerre, c'est, plus qu'à toute autre époque, se préparer à la faire.

Et la voici, la question qui tue : si l'humanité ne sort pas de cet engrenage qu'elle a si bien conçu, technologiquement, ne va-t-elle pas s'y trouver broyée ?


Nous avons la tête dans le mur...

Les défilés militaires (au passage, relevons que de tels hommages rendus aux Armées est, en général, une spécificité des régimes totalitaires).  En France, chaque 14 juillet, la commémoration de la Révolution est confiée à nos régiments qui étalent leur puissance de feu et nous, citoyens aveuglés, nous battons des mains en allant, sur les Champs-Élysées "voir et complimenter l'armée français-ai-se".

Rappelons que, selon la mythologie, " les Champs-Élysées ou simplement l’Élysée sont le lieu des Enfers où les héros et les gens vertueux goûtent le repos après leur mort". En sommes-nous encore  à l'Iliade, l'Odyssée et l'Énéide dont la grandeur des héros se situe dans leur vaillance au combat, qu'ils l'emportent ou qu'ils succombent ? Même Ulysse le subtil, qui échappe à mille morts, est un guerrier extraordinaire ajoutant l'intelligence à la force. Seulement, voilà : chez les Grecs on se tuait un par un, tandis qu'en Syrie, comme au siècle dernier, en Europe, en Afrique, en Asie, on tue ou on a tué par cent, par mille, par millions. On ne se tue plus principalement entre militaires ; on élimine des populations civiles plus qu'on ne tue de soldats.

Depuis Hiroshima, on est passé à la guerre totale faite à l'aide de bombes qui n'ont pas eu d'équivalent dans l'histoire et qui, déjà, sont "dépassées"tant est grande notre science et notre industrie de fin du monde. Et puis les entreprises de mort sont devenues des entreprises "comme les autres". Ce qu'on produit et ce qu'on vend doit être proposé, expérimenté, consommé, remplacé... C'est la loi du marché.

Loi du marché, loi de la jungle, c'est tout un. C'est la loi du plus fort. La loi des armes, que ce soit dans un quartier de malfrats ou dans les usines d'armement de M. Dassault, c'est la loi de la mort..

Oui, assurément, nous avons franchi un seuil quantitatif qui engendre une mutation qualitative sans aucun précédent. Et même si nous devions passer pour des "défaitistes", nous osons dire que, faute de changer de société, c'en sera bientôt fait de toute civilisation.

Ce qui serait alors la Défaite absolue.

Que faire d'autre  dans ces conditions, que de résister à cette chute de toutes les fibres de nos êtres ?


Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

mercredi 4 juillet 2012

Changer la société ou changer de société ?



« Le changement, c'est maintenant ». Soit. Mais quel changement ?

Changer la société est un objectif acceptable, s'il s'agit, comme l'annonce le nouveau gouvernement de la France, d'établir (plus que rétablir !) une plus grande justice entre les citoyens et, comme en 1789, d'abolir les privilèges.

Ce n'est pas la première fois que des intentions vertueuses ont été affichées. La société dans laquelle nous vivons absorbe toutes les velléités de changement, les détourne, et nous nous retrouvons, tôt ou tard, sous la domination de ceux qui ne possèdent pas que des revenus indécents et qui exercent sur les serviteurs de l'État des influences décisives.

On objectera qu'en nombre de pays, sur notre étroite planète, on en est encore à chercher comment vivre en société. Changer la société ou changer de société deviendrait, alors, une interrogation d'occidentaux qui ne sont jamais contents de ce qui est à leur portée.

Il est nécessaire d'échapper à toutes ces fausses logiques qui conduisent à la même conclusion : on ne peut changer l'organisation économique et sociale des sociétés modernes qu'à la marge. Depuis que la baronne Hilda, Margaret Thatcher l'a proclamé, nombre de responsables politiques ont admis « qu'il n'y a pas d'alternative ».

There is no alternative (TINA), formule magique depuis trente ans, est devenu un credo libéral auquel aucun parti politique en charge des pouvoirs n'a, jusqu'ici, échappé. C'est ainsi que se vend, actuellement, une doxa à laquelle les victimes de politiques brutales finissent par se résigner : ce sera ou l'austérité ou la ruine ! (étant sous entendu que le refus de l'austérité, de la rigueur, des restrictions, conduisant à l'effondrement économique, il faut ruiner une partie de sa population -évidemment, toujours la même- pour ne pas ruiner le pays) .

Si l'on ne sort de l'épure, si l'on ne prend pas ses distances avec la plupart des discours distillés par les médias, on ne changera pas davantage la société que François Mitterrand et ses ministres n'ont pu « changer la vie », comme l'annonçait le titre du programme du Parti socialiste dans les années 1970.


La peur de l'utopie nous est constamment présente. Il nous est rappelé sans cesse qu'à vouloir le mieux on peut obtenir le pire et la désastreuse expérience soviétique continue de faire figure d'épouvantail géant. Mieux vaudrait un capitalisme régulé qu'un totalitarisme sanglant. Mais la question se pose-t-elle encore ainsi : il n'y aurait de démocratie que là où l'emporte la liberté et la liberté d'entreprendre fait la richesse des États. TINA se porte bien et l'échec politique de Mme Thatcher (elle serait allée trop loin) n'a pas remis en cause la diffusion planétaire de ses idées largement partagées par Donald Reagan et ses successeurs parmi lesquels David Cameron, Nicolas Sarkozy et même Angela Merkel.

Il faudrait à l'Europe une Margaret Thatcher, entend-on dire. Bigre ! L'Europe sociale n'est déjà plus qu'un souvenir et l'Europe libérale, celle que les Français craignaient et repoussaient avec le non au referendum de 2005, est bel et bien installée. Si Europe fédérale il devait y avoir, ce ne serait, actuellement, qu'une centralisation des politiques économiques et nullement le partage des responsabilités politiques entre les 28 États et d'autres encore.

Que penser, alors de ce constat désespérant qui ne peut que conduire, inéluctablement, qu'à une succession de violences. Quand la misère s'étale montent les révoltes. Et puisque que l'on ne changera pas la société ; il faut changer de société. Où est la différence ? Ce n'est pas un mot de deux lettres qui fait penser autrement. Il s'agit de comprendre que dire « changer la société » la pérennise, même si elle peut présenter de nouveaux visages. Dire « changer de société » sous-entend qu'il n'est pas qu'un seul modèle d'organisation politique et surtout que, comme en 1789, (où l'on avait conçu, en France, que la monarchie était devenue obsolète), il est peut-être temps de convenir que la société ultra libérale, inégalitaire et hostile au partage est elle aussi devenue obsoplète.

On objectera encore que ce constat est fait depuis bien longtemps : liberté, égalité, fraternité est devenu une devise dont le contenu a été vidé. La liberté est une valeur désormais confisquée qui ne concerne que les nantis, lesquels exposent leurs richesse et leur pouvoir sans vergogne. Seulement voilà : vivre, bientôt, à neuf milliards sur Terre est impossible sans laïcité, sans partage et sans solidarité, autrement dit sans acceptation de nos diversités, sans juste répartition des biens produits (sans nuire à la planète), et sans un abandon de notre ethnocentrisme occidental.

Voilà qui devient plus délicat : changer la société (occidentale) n'y pourra suffire. Il va falloir nous faire une tête capable d'inventer un changement de société qui nous fait très peur. Faut-il lâcher la proie pour l'ombre ? Nous pouvions, jadis, sourire des « citoyens du monde » qui rêvaient d'une société planétaire unifiée. À présent, sans commettre l'erreur de préconiser un gouvernement mondial (qui ne tarderait pas à rénover le totalitarisme en l'étendant à la planète entière), il ne peut plus être question de voir chaque pays continuer à s'organiser en État-nation coupé du reste du monde.

La démocratie n'est pas plus liée à l'État-nation, qu'elle n'est liée au capitalisme. Vivre en réseaux dans la responsabilité coopérative devient une nécessité vitale. On ne pouvait, par le passé, qu'améliorer la société où nous vivions. Nous découvrons que, sans changer de société, nous nous résignerions à laisser se décomposer l'espèce humaine, trop maltraitée et trop fragilisée. Penser cette nouvelle politique et commencer à la mettre en œuvre avant même d'avoir tout maîtrisé est aussi risqué que de laisser perdurer ce qui nous entraine vers l'échec généralisé.

Résistances et changements se veut un blog où l'on ne craint pas de poser les questions qui dérangent, y compris celles qui nous dérangent nous-mêmes, car nous ne sommes pas à l'abri de l'erreur. Le pire serait de ne vouloir courir aucun risque. Nous prenons celui de dire : il ne faut pas changer la vie ou la société (nul n'a les clefs de l'avenir) mais il faut changer de vie ou de société (ce qui commence tout de suite).


La société de consommation, de domination, d'exploitation n'est pas la nôtre. Que des hommes se livrent à la destruction de tout ce qui fait obstacle à leur pouvoirs, grands ou petits, constitue une réalité qui laisse pantois ceux qui ne croient pas à la méchanceté innée de certains de nos compagnons d'existence. C'est de ce monde de cruauté qu'il faut tenter de sortir. À ceux qui croient cette prétention stupide ou hors de portée, nous répondons : que faire d'autre ?  

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran