Rémi Fraisse n'aura pas la légion d'honneur à titre
posthume. Il est vrai qu'il n'avait pas, comme un chef d'entreprise récemment disparu, le libéralisme pour religion
et qu'il ne pratiquait pas, journellement, le
néocolonialisme capitaliste.
Il
avait vingt et un ans et il est mort parce qu'il voulait empêcher un barrage de se
construire et condamner la vision délirante d'une agriculture
productiviste. Il
a été tué lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens, touché
par une grenade offensive lancée par les forces de gendarmerie. Des
traces de « TNT », un explosif utilisé dans les grenades
des gendarmes, ont été retrouvées sur ses vêtements.
Plusieurs
alertes, qui n’ont pas été prises en compte, avaient été
déclenchées. L'ex-ministre Cécile Duflot, avait, en vain, la
semaine dernière, alerté le préfet du Tarn sur les dérapages des
gendarmes. Déjà, le 7 octobre, une militante de 25 ans avait été
grièvement blessée à la main, sur la zone du Barrage, après avoir
été touchée par une grenade jetée par un gendarme dans la
caravane où elle s’était réfugiée avec trois autres militants.
Le colonel, chargé de la communication de la
gendarmerie nationale a, cyniquement, qualifié la mort du jeune
homme d'« accident » ajoutant « Ça fait cinquante
ans que les grenades offensives sont couramment utilisées en
maintien de l’ordre … Il y a déjà eu des blessés lors de
manifestations violentes, avec des mutilations aux doigts de
personnes qui avaient essayé de les relancer, mais jamais aucun cas
létal ».
Le projet de barrage se situe, le long de la forêt de
Sivens, dans le Nord-Ouest du Tarn sur la partie sauvage et préservée
de la rivière Tescou.
Les contestataires du projet affirment que le processus d’élaboration du
projet est un déni
de démocratie : pas de concertation avec les associations de protection de
l’environnement et des milieux aquatiques, avis défavorables cachés
durant l’enquête publique, refus du Conseil Général du Tarn et
de la Préfecture de débattre en public, de répondre aux questions
et de suivre les avis des scientifiques, des experts nationaux, de la
Commission d’enquêtes publiques, de la Fédération de Pêche et
des milieux aquatiques, des services de l’État chargés de l’eau
(ONEMA)… En
dernier lieu, des experts mandatés par le ministère de l'écologie
estiment que le projet est surdimensionné et ne répond pas aux
besoins réels du territoire.
C'est
un gouffre
financier
de 8 400 000 € ouvert uniquement sur les fonds publics, avec un coût de
fonctionnement de l’ordre de 360 000 €/an, pendant 20 ans.
Cela
pour, seulement, une vingtaine d'exploitations irriguées, laissant 95
% du coût de fonctionnement à la charge des contribuables. Il
serait peut-être intéressant de connaître l'identité des
propriétaires des terrains en contact avec la retenue d'eau.
Les
dirigeants dits de gauche comme ceux de droite partagent, à l'heure de la
transition énergétique, la même vision archaïque de l’aménagement
du territoire par grands projets : du stade de Lille à celui de
Bordeaux, en passant par celui de Lyon, de l’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes au tunnel ferroviaire du Lyon-Turin.
Le
6 septembre, dans un discours lors d'une manifestation à
Saint-Jean-d'Illac (Gironde), face à un parterre d'agriculteurs,
Manuel Valls, avait annoncé la couleur, affirmant, avec le ton autoritaire qui lui est coutumier, qu'il ne céderait pas aux opposants : « Nous
avons tenu bon à Sivens », dévoilant, par ces propos, que le
gouvernement s'était vendu aux
lobbies agricoles les plus productivistes de la FNSEA et du syndicat des
Jeunes Agriculteurs.
Nombre de parlementaires pensent que les zadistes1
sont des casseurs. Cela démontre, une nouvelle fois, le fossé qui
se creuse entre les citoyens et leurs représentants au Parlement. À
Notre-Dame-des-Landes, comme au barrage de Sivens, les zadistes se
contentent pas, seulement, de contester les grands projets
d’équipement.
Ils représentent aussi des mouvements alternatifs, des
expériences de propriété collective, de démocratie directe,
d’autogestion..., ils veulent faire éclore un autre monde, des
rapports sociaux plus égalitaires … Et, même si des militants
extrémistes très minoritaires, pratiquant parfois des techniques de
combats de rue, s'y retrouvent, leur culture commune est celle de la
désobéissance civile et de l’action directe, la critique du
matérialisme dominant, et de l’individualisme.
1 ... de
ZAD (acronyme de "Zone à Défendre", détournement de "
Zone d'Aménagement Différé")
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux