Méfie-toi; je t'ai à l'œil...!
Cet article fait suite à celui du 4 décembre 2010 qui a pour titre : Société de surveillance, de culpabilité, de sanction.
Les familles de systèmes de surveillance sont au nombre de quatre : la surveillance, le fichage, le traçage et le dénominateur commun aux trois : le profilage.
La surveillance :
La caricature de la surveillance est la caméra vidéo.
La vidéo surveillance, appelée vidéo protection, voire vidéo tranquillité ou vidéo confort, dans le détournement de langage orwelien, très à la mode, présente des intérêts dans certains cas, dans des endroits clos - parking, quai de gare, banques - ou pour assurer la sécurité des usagers - autoroutes, nœuds routiers, etc.
Mais pourquoi enregistrer les images ?
Comme tous les rapports européens concernant ce moyen de surveillance, un rapport de l’INHES - Institut National des Hautes Etudes de Sécurité – de mai 2008 confirme que la vidéo surveillance n’apporte pas de sécurité à priori mais permet seulement quelquefois d’écourter les enquêtes à posteriori.
Il existe deux types de surveillance vidéo :
L’une où les images ne sont pas enregistrées, ni conservées dans des traitements informatisés ou des fichiers structurés qui permettent d’identifier des personnes physiques. C’est le cas des caméras de circulation automobile ou de sécurité sur les quais du métro.
L’autre enregistre et traite les images collectées par les techniques numériques en vue de constitution de bases de données.
Le Royaume-Uni et ses 4 millions de caméras constituent le terrain d’expérimentation privilégié des chercheurs qui s’acharnent à démontrer, preuves en main, l’inefficacité patente de la vidéo surveillance pour lutter contre la criminalité.
Un rapport du ministère de l’intérieur britannique pointe trois faiblesses des dispositifs : la mise en œuvre technique, la disproportion des objectifs assignés à la technologie et le facteur humain.
En dehors de la disparité déraisonnable du rapport coût de mise en œuvre et d’exploitation/résultat, le facteur humain reste l’élément le moins efficient. Les salles de contrôle sont l’élément de la chaîne où se joue l’efficacité du système, or le nombre d’écrans ne correspond pas toujours au nombre de caméras, et il est illusoire de penser qu’un opérateur puisse surveiller plus d’un écran à la fois. Un opérateur anglais se confie en disant « Je ne peux pas vous dire combien de choses on a raté pendant qu’on ne regardait pas les autres écrans. Des vols de voitures, des effractions se sont passées, pendant qu’on visionnait d’autres caméras. C’est énervant ».
Le visionnage des images est fonction des préjugés sur le caractère à priori délictueux de certaines attitudes, mais surtout de certaines populations. Une étude révèle que 86 % des individus surveillés ont moins de 30 ans, que 93 % sont de sexe masculin, et que les individus noirs ont deux fois plus de chance de faire l’objet d’une attention particulière, ce qui constitue une discrimination complémentaire d’une population déjà en situation précaire et une atteinte caractérisée aux droits fondamentaux.
Le raffinement suprême est atteint par la petite ville de Middlesborough (Royaume-Uni) qui utilise des caméras parlantes, reliées à des logiciels de reconnaissance du comportement, ces caméras caractérisent les comportements « dits normaux ». Ce concept de normalité construit sur des bases discutables avait conduit la police anglaise à assassiner, en application du "principe de précaution", un ressortissant brésilien après les attentats de Londres de juillet 2005. Ce pauvre Brésilien qui arrivait tout juste de l’hémisphère sud n’avait que le défaut de porter un pardessus, un 5 juillet, or pour un fonctionnaire de police anglais, un pardessus, le 5 juillet, est destiné à cacher des bombes.
En conclusion, la vidéo-surveillance, qui rate son objectif avoué, dissuader et détecter les délits, est surtout un marché lucratif de normalisation et de contrôle des pauvres.
D’autres technologies concourent aussi à la surveillance : le bracelet électronique des détenus en liberté conditionnelle, les technologies de géolocalisations, (GPS), etc.
Je ne m'en fiche pas...
Le fichage :
Ficher, c’est collecter des informations et les stocker dans d’énormes bases de données informatiques en vue :
- de gérer (exemple : les fichiers de la sécurité sociale ou des caisses de retraites, etc.),
- de renseigner (les fichiers des renseignements généraux, EDVIRPS, SIS, etc.)
- d’enquêter et de sanctionner (les fichiers STIC, FNAEG, etc.)
- de profiler des citoyens (les fichiers d’Etat : EDVIRPS, ELOI, etc.) ou des individus (fichiers marchands)
On recense trois familles de fichiers :
- Les fichiers de polices : STIC, FNAEG, EDVIGE, etc.
- Les fichiers administratifs : Bases Elèves, fichiers des banques, des impôts, etc
- Les fichiers marchands au nombre de 3,5 à 4 millions.
Les fichiers de police sont un iceberg dont on ne connaît, bien entendu, que la face visible, le rapport BAUER en 2007 en recensait déjà 36 aujourd’hui, au moins 70, dont deux enfants d’EDVIGE.
L’exemple le plus caricatural des dérives du fichage policier est celui du STIC. Créé en 1985/1990 dans le plus grand secret, l’existence du STIC, Système de Traitement des Infractions Constatées, ne fut révélée au grand public qu’en 2003. Un récent contrôle des services de la CNIL sur ce fichier a dévoilé les profondes anomalies de ce système. On y trouve mélangés, les victimes et les justiciables, ce qui représente au 1er janvier 2009 la bagatelle de 35 millions de Français. Faute de moyens, de volonté et de temps, les mises à jour ne sont pas faites par les procureurs de la République, et la CNIL a constaté que 50 %, environ des informations contenues dans le fichier sont erronées.
Autre exemple, le FNAEG : Ce fichier était à l’origine en 1998 destiné aux fichages des délinquants sexuels et concernait environ 1500 individus, alors qu’aujourd’hui 1,5 million de personnes sont fichées. De modifications en 2001 en modifications en 2003 puis 2004, présentées comme essentielles au contrôle et à la protection de la sécurité nationale, presque tous les crimes et délits ont été intégrés, justiciables comme suspects, et les données conservées pendant une période allant de 25 à 40 ans.
Ainsi, aujourd’hui tout citoyen peut se faire prélever son ADN lors d’une garde à vue, pour un simple chapardage comme pour de simples soupçons. Bizarrement, les délits financiers et politiques ne sont pas concernés par ce fichage.
Comme un rideau de fumée, on agite les fichiers de police, pourtant les fichiers administratifs collectent aussi des données privées et personnelles. Le fichier des impôts, croisé depuis 1999 avec le NIR (numéro de sécurité sociale), connaît tout du citoyen, son identité, son patrimoine, sa situation personnelle, ses revenus, etc.
Les fichiers des banques qui connaissent comme les impôts tout de nous, et même des éléments de notre santé pour l’octroi d’un prêt ; bizarrement, ces fichiers bancaires privés sont interconnectés avec le fichier central de la banque de France qui est un fichier institutionnel.
Les fichiers de l’éducation nationale qui recensent les enfants depuis l’école maternelle et leur attribuent un Numéro d’Identifiant Elève qu’ils garderont durant toute leur scolarité et même au delà. Etc.
Enfin les fichiers marchands, au nombre d’environ 3,5 à 4 millions. Ils sont le noyau dur du fichage, ils sont alimentés par les traces que nous laissons volontairement à l’occasion de transaction avec les commerçants (cartes de chaînes de supermarchés, cartes de fidélité) ou involontairement lors de nos connections sur le Web (courrier électronique, signature de pétition, connections à des sites spécialisés).
Les fichiers du secteur marchand sont opaques, peuvent être copiés, et changer de mains. Ces fichiers sont créés dans un but purement commercial et sont source de profits très fructueux.
On ne peut pas parler fichier sans évoquer le web, outil capable du meilleur, mais aussi du pire.
Souvent et pour les plus jeunes d’entre nous toutes les barrières d’inhibition tombent, (voir facebook et les blogs personnels), chacun se dévoile, mais livre aussi aux puissants moteurs de tri des informations de la sphère privée qui peuvent alimenter des fichiers et être utilisé à but mercantile ou contre le rédacteur.
Une mesure sur le pouce...
Le traçage :
Les outils du traçage sont les RFID, le passeport biométrique, les supports de télépéage, le passe navigo, la carte bleue, le téléphone portable, le GPS, etc. et les technologies se développent rapidement.
Les RFID – Radio Frequency Identification – sont ces puces dites intelligentes d’une petite taille que l’on trouve sur le PASS NAVIGO, maintenant sur le passeport biométrique et sur les produits vendus dans les hypermarchés. C’est aussi le système remplaçant le tatouage pour les animaux domestiques : La puce injectée aux animaux est une RFID.
C’est « sans contact », donc à l’insu de la personne, la possibilité sur quelques millimètres carrés de tout suivre, pister, détecter, contrôler, surveiller électroniquement. Leur détection est de quelques centimètres, voire de quelques mètres actuellement, mais demain plusieurs dizaines de mètres.
Les utilisations sont vastes et variées :
Le dispositif « Person Tracking Unit » d’IBM permettant de scanner les étiquettes sur les éléments d’une foule pour suivre les mouvements dans les lieux publics.
Les billets de la Coupe du Monde 2006 avec mouchard pour faciliter le suivi des supporters.
Les bibliothèques où l’enregistrement de l’emprunt des livres se fait par RFID au passage du portique de sortie.
Les collèges américains où l’on contrôle la présence et le comportement des élèves par leur carte électronique.
Mais encore :
Le suivi des bagages dans les aéroports ;
L’identification des véhicules, des produits de luxe et des médicaments (lutte contre la contrefaçon) ;
L’ouverture contrôlée des portes électroniques ;
Le remplacement des badges ;
La traçabilité alimentaire ;
L’identification des animaux et des humains, pourquoi pas.
Pour généraliser, d’ici à 2015, chacun des environs 50 000 milliards d’objets de la vie quotidienne vendus journellement seront munis d’une puce RFID.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) estime que ces technologies de radio-identification permettent potentiellement le « profilage » des individus et font par conséquent peser un risque particulier. Selon la CNIL, la solution consisterait à neutraliser la puce RFID une fois l’objet acheté.
A l’évidence, dans le domaine du contrôle social, cette révolution technologique pose la question du respect de la vie privée. Les applications multiples liées à la miniaturisation nanométrique – des RFID de la taille de la poussière, par exemple – couplées à l’informatique, peuvent faire redouter une société de surveillance totale où les moindres faits et gestes d’un individu sont épiés et enregistrés à son insu.
Sans réaction vigoureuse de la classe politique et des contre-pouvoirs citoyens, les RFID auront, dans les toutes prochaines années, les conséquences les plus contraignantes en terme de droits fondamentaux.
Ces technologies sont surtout un puissant moteur de développement industriel et engendrent des profits importants. Ce pactole ne manque pas d’attirer les grands groupes agroalimentaires, les entreprises militaro-industrielles, les laboratoires médicaux qui sont prompts à faire miroiter les bienfaits en omettant, jusqu’au mensonge, d’évoquer des risques pour l’instant mal cernés et l’on peut donc s'attendre à des pressions industrielles et financières importantes : prendront-elles en considération le respect des libertés individuelles et collectives ?
A titre indicatif, la valorisation du marché des nanotechnologies est estimée à 1200 milliards d’euros en 2015.
Il est, par ailleurs, impossible de parler du traçage des individus sans évoquer la biométrie et l’ADN.
La biométrie est une technique globale visant à établir l'identité d'une personne en mesurant une de ses caractéristiques physiques.
Les techniques :
- Les empreintes digitales : la donnée de base dans le cas des empreintes digitales est le dessin représenté par les crêtes et sillons de l'épiderme. Ce dessin est unique et différent pour chaque individu.
- La géométrie de la main / du doigt : ce type de mesure biométrique est l'un des plus répandus, notamment aux Etats Unis.
- L'étude de l'iris de l’œil.
- L’étude de la rétine : cette mesure biométrique est plus ancienne que celle utilisant l'iris, mais elle a été moins bien acceptée par le public et les utilisateurs, sans doute à cause de son caractère trop contraignant
- L’étude du système et de la configuration des veines : cette technique est habituellement combinée à une autre, comme l'étude de la géométrie de la main.
- La dynamique des frappes au clavier d’ordinateur.
- La reconnaissance vocale.
- La dynamique de la signature.
Par ailleurs, il existe d’autres techniques en cours de développement à l'heure actuelle : parmi celles-ci, citons la biométrie basée sur la géométrie de l'oreille, les odeurs, les pores de la peau et les tests ADN.
La biométrie présente l’inconvénient majeur qu’aucune des mesures utilisées ne se révèle être totalement exacte : Tout être vivant s'adapte à l'environnement, vieillit, subit des traumatismes plus ou moins importants, bref évolue et les mesures changent.
Le profilage :
Profiler est le besoin impérieux qu’ont les pouvoirs gouvernementaux et le secteur marchand et c’est la somme des agissements énumérés ci-dessus : SURVEILLER + FICHER + TRACER.
Le sens de ce verbe, qui nous vient de l’anglais, est « le fait d’établir à partir d’indices liés à un acte criminel le profil psychologique de son auteur. »
Aujourd’hui comme nous l’avons vu, par un glissement paranoïaque, la société considère tout individu comme potentiellement dangereux et cet axiome amène les gouvernements à tenter d’établir le profil psychologique de tous les citoyens pour déterminer leur potentiel de nuisance.
En parallèle à cette frénésie, le secteur marchand « profile » le consommateur dans le but de lui vendre un maximum de produits, mais aussi de le manipuler aux travers les médias et la publicité.
La caricature du profilage est le PNR « Passenger Name Record ».
Ce système fait obligation aux compagnies aériennes opérant des vols à destination ou transitant par les Etats-Unis et bientôt vers l’Europe, de transmettre aux services des douanes les données personnelles des passagers et membres d’équipage.
Les données sont au nombre de 34 et beaucoup d’informations sont personnelles et d’ordre privé :
Modes de paiement - Adresse de facturation - Numéros de téléphone - Adresse électronique - Observations générales - Données SSI/SSR : il s’agit des demandes relatives à des services spécifiques, ce point fait beaucoup débat car il fait référence à des demandes particulières (repas sans sel ou sans porc, par exemple)
Les raisons invoquées pour sa mise en place, manifestement normales au regard des événements, tendent cependant à devenir la légitimation d’un déploiement fou de mesures de sécurité, tenant plus de la manie de la persécution que d’une réponse à des menaces probables.
La collecte de ces données et leur moulinage informatique permettent de « profiler » les futurs passagers et de dresser la « No fly list » et la « Selectee list » qui empêchent certains passagers de voyager via ou à destination des Etats-Unis et qui en soumettent d’autres à des examens intensifs.
Fait inquiétant, les décisions sont prises sur la base de critères secrets et très irrationnels.
Il n’existe par ailleurs aucune référence au « Privacy Act » de 1974, ni aucune mention du droit des individus fichés, notamment pour ce qui concerne le droit d’accès et de rectification.
CONCLUSIONS PROVISOIRES
C’est le développement anarchique de toutes ces technologies, sans réflexion citoyenne et axées essentiellement sur le profit qui pose problème, pas les technologies elle-mêmes.
Cette surveillance, ce fichage, ce traçage, ce profilage que l'on peut sans exagérer penser qu’ils sont, ou qu’ils seront à terme généralisés, est la conséquence d’un changement fondamental de paradigme.
De la primauté de la présomption d'innocence, il instaure la présomption de culpabilité.
Sa logique purement policière est claire : tout suspects donc tous surveillés, fichés, tracés.
Ses promoteurs poussent même cette logique jusqu'à vous expliquer que ces systèmes sont un progrès puisque accusés à tort nous pourrions ainsi plus facilement être disculpés.
Les intérêts privés du système financier et les paranoïas, les tentations autoritaires des gouvernements se conjuguent. Cette société capitaliste, néolibérale, dont le seul crédo est la recherche de profits rapides et faciles représente un danger pour les libertés et les droits fondamentaux de la majorité de la population. Il est indispensable et urgent de dénoncer avec force ces dangers et de savoir dans quelle société nous voulons vivre demain.
Il est à craindre que le totalitarisme, de sinistre mémoire, soit en marche ; dans tous les cas, sans une remise en cause profonde de cette société, l’avenir est hypothétique, préoccupant et sombre.
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux