Ce néologisme, peu élégant, concerne, dit-il, une politique impossible, celle qui mettrait en avant, partout, les Droits de l'Homme, alors que, nulle part, en aucun pays, on ne place cette priorité avant les intérêts des États. Tout au plus, peut-on observer que l'on tient compte, un peu plus, des Droits de l'Homme dans telle ou telle démocratie.
Qu'il faille rattacher le régime démocratique à un respect, relatif mais plus important, des Droits de l'Homme peut être discuté, de la part des générations dont les ancêtres ont connu l'esclavage, le colonialisme et l'exploitation féroce des entreprises occidentales. RSF, aujourd'hui, rappelle qu'il n'y a pas qu'en Iran, en Chine, ou en Arabie saoudite que les journalistes sont poursuivis, enfermés ou assassinés. En Russie (cette "démocratie" nouvelle), en Italie (la "démocratie" berlusconnienne), en France (la "démocratie" sarkoziste)..., on modère les Droits de l'Homme derrière un réalisme brutal et cynique.
Toutefois, ce n'est pas le relevé du thermomètre mesurant la chaleur des convictions humanitaires qui importe le plus! C'est ceci : pourquoi est-il tout simplement illusoire, voire nocif, parce que mal pensé et inconscient, de fonder une politique sur les Droits de l'Homme?
Le totalitarisme des idéologues débouche sur la privation de liberté, voire des mises à mort. Notre histoire l'enseigne. Aussi ne peut-on faire des Droits de l'Homme, un Catéchisme, un Dogme, une sacralisation qui ruineraient ce que sont les Droits de l'Homme : la reconnaissance de la pluralité bien plus que l'affirmation d'une norme universelle.
Nous voici au cœur de la controverse. On ne peut mettre en avant les Droits de l'Homme parce que, d'un bout à l'autre de la planète; on ne pense pas de la même manière les Droits de l'Homme. La Déclaration universelle de 1948 ne contient pas l'abolition de la peine de mort. Le refus de la marchandisation du travail humain, non plus! La dénonciation du commerce des armes, pas davantage. Le droit des hommes à disposer d'eux-mêmes, un slogan qui servit, un temps, à combattre l'exploitation coloniale, n'est plus guère crié. Le droit non encore rédigé, mais patent, des générations à venir face au pillage et à la mise en péril de la planète attend encore ses rédacteurs et surtout son adoption solennelle à l'ONU.
Les Droits de l'Homme auxquels nous nous référons ne peuvent déterminer les politiques parce qu'ils sont non seulement incomplets mais inapplicables partout, de la même manière. Ce n'est pas l'irréalisme des tenants des Droits de l'Homme qui est en cause, c'est cette habitude intellectuelle, ce dualisme mental qui permet de séparer "la théorie et la pratique", la conviction et sa mis en œuvre, les idées et les faits!
On peut ainsi faire la charité et vivre sur le dos de son prochain, clamer : "si tu veux la paix, prépare la guerre", habiller de mots généreux des pratiques cyniques. Les Droits de l'Homme ne peuvent ni passer avant la politique ni constituer une politique parce qu'ils sont dans la politique et, parce qu'ils sont non du texte mais de la vie, ils ne cessent de s'enrichir...
Quand Stephan Hessel dénonce la politique isrélienne qui viole les Droits de l'Homme, lui, l'un des co-rédacteurs de la Déclaration Universelle, ne donne aucune leçon morale, il affirme que le droit d'Israël à exister est remis en question dès que la politique de cet État interdit aux Palestiniens le droit de disposer d'eux-mêmes, là où ils vivent. Délier politique et Droits de l'Homme est aussi périlleux que de mettre, abstraitement, les Droits de l'Homme au premier plan.
De nouveau, oui, parce que la démocratie fut une utopie, les idées des Philosophes des Lumières furent -et sont encore- violemment combattues, parce que le temps des Grandes découvertes et des conquérants , ouvert à la fin du XVe siècle, cède devant le surgissement de notre conscience des limites planétaires.
Les politiques des Droits de l'Homme sont réalistes quand elles substituent à l'exhortation morale des invitations pressantes à prendre en considération ce qu'habiter la Terre conduit à entreprendre si l'on veut y vivre décemment. "Si non", ce sera la fin de l'histoire. "Si oui", ce sera d'ici un demi-siècle, non pas l'entrée dans un paradis, mais dans un nouveau faire-face (à des défis non encore abordés, ceux, sans doute, de la démographie fléchissante et du vieillissement généralisé). Mais ceci sera une tout autre épreuve pour les amants des Droits de l'homme...