En
relisant les cahiers Léon Blum, nous avons retrouvé le texte1
que nous reproduisons ci-dessous.
Écrit
en 1928, son auteur fait le procès de la presse de l'époque et au
delà, celui du capitalisme.
Nous
sommes navrés de devoir admettre que malgré toute la bonne volonté
de nombreux citoyens et de « courageux » hommes
politiques, il faut bien constater notre impuissance à changer le
système économico-politique en place. Aussi, depuis 18302,
sont écrits les mêmes articles ressassant les mêmes rengaines.
Pire,
malgré les nombreuses dénonciations3
de ses perversités, le capitalisme, décortiqué par Karl Marx dès
le XIXe siècle, survit toujours et, à échelle planétaire, il
s'est renforcé, de plus en plus injuste et inégalitaire.
Rappelons-nous
toujours ce qu'a avoué Warren
Buffet, milliardaire américain, 1ère
fortune des États-Unis : "Il y a une guerre des
classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches
qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner."4
Nous
sommes obligés de constater que les faits lui donnent raison, même
si nous sommes certains que sa « classe n'a gagné qu'une
bataille » et ne peut l'emporter in fine.
La
course folle au profit ruine la planète. L'exploitation des plus
pauvres se banalise sans vergogne. La domination autoritaire de
nombreux peuples est de plus en plus violente. Le nombre de conflits
armés, faisant de très nombreuses victimes civiles et jetant des
milliers de réfugiés sur les routes de l'exil, ne cesse d'augmenter
menaçant gravement la paix mondiale.
Comme
en 1928, lorsque Léon Blum écrivit ce texte qui n'a pas pris une
ride, de mauvaises ondes parcourent le monde.
Il
est urgent de s'unir, au delà de nos différences, pour travailler à
la paix et construire une société plus juste
Jean-Claude
Vitran et Jean-Pierre Dacheux
La
presse et la paix.
Toute
société a la presse qu'elle mérite.
Le
Populaire, 13 mars 1928
L'état
actuel de la presse est lié à tout le système social. Sa vénalité
a commencé avec le régime de la grande industrie et du capitalisme
concentré. M. d'Ormesson5
souffrira-t-il que je le renvoie à une pièce très puissante, ou
même très belles par parties : les Effrontés, d'Emile
Augier ? La presse a perdu son indépendance du moment où les
« classes dirigeantes » ont mis la main sur elle, du
moment où la création des journaux a exigé de grands capitaux, et
où les recettes de publicité occulte sont devenues un élément
nécessaire de leur budget.
Il
en est ainsi depuis bientôt un siècle, et le duel d'Armand Carrel
et d'Emille de Girardin fut, à bien des égards, un événement
symbolique. Aujourd’hui c'est pis encore. La presse est devenue
elle-même une grande industrie concentrée, gérée par des trusts
qui exploitent, en même temps que les journaux, des imprimeries, des
agences de publicité, des fabriques de papier, des forêts.
Les
journaux ne sont entre leurs mains qu'un procédé, direct ou
indirect, de profit et de spéculation. Et c'est sur eux que compte
M. d'Ormesson pour assurer l'impartialité et l'indépendance de
l'information internationale ! C'est sur eux qu'il compte pour
travailler à la paix quand le capitalisme est par lui-même un
danger permanent de guerre.
Non,
toute société a la presse qu'elle mérite, la presse qu'elle
engendre. La presse se sera honnête et probe, elle ne deviendra un
instrument d'intelligence et de rapprochement entre les peuples, que
le jour où elle sera soustraite à la domination du capitalisme ;
et ce jour sonnera pour elle en même temps que pour tous les autres
modes de la pensée et du travail humain.
Léon Blum
1 Cahier
Léon Blum N°31 - page 62 – Editeur Société des Amis de Léon
Blum
2 Date
du Duel entre Armand Carrel et Emile de Girardin tous deux
propriétaire de journaux. Carrel fut tué dans le duel, il
reprochait à Girardin d'utiliser la publicité pour financer son
journal.
3 Karl
Marx a écrit et fait paraître « Le Capital » en 1867.
4 Propos
tenu sur la chaîne de télévision CNN en 2005.
5 Wladimir
Le Fèvre d'Ormesson est un écrivain,
journaliste et diplomate français, qui exerça notamment au
Vatican, mais aussi en Argentine et au Chili. Il fut également
président de l'ORTF et membre de l'Académie française. Oncle de
l'écrivain et journaliste Jean d'Ormesson.
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